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Cyril Harpoutlian, un entrepreneur social de la Tech entre la France et l’Arménie

Il est discret, humble et sympathique. Il est un entrepreneur 100% Français et 100% Arménien. Avec ses deux poumons, il est tombé dans la potion magique d’Internet dès 1999. En 2008 il bascule vers l’entrepreneuriat, d’abord en France. Il y a 4 ans, direction l’Arménie, où il fonde une nouvelle start-up sociale et solidaire, dans le secteur de la formation. Retenez bien son nom : RELQ. Zoom sur le parcours d’un entrepreneur atypique.

Copyright des photos A. Bordier et Relq

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On le retrouve au 198 avenue de France, dans le 13è arrondissement de Paris, où sont situés ses bureaux. Il est là, dans cet immeuble à couper le souffle, qui ne paye pas de mine à l’extérieur, tout gris vêtu de parements en pierre qu’il est. Mais à l’intérieur, on a l’impression d’avoir franchi la porte d’un autre monde : celui du nouveau monde, celui de la Tech, celui du Numérique. Tout y est beau avec ce hall sécurisé, qui s’ouvre sur un grand salon, dont la hauteur sous-plafond tutoierait presque les nuages. Les bureaux sont étagés sur une demi-douzaine de niveaux. Ils sont desservis par des ascenseurs vitrés qui font le va-et-vient en position verticale, entre le grand salon open-space et les bureaux eux-mêmes.

Cyril Harpoutlian est là, entre deux rendez-vous. Il a 30 mn, montre en main. Son abord chaleureux et souriant, sa poignée de main franche et rigoureuse et sa barbe de 5 jours disent beaucoup de cet homme qui a tout du geek.

Des racines arméniennes en mode survie

« Oui, je dis comme feu Charles Aznavour : je suis 100% Français et 100% Arménien. Je le suis autant par mon arbre généalogique que par mes convictions. C’est important cette double culture, c’est une vraie richesse que l’on a su cultiver dans ma famille. Mes grands-parents sont arrivés aux alentours de 1928. Ils appartenaient à une famille d’intellectuels de la première heure. Ils avaient été mentorés par Kevork Garvarentz et Chavarche Missakian, des figures, des intellectuels, des journalistes… » Cyril est lancé, il parle comme un livre ouvert, et feuillette en mode réalité-virtuelle les pages de la tragédie de 1915 qui a touché une partie de sa famille.

Comment ce génocide a-t-il été envisageable ? Il a été, malheureusement, une monstrueuse réalité qui a frappé la longue cohorte des 1,5 million d’Arméniens d’Anatolie et de Cilicie, qui marchaient, tels des cadavres en haillons, vers leur mort promulguée au plus haut niveau de l’Empire ottoman, en plein désert.

« Ils étaient de Mouch (NDLR : aujourd’hui Mus, dans la région du même nom, en Turquie), ensuite, ils sont passés à Smyrne. Après le terrible incendie, ils sont allés en Grèce. Puis de Grèce, ils sont arrivés à Paris. »

Cyril est touchant, très. Il évoque le parler en français de ses grands-parents maternels. « Oui, cela m’a, toujours, impressionné, ils étaient exemplaires. Ils étaient Francophones par conviction. Ils aimaient la langue de Molière. » Son grand-oncle était journaliste et a travaillé pour le journal Haratch.            

Haratch veut dire « en avant »

Nous ne sommes pas encore à 100% dans l’univers professionnel de Cyril Harpoutlian, celui de la Tech, mais cet univers arménien fait partie de lui, à part entière. Il connait tellement bien son histoire, comme s’il avait baigné dedans dès le début du génocide de 1915, dès le 24 avril où démarre la rafle des élites. Haratch, ce premier quotidien en langue arménienne d’Europe aurait 100 ans l’année prochaine. Fondé en 1925, il a tiré le rideau de sa révérence, il y aura 15 ans, le 30 mai 2009.

Parmi les élites intellectuelles, qui ont été les premières victimes de ce terrible génocide, qui aura fait plus d’1,5 million de morts, il faut souligner quelques survivants. Ces-derniers, déracinés, blessés à tout jamais par l’horrible extermination qui a touché une partie de leurs familles, vont renaître en s’exprimant, en écrivant, en travaillant avec leur talent unique au monde : celui de l’écriture, du journalisme, de la plume des informations quotidiennes. Ils s’appellent : Nechan Bechiktachlian, Melkon Kebabdjian, Armen Lubin, Chavarche Missakian, Chavarch Nartouni et Teotig.

Si tous les journalistes d’aujourd’hui recherchaient un mentor, un patron, une référence, Chavarche Missakian serait, ainsi, l’homme-clé. Grand intellectuel et journaliste de renom, dans l’Empire ottoman, par chance, il n’est pas raflé avec les autres élites, le 24 avril 1915. Il sera arrêté un an plus tard, le 26 mars 1916. Puis, il sera relâché, par une nouvelle heureuse chance. C’est, donc, lui, le mentor de la famille de Cyril.

Un entrepreneur social de la Tech est né

C’est dans cette double culture que naît Cyril Harpoutlian dans les années 75, à Paris. Ses parents travaillent, alors, dans le secteur de la santé et du textile. Après ses études secondaires au Lycée Lakanal de Sceaux, Cyril entame des études supérieures en Management. En 1998, il obtient son Master. « C’est à ce moment-là où je me suis spécialisé dans le secteur de l’IT et des Nouvelles Technologies. » Plus qu’une spécialisation, il fait de la Tech sa passion. Après son DESS en informatique à Dauphine, il intègre en 1999 sa première start-up en tant que salarié : procar.com. « J’ai eu la chance de tomber dans la potion magique d’Internet au tout début. J’étais en charge de concevoir l’architecture des tiers. » La chance tourne car la bulle internet est passée par là. Elle éclate au début des années 2000. La start-up est, alors, revendue. Cyril rebondit tout en continuant à ronger son frein d’entrepreneur. Il intègre, ensuite, plusieurs sociétés informatiques, comme Devoteam et Unilog.

« En 2008, en pleine crise des subprimes, je décide, enfin, de monter ma boîte. » Avec ses associés, Cyril lance Openbridge, un cabinet de conseil spécialisé dans les nouvelles technologies, notamment sur les sites internet, les portails, les CMS, l’intelligence d’entreprise, les outils collaboratifs et l’architecture informatique.

En 2013, avec ses 100 salariés, la boîte est revendue. Une nouvelle aventure attend Cyril. Il rejoint, comme CEO, Daveo, une société de conseil en management, en stratégie et en technologies. Il en devient le second associé et entre avec un fonds d’investissement. Il y restera 8 ans, jusqu’en 2022, lorsque Daveo est revendue à Magellan Partners.

La première fois en Arménie et… RELQ

« Quand j’ai une vingtaine d’années, avec mon oncle, ma tante et le Fonds Arménien de France, je mets pour la première fois les pieds en Arménie. Nous sommes dans les années 1990, après le tremblement de terre de Spitak, et la chute de l’ex-URSS. L’Arménie est redevenue indépendante. Ce premier voyage m’a fortement marqué. » Cyril est plus que marqué par les gens. « C’est la qualité des gens, de cette civilisation arménienne qui m’a profondément touché. »

Lors de la guerre de 2020, qui a vu l’Azerbaïdjan envahir 70% du territoire ancestral arménien du Haut-Karabakh (enclave arménienne devenue indépendante en septembre 1991), en 44 jours, Cyril est bouleversé. « Avec Tania Aydenian, Valentina Poghosyan et Xavier Kutalian, nous nous sommes dits que nous ne pouvions en rester-là. Il était, désormais, nécessaire de changer de logiciel, d’avoir de l’impact directement en terre d’Arménie. »

C’est, à ce moment-là, que naît le projet RELQ. « C’est une école 100% gratuite, 100% inclusive ». Créée en décembre 2020, cette école est structurée autour d’une association en France et d’une fondation en Arménie.

« Grâce à mon fils »

« Oui, cela peut paraître surprenant, mais j’ai créé ce projet grâce à mon fils. A l’époque il avait 10 ans ! Il s’appelle Ari. » Car entretemps, Cyril s’est marié. Il a épousé Lena, qui est journaliste. Ensemble, ils ont 3 enfants : Ari, Anton et Alec.

Pendant la guerre de 2020, toute la famille passe ses week-ends à collecter des dons alimentaires, des médicaments, et à faire des colis… direction l’Arménie. A la fin de la guerre – qui se termine, donc, par une défaite pour les Arméniens du Haut-Karabakh – Ari vient voir son père et lui dit : « Papa, je n’ai pas l’impression que nous ayons changé quelque chose à la situation des pauvres Arméniens. Tu ferais mieux de faire quelque chose de concret. » Ce dialogue inédit continue entre le petit-homme et son papa, qui lui demande : « Mais faire quoi ? ». Ari lui répond : « Apprends-leur à faire ton métier… »

Ni une, ni deux, ni trois, Cyril prend contact avec Simplon, une start-up de 2013 qui s’est spécialisée dans la création d’écoles de la seconde chance sur les métiers du numérique. Et, il reprend son bâton de pèlerin en France et en Arménie.

RELQ en grand

Après la recherche de sponsors, Cyril boucle son premier tour de table avec « nos sponsors de la première heure sans qui rien n’aurait été possible. : Amundi-Acba, Armenia Peace Initiative, le Fonds Arménien de France, le G2IA, CCI France Arménie, Hadès Patrimoine, les Régions Ile-de-France et Auvergne-Rhônes-Alpes ».

Depuis son lancement, RELQ a formé près de 200 Arméniens. Son budget annuel ? Il est +/- de 150 000 euros. Mais il risque de doubler dans les prochains mois.

Au sujet des cours, Cyril tient à préciser que « tous nos cours sont on-line. Ils sont animés en live, mais ils sont dispensés on-line ».

Plus précisément, les cours s’étalent sur une durée de 6 mois. Ils sont réalisés en partenariat avec Simplon.co, un réseau international de programmes inclusifs de formation numérique. La formation est diplômante et reconnue BAC+2 en France. Aujourd’hui, 3 cursus sont proposés : en cybersécurité, en data management et en web development.

La plus grande fierté de l’équipe ? Une majorité de femmes par promo et un taux de réussite à l’examen supérieur à 90%.

Comment les aider ? L’équipe recherche de nouveaux sponsors.

Pour en savoir plus : https://www.relq.am/fr/

Pour le mécénat : cyril@relq.am

Pour les soutenir : https://dons.relq.am/

Reportage réalisé par Antoine BORDIER


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