Bras de fer avec les négociants
Les conditions météorologiques en Côte d’Ivoire et au Ghana, qui représentent à eux deux plus de 60% de la production mondiale, devraient entrainer une baisse de la production de 25% sur les récoltes 2023-2024. Le cacao est en effet une culture précaire nécessitant des conditions optimales pour pousser, ce qui le rend particulièrement vulnérable aux changements climatiques et aux prédateurs.
En l’occurrence, c’est le phénomène El Niño, caractérisé par des températures anormalement élevées de l’eau dans l’est de l’océan Pacifique sud, qui est à l’origine de ces fortes précipitations dans les zones de production, qui ont causé la chute de fleurs naissantes et la propagation de maladies fongiques.
Ces prévisions de rendement alarmantes, assorties à une demande mondiale de chocolat en forte hausse, ont d’ores et déjà entrainé une envolée du cours de l’or brun de 77% sur un an. Celui-ci atteignait en effet, il y a quelques jours, son niveau le plus élevé depuis 1978, à 3 940 dollars la tonne pour échéance en décembre à New York, prix qui n’a cessé d’augmenter depuis, pour atteindre 4118 dollars ce mercredi.
Malheureusement, cette hausse ne va pas profiter aux exploitants, ni même aux pays producteurs, mais aux négociants, le prix d’achat étant fixé par anticipation avant chaque récolte. Depuis 2012 le cacao est en effet acheté à prix fixe, pour un montant décidé lors de la journée mondiale du cacao, le 1er octobre, ; officiellement pour protéger les producteurs contre la fluctuation des cours mondiaux.
Le prix de la saison 2022-2023 avait ainsi été fixé à 900 francs CFA le kilogramme (1,37 euro), et a été réhaussé à 1000 francs CFA (1,52 euro) le 1er octobre dernier ; un montant insuffisant selon Edmond Konan, président en charge de la normalisation, de la certification, de l’étiquetage et du développement durable à la Confédération patronale des PME de Côte d’Ivoire, qui redoute que les exploitants ne quittent la cacaoculture. « La plus grande menace de la filière cacao, rappelle Edmond Konan, c’est la diversification. Les planteurs ont un comportement rationnel : si une culture s’avère plus rentable que celle du cacao, ils quitteront la cacaoculture. »
Pire, soucieux d’un éventuel retournement du marché, ces mêmes négociants rechignent à acheter le cacao pour la saison suivante à ces prix élevés, et tentent de repousser les achats. Ils jouent, pour cela, sur les primes, dont ils demandent tout bonnement la suppression. Inconcevable pour le Conseil Cacao-Café (organe régulant les deux filières ivoiriennes), qui ne transigera sur ces deux acquis – l’un lié à l’origine et à la qualité des fèves, l’autre au rééquilibrage des revenus en faveur des paysans – pour rien au monde.
Vers une puissance chocolatière
Malgré cette résistance acharnée, la Côte d’Ivoire est dépendante de ses exportations de cacao (14% de son PIB) et par conséquent des quelques négociants qui dominent le marché. Pour sortir de cette situation, le pays doit développer son industrie de transformation du cacao, pour contourner ces intermédiaires et se rapprocher du consommateur. En d’autres termes, il ne doit plus se contenter d’être une puissance cacaoyère, et devenir une puissance chocolatière. Or, justement, le processus est en marche.
La Côte d’Ivoire a ainsi enregistré une hausse de la transformation locale de cacao de 9% entre 2021 et 2022, portant la part de fèves transformées dans le pays à 31% en 2022. Abidjan ambitionne même de transformer la totalité de son cacao d’ici 2030, grâce à l’implantation de nouvelles usines sur son sol, comme celle inaugurée en juillet dernier à proximité du port de San Pedro.
Cette infrastructure flambant neuve construite par le groupe malaisien GCB Cocoa devrait, à terme, employer 314 personnes et transformer 240 000 tonnes de fèves de cacao en ingrédients de chocolats par an. Il s’agit de l’un des effets, déjà perceptibles, de la politique d’incitations fiscales et douanières entamée par la Côte d’Ivoire il y a trois ans, visant à multiplier les initiatives de ce genre et attirer les investisseurs étrangers.
Cette transformation de l’industrie cacaoyère apparaît d’autant plus nécessaire que les pressions ne sont plus seulement économiques, mais aussi idéologiques. Pour de nombreux auteurs et intellectuels ivoiriens, il importe ainsi de « décoloniser » l’industrie du chocolat, pour rééquilibrer le rapport de force en faveur de ceux qui produisent le cacao. Un rapport qu’Alain Kablan Porquet, artisan chocolatier à la tête de la coopérative Cocoaïan, espère voir s’inverser grâce à la transformation de l’industrie cacaoyère ivoirienne. « On ambitionne que tout soit fait sur place, explique l’artisan, comme le vin ou la haute couture. On peut sortir de ce rôle de pourvoyeur de matières premières pour commercialiser, sur le marché local comme à l’export, un produit fini de haute qualité. »
Anaïs Lamarge
De puissance cacaoyère, la transformation de la Côte d’Ivoire en puissance chocolatière
Représentant à elle seule 45% de la production mondiale de cacao, la Côte d’Ivoire est, mécaniquement, très dépendante du secteur (14% de son PIB). Une position qui rend difficile pour Abidjan de s’imposer sur la question des prix face aux grands négociants (Cargill, Barry Callebaut, Olam, Nestlé). La solution ? Accélérer la transformation locale du cacao.
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