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La croissance impressionnante de l’économie russe

L'économiste fait un point sur l'économie russe, ainsi que sur la politique monétaire menée par la Banque centrale de Russie, qui use tout particulièrement du contrôle des capitaux.

Le président russe Vladimir Poutine (Photo Sergei Bobylev/Tass/ABACAPRESS.COM)

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Retrouvez cet article dans Géostratégie Magazine

L’économie russe est en train, à l’automne 2023, d’effacer les conséquences les plus graves des sanctions. Ces dernières auront donc été inefficaces pour dissuader la Russie et pour l’affaiblir. La croissance russe actuelle est spectaculaire. Elle démontre que le pays a su trouver en lui-même des sources de croissance inattendues pour nombre d’observateurs occidentaux. Mais, cette croissance révèle aussi que l’économie russe a changé. Il faut désormais prendre la mesure de ces changements. Ils font émerger de nouveaux problèmes, et en particulier pour la politique monétaire dont on peut se demander si elle est toujours adaptée à la nouvelle situation.

La Russie déjoue régulièrement les prévisions

Depuis l’été 2022, la Russie déjoue régulièrement les prévisions des analystes occidentaux mais aussi, il convient de le dire, de certains analystes russes. Alors que d’avril à juin 2022, les institutions économiques occidentales prévoyaient le pire pour la Russie (-11,2% pour la Banque Mondiale, -10,0% pour l’OCDE, -8,5% pour le FMI), l’année s’est terminée sur une contraction de seulement -2,1%. Pour 2023, on constate à peu près la même chose. On a commencé par annoncer une nouvelle contraction de l’économie, puis le FMI a annoncé un chiffre positif, +1,5% en avril dernier, et a révisé son estimation en octobre à 2,25%. Les prévisions des analystes russes ont-elles aussi évolué.

Le décalage des chiffres entre le bulletin trimestriel publié par l’Institut des Prévisions économiques et le bulletin d’analyse de court terme s’explique car les chiffres du bulletin trimestriel, issus du modèle QUMMIR, sont toujours en retard par rapport aux prévisions faites par le même institut tous les mois (ou Kratkospotchnyj analiz dinamiki VVP) qui sont publiées chaque mois. Cela n’est pas étonnant. Les paramètres du modèle, lors des exercices trimestriels, montrent une plus grande inertie que lors des exercices de prévisions à très court terme. Cependant, ces résultats tendent à s’aligner sur ce qui deviendra progressivement la réalité de la croissance économique.

Une forte demande

En fait, l’économie russe connaît une forte croissance depuis la fin du premier trimestre 2023. La croissance moyenne du PIB sur mars-août 2023 atteint 4,3% et devrait atteindre 3% pour l’année. L’industrie manufacturière a, quant à elle, atteint les 9,4% de croissance sur la même période, ce qui est exceptionnel. La construction progresse aussi largement et le salaire réel a augmenté en moyenne sur les 6 derniers mois de 8,0%.

Cette situation s’explique par plusieurs facteurs : la consommation des ménages a repris et tire les industries produisant des biens de consommation ; l’effort de guerre – le budget de la défense devrait monter en 2024 à 6% du PIB – a aussi un impact positif sur les industries mécaniques et la métallurgie ; enfin, les programmes de substitution aux importations commencent à porter leurs fruits avec des taux de croissance astronomiques dans les industries électroniques (+39% pour les 6 derniers mois) et les industries électriques et optiques (+30%). Globalement, la croissance de l’industrie tire l’économie.

Une inflation de 6% à 7% pour 2023

Elle s’explique par une forte demande, tant privée que publique, par des importations de machines perfectionnées de la Chine et d’autres pays, mais aussi par d’importantes aides, directes et indirectes, de l’État. De fait, l’économie russe est en train d’évoluer, avec une hausse de la production manufacturière et une baisse relative de la production de matières premières, mais aussi du fait de changements dans le domaine monétaire et financier, avec l’arrêt des sorties de capitaux, et dans la structure des investissements. Ce changement engendre alors une forte demande. Cette forte demande, et ses implications sur l’emploi, entraînent un climat inflationniste qui devrait perdurer en 2023 et 2024. La Banque centrale s’attend d’ailleurs à une inflation de 6% à 7% pour 2023.

L’économie russe n’est pas une économie de guerre au sens de ce que l’on a connu dans le premier et le second conflit mondial. Mais, la guerre et les sanctions ont provoqué un changement important. L’économie russe s’est définanciarisée, et elle a réduit l’importance de certains marchés. Pourtant, l’investissement progresse de manière évidente, avec une croissance de +12% au deuxième trimestre 2023, ce qui explique aussi la forte croissance que l’on connaît actuellement.

Changement de modèle

Ceci conduit à penser que l’économie russe est en train de changer de modèle. Ce changement n’est pas encore accompli, mais il est néanmoins bien engagé. Les processus de définanciarisation, comme l’obligation du rapatriement immédiat des bénéfices d’exportation, la dédollarisation de l’économie et les programmes de soutien à la substitution aux

importations ont joué un grand rôle dans ce changement. Ce changement s’accompagne d’une réorientation de l’économie, dans ses relations géographiques mais aussi dans la croissance du secteur manufacturier face aux matières premières.

L’étude des sources de l’investissement est aussi très significative. On constate que l’autofinancement est redevenu la source principale de ces investissements, alors qu’il ne représentait, en moyenne sur la période 2000-2016, que 43,2% du total. Le basculement ici est net. Il implique que les profits des entreprises sont devenus la variable capitale pour le financement des investissements. L’autofinancement est suivi de près par les subventions publiques (qu’elles proviennent de l’État fédéral ou des régions) et par les crédits inter-entreprises, qui sont globalement alloués par les grands groupes publics. Cela implique que la politique des taux directeurs de la Banque Centrale ne peut avoir qu’un effet, essentiellement indirect, réduit. Le crédit bancaire, lui, ne dépasse pas les 10%.

Taux directeur relevé

Ce changement prend la forme à la fois d’un changement dans la structure de la production, dans des modifications de la demande solvable globale et un poids croissant mais pas écrasant de la puissance publique, et – à terme – dans des modifications des structures de financement. Ces changements sont cohérents avec le contexte global dans lequel l’économie russe est immergée. Ils aboutissent à faire que l’économie russe est de plus en plus une économie contrainte par l’offre (et l’offre de travail en particulier) et aussi une économie qui devient moins sensible aux instruments qualitatifs de la politique monétaire (les taux d’intérêts) et plus à des instruments quantitatifs.

En ce qui concerne la politique monétaire, la Banque Centrale de Russie a décidé de relever son taux directeur de 12% à 13%, et elle pourrait envisager une nouvelle augmentation le 15 octobre. Cette décision a ranimé un débat sur la cohérence de la politique monétaire menée par la Banque Centrale vis-à-vis de la croissance économique en Russie.

La Banque Centrale de Russie a adopté une stratégie de ciblage de l’inflation pour pouvoir continuer à opérer en situation de changes flottants en 2014. Cette politique a été maintenue malgré les fortes perturbations engendrées par la première vague de sanctions dont la Russie a été victime en 2014-2017.

Réorientation vers la production manufacturière

Cependant, cette stratégie de ciblage de l’inflation a suscité des critiques et des inconvénients manifestes. Elle était basée sur un taux de change flottant, mais avec le contrôle des capitaux, le taux de change n’est plus libre, ce qui rend cette politique incohérente. Les conditions du marché des changes et les canaux de transmission de la politique monétaire en Russie ont également évolué, ce qui n’a pas été pleinement intégré par la Banque Centrale.

En conclusion, l’économie russe est en train de connaître des changements significatifs, avec une croissance économique impressionnante et une réorientation vers la production manufacturière, accompagnée de modifications dans la politique monétaire. La politique de ciblage de l’inflation de la Banque Centrale est critiquée pour son inadéquation à cette nouvelle situation économique. La Russie est en train de réajuster son modèle économique et les outils de politique monétaire devront peut-être s’adapter pour répondre à ces changements.

Jacques Sapir

A lire : Poutine tente-t-il de contrôler l’approvisionnement mondial de pétrole ?


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7 commentaires sur « La croissance impressionnante de l’économie russe »

  1. Bien sûr! Et la marmotte plie le papier!
    Une économie de guerre en surchauffe, des dépenses lourdes dans l’industrie de l’armement, des importations massives pour faire face aux ruptures de pièces et des stocks suite aux embargos, un rouble à 1 centime d’euro. de gros emprunts subventionnés pour soutenir facticement la consommation, des milliards transférés dans les zones Occupées, des salaires en forte augmentation faute de bras partis en exile ou la guerre, mais qui ne suivent pas l’inflation, des taux d’intérêts extrêmes, une natalité en berne, une population qui diminue, un système éducatif et de santé abandonné…
    La mèche est allumée…plus dur sera la chute…

    Répondre
    • Du petit lait de lire toujours ce type de vision totalement erronée. Poutine n’aura que moins d’efforts a fournir pour écrouler l’occident. Personnellement je lui conseillerais d’envoyer des T90M en Pologne histoire de voir comment nos petits français vont aller mourir dans les tranchées.

      Répondre
    • Je serai plus prudent :

      En 2022, FMI, Banque Mondiale et OCDE avaient prévu une récession comprise entre 8,5 et 11%.
      Elle fut finalement seulement de 2,1%…

      Vous répétez l’antienne de la natalité basse de la Russie.

      Mais je note que le taux de fécondité de la Russie (1,5) est dans la moyenne de l’UE (1,53), et qu’il est même supérieur à celui de l’Italie, l’Espagne, le Portugal, Malte, l’Autriche, la Pologne, la Finlande ou même du Canada (1,4) 😉

      Vous évoquez de « gros emprunts »…

      Savez-vous que nous Français, sans même être impliqués dans une guerre de haute intensité mobilisant des centaines de milliers d’hommes et des ressources matérielles immenses, sans s’être vu infligés 12 000 sanctions… avons emprunté 240 milliards € en 2023 ?

      Et 280 milliards sont prévus pour 2024…

      Toujours en 2023, nous avons enregistré un deficit de notre balance commerciale de 100 milliards € et un deficit budgétaire à 4,8% (contre 1,8% pour la Russie en guerre et avec le prix du pétrole capé à 60 $) !

      Notre situation m’apparaît bien plus inquiétante…

      Répondre
  2. Étonnant de lire cet article à contre courant de l’ensemble de ce que l’on peut lire. Par contre, aucune référence ou source.
    Et puis, patatra…… l’auteur est Jacques Sapir qui intervenait en permanence sur RT et pro russe acharné.
    Déçu.

    Répondre
  3. Ce n’est pas parce qu’il serait pro-Russe que ses statistiques sont forcément fausses.
    Evitez, de grâce, le biais de confirmation 😉

    Restez sceptiques… mais ne concluez pas sans confirmation de vos suppositions.

    Pour ma part, je constate que même la presse anglo-saxonne va dans le sens de Jacques Sapir.

    – BBC.com le 15/02/24 : « La semaine dernière, le Fonds monétaire international (FMI) a souligné la solidité de l’économie russe en relevant ses prévisions de croissance pour cette année de 1,1 % à 2,6 %.

    Selon les chiffres du FMI, l’économie russe a connu une croissance plus rapide que celle de l’ensemble du G7 l’année dernière et elle connaîtra une nouvelle croissance en 2024. »

    – Bloomberg : « Russian Manufacturing Booms With Economy on War Footing »

    – The Economist : « Russia’s economy once again defies the doomsayers »

    etc.

    Répondre

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