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Lutte contre le blanchiment d’argent : Monaco va-t-il être sanctionné ?

La Principauté de Monaco se trouve actuellement sous les feux des projecteurs suite à une enquête récemment publiée dans le quotidien français Le Monde. Cette enquête révèle que des parties de la fortune de la famille princière ont été discrètement placées dans des paradis fiscaux, selon des documents de l’ex-administrateur des biens de la Couronne tombé en disgrâce (1).

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Par Elena Pavlova, experte en intelligence économique et conformité Lab-FT

Cette enquête, associée aux récentes recommandations du Moneyval concernant le renforcement des mesures contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, place Monaco dans une position délicate sur la scène internationale. L’urgence de répondre à ces enjeux tout en rétablissant la confiance des marchés financiers devient une priorité cruciale pour la Principauté. Cet article examine les enjeux cruciaux exposés par le rapport Moneyval et les mesures prises par Monaco pour répondre à ces défis.

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Les enjeux cruciaux révélés par le Rapport Moneyval

Dans un rapport daté de décembre 2022, le Moneyval, organe de lutte contre le blanchiment d’argent du Conseil de l’Europe, exhorte Monaco à renforcer ses mesures contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Bien que le pays ait démontré une certaine efficacité dans la compréhension des risques et la coopération internationale, des lacunes majeures subsistent, notamment dans les enquêtes et poursuites liées au blanchiment d’argent ainsi que dans la confiscation des produits du crime. Des améliorations fondamentales sont également nécessaires dans le système de supervision et la transparence des entités légales (2).

Le rapport souligne que Monaco a fait des efforts louables pour évaluer les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, mais des analyses plus approfondies sont nécessaires dans certains secteurs, comme les casinos et les fournisseurs de services aux entreprises. Les enquêtes et poursuites en matière de blanchiment d’argent ne sont pas conformes au profil de risque du pays, avec un nombre de condamnations très faible et des mesures de confiscation limitées. De plus, les lacunes dans l’obtention d’informations sur les bénéficiaires effectifs et les sanctions insuffisantes contribuent aux déficiences observées.

Enfin, le Moneyval recommande à Monaco d’améliorer considérablement sa coopération internationale, en mettant l’accent sur une approche plus adaptée aux risques et en surmontant les obstacles législatifs et judiciaires. Bien que le pays recherche généralement la coopération de ses homologues, des défis persistent, notamment dans les demandes d’extradition et l’application des mesures de gel des avoirs. Suite à cette évaluation, le Moneyval a décidé de mettre en œuvre une procédure de suivi renforcée et a invité Monaco à faire un rapport en décembre 2024.

La publication du rapport Moneyval met en évidence les conséquences stratégiques potentielles pour Monaco, en particulier en ce qui concerne son statut sur la liste grise du GAFI (Groupe d’action financière). Un éventuel passage sur cette liste pourrait avoir des répercussions significatives sur la réputation financière de la Principauté et sa capacité à attirer des investissements internationaux. Les investisseurs et les institutions financières pourraient devenir plus prudents dans leurs interactions avec Monaco, ce qui pourrait compromettre sa position en tant que centre financier mondial.

Conséquences du placement sur la liste grise du GAFI

Lorsqu’une juridiction est ajoutée à la liste grise du GAFI, cela indique qu’elle collabore activement avec l’organisation pour améliorer ses dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Il est important de noter que le GAFI n’impose pas de sanctions en raison de cette inclusion sur la liste grise(3).

La plupart des pays ajoutés à la liste grise démontrent un engagement politique à renforcer leurs dispositifs de LBC/FT, et beaucoup d’entre eux parviennent à en sortir dans les cinq ans qui suivent. Cependant, la liste grise peut être interprétée par d’autres pays et juridictions comme un signe de risque élevé en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Cela peut avoir des conséquences économiques, telles que l’impact sur le secteur financier du pays concerné et une réduction de l’aide financière internationale. La conséquence la plus sérieuse d’une inclusion sur la liste grise est le risque pour un pays de continuer à être non conforme et d’être finalement inscrit sur la liste noire du GAFI. Cela entraînerait l’application de sanctions et une détérioration beaucoup plus grave de la réputation du pays concerné.

Actions prises par Monaco depuis le rapport Moneyval de 2023

Dans un contexte marqué par une mobilisation intense des autorités monégasques pour éviter une inclusion sur la « liste grise » des pays déficients en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le registre des bénéficiaires effectifs des sociétés monégasques est le théâtre d’une activité inhabituelle. Les dirigeants d’entreprise affluent pour se conformer à cette exigence de transparence, bien que certains expriment leur frustration face à ces nouvelles obligations bureaucratiques (4).

Cette pression accrue est cohérente avec la tendance mondiale observée dans d’autres pays, où l’augmentation des coûts de conformité constitue un défi majeur pour les professionnels assujettis, en particulier dans les pays récemment placés en liste grise. Les coûts opérationnels augmentent avec la nécessité d’investir dans la mise à jour des politiques et des procédures internes, ainsi que dans l’embauche de personnel qualifié pour des contrôles KYC approfondis et des vérifications renforcées des clients et des transactions.

Pour échapper à une possible dégradation de sa réputation financière, Monaco s’est engagée à renforcer son cadre législatif et réglementaire. Depuis la fin de l’année 2022, Monaco a adopté plusieurs lois visant à renforcer sa lutte contre le blanchiment de capitaux et la corruption, tout en cherchant à améliorer la transparence financière.
Des mesures ont été prises pour transformer la cellule de renseignement financier Siccfin en une autorité indépendante Autorité Monégasque de Sécurité Financière (AMSF), dotée de pouvoirs de sanctions, et pour instaurer des sanctions dissuasives à l’encontre des sociétés ne déclarant pas leurs bénéficiaires effectifs. Cependant, certaines de ces mesures ont rencontré des obstacles pratiques et suscité des critiques quant à leur efficacité réelle dans la lutte contre le blanchiment d’argent.

De plus, l’investissement dans des solutions technologiques telles que l’automatisation des processus est devenue incontournable pour répondre aux exigences de conformité croissantes, une tendance également observée à Monaco. Par exemple, les institutions financières et autres assujettis de la Principauté déploient actuellement et se familiarisent avec l’application GoAML, une plateforme des Nations Unies, afin de soumettre des déclarations de soupçon à la Cellule de renseignement financier (CRF). Malgré ces efforts, des défis structurels persistent, notamment en ce qui concerne le faible nombre de condamnations judiciaires pour blanchiment d’argent.
Les autorités monégasques devront rendre compte de leurs progrès dans les mois à venir, alors que les décisions du Conseil de l’Europe et du GAFI sont attendues pour évaluer la conformité de Monaco aux normes internationales de lutte contre le blanchiment d’argent.

La mise en lumière des enjeux soulevés par le rapport Moneyval met Monaco face à une question : pourra-t-elle éviter une inclusion sur la liste grise du GAFI et les conséquences qui en découlent ? La réputation financière de la Principauté et sa capacité à attirer des investissements internationaux sont en jeu, ce qui souligne l’urgence pour Monaco de redoubler d’efforts pour se conformer aux normes anti-blanchiment d’argent. Pour le moment, la route vers la réhabilitation sur la scène internationale semble semée d’obstacles.

Elena Pavlova

A LIRE AUSSI : Médias : TV Monaco sous le feu des critiques

(1) Le Monde. ENQUÊTE « Monaco, les cahiers secrets », 25.01.2024 https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/25/a-monaco-l-heure-descomptes-a-sonne_6212938_3210.html

(2) Council of Europe, newsroom: Monaco should step up its efforts to investigate and prosecute money laundering, to confiscate and recover proceeds of crime as well as to strengthen its supervisory system, 23 January, 2023.
https://www.coe.int/en/web/moneyval/-/monaco-should-step-up-its-efforts-to-investigate-and- prosecutemoney-laundering-to-confiscate-and-recover-proceeds-of-crime-as-well-as-tostrengthen-its-supervisory-system

(3) L’impact de la liste grise du Groupe d’action financière – GAFI (Financial Action Task Force – FATF), https://www.u4.no/publications/limpact-de-la-liste-grise-du-groupe-daction-financire-gafi- financial-action-task-force-fatf

(4) Le Monde. LES ENQUÊTES DES DÉCODEURS. Monaco s’attelle en urgence à la lutte contre le blanchiment d’argent pour éviter de passer sur « liste grise », 18.01.2024
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/01/18/monaco-s-attelle-en-urgence-a-la-lutte-contre-le-blanchiment-d-argent-pour- eviterde-passer-sur-liste-grise_6211563_4355770.html

Article publié dans le Magazine Geostratégie


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2 commentaires sur « Lutte contre le blanchiment d’argent : Monaco va-t-il être sanctionné ? »

  1. Quand on voit que la famille souveraine non imposable par nationalité….dans son propre pays où elle est inattaquable….place son propre argent dans d autres paradis fiscaux inscrits en liste noire du GAFI….ca laisse comprendre le véritable refus de coopération des autorités monegasques pour la transparence financière et fiscale….

    Répondre
  2. Il est intéressant de voir que Michel Hunault, qui était dernièrement directeur de la cellule de renseignement financier Siccfin s’est fait la malle s’en qu’on n’en sache plus. Piètre avocat au barreau de Nantes, député, fils de son père député-maire et frère jumeau de l’actuel maire de Châteaubriant ( depuis 2001), on se demande si ce n’est pas pour son incapacité qu’il avait été choisi.

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