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Zara Nazarian à la tête du Courrier d’Erevan et du secrétariat général de l’UPF

Photos A. Bordier

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier, auteur de Arthur, le petit prince d’Arménie (ed. Sigest)

Elégante, décidée et dynamique, Zara Nazarian est au téléphone en train de régler son prochain voyage en France, lorsque nous nous rencontrons. Sa vie ressemble à un roman qui nous fait voyager en Géorgie, en Russie, en Arménie, en France et dans une cinquantaine de pays. Portrait d’une francophile-francophone, qui est, aussi, Secrétaire générale de l’Union internationale de la Presse Francophone.

En Arménie, à Erevan, la capitale, nous nous retrouvons ce vendredi 23 septembre, en fin d’après-midi, dans l’un de ses endroits les plus emblématiques. Aussi discrète qu’intelligente, précise (presque trop), aimant le souci du détail et la recherche de la vérité, Zara a quelque chose d’irradiant et de mystérieux à la fois. Comme si son adn et son charisme venaient de loin et qu’ils avaient été marqués par quelques instants heureux et malheureux. C’est à travers son visage rond et ses yeux bleu-gris-oranger, son sourire timide, que l’on ressent cette expression d’entre-deux. Elle ne le dira qu’à demi-mot, mais Zara Nazarian, est une francophone et une francophile rare. Elle est née en Géorgie, à Tbilissi, qui était alors une des capitales des Républiques soviétiques de l’ex-URSS. Elle y a vécu toute son enfance.

« Connaissez-vous Tbilissi ? », interroge-t-elle en reprenant son rôle-vocation de journaliste. Nous allons échanger les rôles à plusieurs reprises le temps que durera cette conversation. Cette interview ressemble à une valse à deux temps où chacun veut anticiper le pas de l’autre. Après ma réponse négative, elle développe : « C’est une très belle capitale artistique. L’art, la culture et l’histoire y sont premiers. Vous devez absolument y aller. Je peux vous y accompagner, si vous le voulez…J’ai grandi dans le quartier arménien de Tbilissi. » L’invitation est lancée.

Dans l’hôtel-restaurant Tufenkian (son endroit emblématique), qui se situe à 3 mn à pied de la célèbre place de la République, des tapis ornent les murs de l’entrée, ceux de Tufenkian Artisan Carpets. A l’extérieur, le bâtiment est remarquable, il est en pierre de taille volcanique. Sa couleur grise-noire royale saute aux yeux et rappelle les riches heures de la Grande Arménie, quand ses terres ancestrales s’étendaient de la mer Caspienne à la Méditerranée (vers l’an 100 avt JC). Le Royaume d’Arménie était, alors, parsemé de petits palais en tuf, cette pierre volcanique qui est extraite des carrières proches du mont Aragats, en Arménie. Au toucher, on ressent son âpreté. Cet hôtel est une pure merveille architecturale des 19è et 20è siècle, qui a été entièrement restauré pour son ouverture, il y a 10 ans.

Itinéraire d’une journaliste francophile

Avant de devenir francophone, Zara était, d’abord, une francophile. « Je me suis souvent interrogée sur mon amour pour la France. Je suis tombée amoureuse de la France à travers les images que je voyais dans des films et des revues. Je ne connaissais pas la langue. Je parlais le géorgien et le russe, mais ni l’arménien, ni le français. Je l’ai appris plus tard, à Moscou. Toute seule, au fil des années. » Côté famille, Zara n’a plus ses parents. Sa mère, Nika, était une musicienne, une pianiste. Et, son père, Parouïr, était un grand historien, chercheur et académicien. Zara passe, donc, toute son enfance dans le quartier d’Avlabara et y effectue toutes ses études secondaires. Elle y apprend, également, la musique, au Conservatoire. Après l’obtention de son bac (avec mention Très Bien), elle s’envole en 1986 pour Moscou où elle intègre la Faculté de Journalisme de l’Université d’Etat Lomonossov. Elle n’a pas froid aux yeux. Très brillante, elle va passer 6 ans en Russie. Elle est témoin de la « Glasnost », de la chute de l’ex-URSS et de la prise de pouvoir de Boris Eltsine, qui succède à Mikhaïl Gorbatchev. Elle aime cette période de sa vie, déjà, aventureuse.

Avec sa mère, avant la fin de ses études, elle déménage pour Erevan en Arménie. Dans la conversation, Zara s’interrompt, rigole et se souvient. Le film de sa vie repasse dans sa mémoire, au ralenti. Elle se souvient être rentrée à la faculté « en tant que citoyenne soviétique et j’en suis sortie en tant que citoyenne d’un pays indépendant, l’Arménie. » Le 21 septembre 1991, en effet, l’Arménie devient indépendante. L’URSS s’est effondrée.

A la fin de ses études, Zara part, donc, vivre à Erevan. « La vie était à la fois difficile et très enthousiasmante. On y croyait vraiment à notre nouvelle vie démocratique. On manquait de tout. C’était la pénurie alimentaire et nous n’avions qu’une heure d’électricité par jour. Nous n’avions pas de chauffage et nous dormions avec nos vêtements. Mais nous étions libres ! »

Direction Paris, l’hébreu et l’ENA

En 1992, elle intègre la rédaction du quotidien national Respoublika Armenia. Elle traite les sujets politiques. Elle réalise, également, des émissions de radio et de télévision. Mais, elle continue à rêver de la France. Pendant ses études universitaires à Moscou, elle a d’ailleurs commencé à apprendre la langue. Francophile par la musique, elle devient francophone par la langue. A tel point, qu’elle décide de venir à Paris, pour la première fois. Son projet ? Retourner sur les bancs de l’université et y apprendre l’hébreu. Atypique, étonnant ! Nous sommes dans les années 1994. A Paris, pour rester indépendante, elle travaille au service presse de l’ambassade d’Arménie. Puis, comme elle est brillante et ambitieuse, elle tente l’ENA. Pourquoi pas ! Elle réussit le concours d’entrée. « Vraiment, mon français n’était pas parfait, mais comme je suis besogneuse et passionnée, j’ai réussi le concours de l’ENA, alors que j’apprenais l’hébreu ! » Zara en rit encore : « Je suis arrivée en France, je parlais mieux l’hébreu que le français. Mon français n’était pas correct du tout. » Il est certain que faire partie de la promotion Averroes, celle de 1998-2000, n’est pas rien. Elle y croisera, notamment, la future ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay (aujourd’hui Directrice générale de l’UNESCO). Elle deviendra l’amie de la Vice-Premier ministre de la Géorgie Théa Tsouloukiani et Fleur Pellerin (plusieurs fois ministre). A la sortie, Zara quitte, pour un temps, le monde des médias et de la presse, et intègre le monde de l’entreprise. Pas n’importe laquelle : le célèbre constructeur à la marque de losange, Renault. Elle s’occupe de stratégie et de développement international.

Puis, le mal du pays se fait sentir. Elle profite d’une offre du Groupe Pernod Ricard pour rentrer en Arménie. Où, elle dirige le département de Marketing, de Communication et de Relations Publiques de sa filiale Ararat Branding Company. Quelques années plus tard, Zara revient à ses premiers amours. Elle devient consultante free-lance et lance son média.

Le Courrier d’Erevan a 10 ans !

Il fêtera ses 10 ans très exactement le 18 octobre. C’est un média 100% digital. « Aujourd’hui, il reste le seul média francophone d’Arménie. Je l’ai créé à l’occasion de l’adhésion de l’Arménie à l’OIF (NDLR : Organisation Internationale de la Francophonie). A l’époque, j’étais toute seule, maintenant nous sommes 5, avec moi. Nous avons des correspondants en Belgique, en France, en Suisse et au Liban. Nous sommes suivis au quotidien par plus de 5000 personnes. Et nous sommes lus dans une dizaine de pays », tient à préciser Zara. Tous les sujets y sont traités. C’est, vraiment, la Francophonie qui est mise en avant dans son média. Mais, Zara aimerait en faire plus. Elle n’hésite pas à dire : « Oui, je crois très fort à la Francophonie. C’est pour cela que j’ai lancé mon média. Il est 100% Francophone et 100% Arménien. J’emprunte l’expression à Charles Aznavour, que j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois. Je fais, d’ailleurs, partie de ces idéalistes qui continuent à croire en de valeurs humaines, culturelles bleu-blanc-rouge et rouge-bleu-orange. J’incarne la Francophonie, alors que je ne suis pas née dedans. C’est un vrai bonheur, c’est une fierté ! »

La question de la version papier de son média se pose. « Non, ce n’est pas le moment de passer à la version papier, au contraire. Car les plus grands médias font leur transition vers le 100% digital. »

Secrétaire générale de l’UPF, une mission internationale

En l’écoutant remonter le fil de sa vie, on a l’impression qu’elle était faite pour ça : la Francophonie. Observatrice de premier plan de la vie sur tout le globe terrestre, elle fait une pause pour parler de la Révolution de Velours, qui a eu lieu en 2018 en Arménie. « Oui, j’ai soutenu cette révolution parce que le pays était sclérosé. Le besoin de changement était réel. Elle était nécessaire et attendue. Ce qui s’est passé depuis, avec la guerre de 2020, puis, les invasions azéries du 13 septembre dernier, sont une tragédie qui continue. En réalité, la guerre de 2020 ne s’est pas arrêtée. Elle a continué de manière différente, masquée. Mais, elle est, malheureusement, bien là. Et, depuis le 13 septembre, le monde se tait. En une journée, il y a eu plus de 200 morts et autant de blessés. Des milliers de personnes ont dû fuir leur habitation. Nous replongeons dans la barbarie. C’est terrible… »

Un long silence ponctue son dernier mot. Comme s’il faisait écho aux silences assourdissants et complices des grands de ce monde. Qu’ils soient à l’ONU, aux Etats-Unis, en France ou à l’Union Européenne. Silence, on tue…Le monde paraît, cependant, depuis quelques heures seulement, reprendre son courage et ses responsabilités, avec, notamment, les dernières annonces du Président Emmanuel Macron, celles du 26 septembre, en faveur de l’Arménie. « Les Arméniens attendant des actes », conclut Zara.

Elle doit, déjà, partir. Elle prend l’avion pour Paris dans quelques heures. Après la tenue du 17è Sommet International de la Francophonie à Erevan, en octobre 2018, elle devenait, le mois suivant, Secrétaire générale de l’Union internationale de la Presse Francophone, qui regroupe plus de 2000 journalistes de cinquantaine de pays. Son emploi du temps a changé de façon significative. Et, pour pimenter sa vie (comme si elle en avait besoin), elle a pris, il y a quelques mois, la responsabilité de conseil auprès du service de Communication de la filiale française de Veolia en Arménie. Enfin, elle est Présidente du Conseil d’administration du Lycée français Anatole France (où sont scolarisés, par ailleurs, ses deux enfants). What else ?

Depuis, sa valse en 2 temps s’est transformée en valse en 5 temps, si l’on ajoute sa vie de famille et ses amis.

Coup de cœur francophile et francophone

A ce rythme, elle pourrait devenir ambassadrice de la Francophonie (?).

Terminons avec ses quelques mots pavoisés en bleu-blanc-rouge : « Ma francophilie, comme vous dites, vient d’un certain nombre de circonstances qui, toutes ensemble, ont créé ce lien très fort que j’ai avec la France et la langue française. La culture y est pour beaucoup, sans doute, aussi banal que cela puisse paraître…

Pour moi, la France a toujours été auréolée d’une aura tout à fait particulière. Et quand je m’y suis retrouvée pour la première fois, jeune adulte, je me suis sentie bizarrement chez moi, alors que je suis en principe quelqu’un d’assez compliquée dans ma relation au monde. Le français : je le connaissais déjà, pour l’avoir appris à l’Université, mais on était loin encore d’une maîtrise de la langue. La maîtrise, au point d’en écrire des articles et mener des débats, est venue plus tard, au fil des études et de rencontres. C’est simple : quand vous aimez quelque chose, ça aide à en maîtriser des détails, n’est-ce pas ? »

Nul doute à avoir : Zara Nazarian est bien une amoureuse des drapeaux tricolores !

Antoine Bordier
Auteur de Arthur, le petit prince d’Arménie (ed. Sigest)


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