Je m'abonne

La désoccidentalisation du monde est une chance pour l’Europe

Entreprendre - La désoccidentalisation du monde est une chance pour l’Europe

Par Max-Erwann Gastineau, politologue, diplômé en histoire et en relations internationales. Il analyse les rapports de force idéologiques au sein de l’Europe. Essayiste, il a publié Le Nouveau Procès de l’Est, Editions du Cerf, 2019.

La désoccidentalisation du monde désigne un processus entamé sous les auspices de la décolonisation, galvanisé par la mondialisation, marquant la montée en puissance politique, économique, et culturelle des pays du Sud. Pays dont les atouts et la souplesse stratégique, illustrés par le multi-alignement de l’Inde ou le « non-alignement actif » du Mexique et du Brésil, forment autant de pôles de résistance à l’influence de l’Occident, y compris sur ses terrains de prédilection que sont historiquement : l’excellence technologique et les « valeurs », la prétention morale des pays de l’Ouest – contredite par la guerre en Irak, l’intervention en Libye ou la crise financière de 2008 – à détenir, seuls, les clés d’un ordre mondial plus juste et plus stable.

Sous l’effet de la désoccidentalisation ou de la « sudisation » du monde, des références et des idéaux, un nouvel ordre international s’instaure, mettant fin à « l’ère de l’imitation » du modèle occidental, en perte de vitesse objective sur fond de crise des démocraties libérales (fractures sociales et civiques, déclin démographique, dépendances industrielles, tensions culturelles), pour entrer dans « l’ère de l’affirmation ».

En psychologie, l’ « affirmation de soi » désigne un style d’interaction avec les autres fondé sur le sentiment de sa propre valeur et le droit d’en revendiquer les aspérités. L’affirmation suppose donc une « conscience de soi », ou une « conscience collective » (Encel, 2022) à l’échelle d’un État. Elle induit, à cette échelle, la capacité à concevoir et à projeter ses intérêts singuliers.

Elle préface aussi l’adhésion des populations, l’identification d’un peuple à la « cause nationale » incarnée par le décideur, les hommes ne s’accomplissant jamais de façon solitaire, rappelait Raymond Aron, mais dans « la réalisation de valeurs nationales (…), chaque nation [donnant] un contenu propre à l’idéal ».

En Occident, les États-Unis conservent une haute estime et conscience d’eux-mêmes et de leurs intérêts nationaux. Quid des Européens, condamnés à se ranger derrière la bannière « occidentale », c’est-à-dire transatlantique, au péril de leur autonomie, faute de conscience collective forte, de grands récits fédérateurs, de vision du monde propre, « européano-européenne » ?

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les voix se dressent pour appeler l’Europe à intégrer le « langage de la puissance », sans lequel elle ne pourra s’affirmer, à son tour, dans un monde multipolaire où se mêlent intérêts et valeurs, racines civilisationnelles (confucéennes, hindouistes, orthodoxes…) et course à l’innovation. Mais peut-elle vraiment intégrer ce langage ?

Dans Le grand échiquier, Zbigniew Brzeziński rappelle que la puissance, dont le maintien est la condition de la prospérité et de la sécurité nationales, exige « un haut degré de motivation doctrinale, d’engagement intellectuel et patriotique ». Tout ce qu’il manque à l’Europe, dont le projet et les valeurs se sont construits depuis 1945 sur le droit et l’économie, en vue de dépasser le vieux patriotisme des États-nations et leurs assises géohistoriques.

Mais elle n’a plus le choix. Un « there is no alternative » géopolitique se dessine. L’Europe devra renouer avec la puissance, l’histoire, la géographie, les notions de frontières et de souveraineté, d’intérêt national et de rapport de force et, à cette fin, entamer une révolution intérieure, « passer du temps des missionnaires au temps des monastères », résume Ivan Krastev, pour « bâtir une enclave alternative », à la fois plus soucieuse de préserver la cohésion de ses propres nations, mises à mal par une « ouverture » économique et culturelle irraisonnée, et d’intégrer la diversité du monde, les contours d’un environnement géostratégique inédit, mettant fin à 400 ans de domination sans partage de l’Occident.

Max-Erwann Gastineau

Tribune exclusive pour Géostratégie magazine.


Vous aimez ? Partagez !


Entreprendre est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Offre spéciale Entreprendre

15% de réduction sur votre abonnement

Découvrez nos formules d'abonnement en version Papier & Digital pour retrouver le meilleur d'Entreprendre :

Le premier magazine des entrepreneurs depuis 1984

Une rédaction indépendante

Les secrets de réussite des meilleurs entrepreneurs

Profitez de cette offre exclusive

Je m'abonne