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A Valence, la petite Arménie lance un appel pour sauver l’Artsakh

l y a un siècle, c’est à Valence que la petite Arménie naissait à la suite du génocide de 1915. Elle tire, aujourd’hui, la sonnette d’alarme pour sauver les 120 000 Arméniens sous blocus azéri dans le Haut-Karabakh. Eclairage.

Copyright des photos A. Bordier

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C’est son surnom : « la petite Arménie ». Alors que le soleil tapisse l’horizon, au sud de Lyon, c’est une autre France qui se dessine dans la Drôme. Celle de la couleur, de la lavande, du soleil, du terroir et du vignoble si riche. Celle du Vercors et celle de la Méditerranée, dont l’air marin influence chaque moindre parcelle. Il y a un siècle, c’est à Valence que la petite Arménie naissait à la suite du génocide de 1915. Elle tire, aujourd’hui, la sonnette d’alarme pour sauver les 120 000 Arméniens sous blocus azéri dans le Haut-Karabakh. Eclairage.

Ce n’est pas le village de Pagnol, mais tout y ressemble. La pierre se réchauffe, déjà, en ce début du mois de janvier. Le jeune président de Radio A, la radio arménienne, Simon Hamamjian, est ravi d’annoncer qu’il vient de « recruter son 3è salarié ». La communication, l’information est son leitmotiv. « Oui, avec tout ce qui se passe en Arménie, en Artsakh, et dans le reste du monde, l’information est capitale. Elle est devenue vitale. Cela fera un mois qu’en Artsakh [République auto-proclamée, qui se situe dans la région du Haut-Karabakh, que Staline a spolié pour la livrer à l’Azerbaïdjan] 120 000 Arméniens sont coupés du reste du monde. Les magasins sont vides… » En provenance d’Alep, en Syrie – où il est né – à la suite du Printemps arabe, il rejoint la France et Valence. Simon est architecte d’intérieur diplômé. Il est, actuellement, vendeur dans un magasin. Il est, aussi, bénévole. Il démarre bien l’année : le 14 janvier, il fêtera les 40 ans de la radio.

Valence ? Cette petite ville de près de 65 000 habitants existe depuis un peu plus de deux millénaires. Elle épouse parfaitement le contour des plaines qui culminent à 200 mètres d’altitude, en suivant le lit du Rhône. Elle est, naturellement, délimitée par l’Isère au nord et la Drôme au sud. De l’autre côté du Rhône, c’est l’Ardèche, sa région sœur où vit, également, une communauté arménienne.

En 1915, dans ce qui deviendra la Turquie, a lieu le terrible génocide perpétré par les Ottomans contre les Arméniens. C’est à ce moment-là que les survivants fuient en Syrie, à Alep, puis, au Liban, à Beyrouth. Certains choisissent d’aller plus loin, en France, avec un accostage à Marseille. Parmi eux, le futur Henri Verneuil débarque à 4 ans avec ses parents, sur le Vieux Port. Il s’appelle, en réalité, Achod Malakian.

Plus au nord, en remontant le lit du Rhône, dès les années 1920-1925, les Arméniens forment la principale communauté étrangère de Valence. Selon Henri Siranyan, un enseignant-expert à la retraite, qui y vit, « il y avait 1200 Arméniens pour 1600 étrangers » à Valence. Aujourd’hui, les Arméniens représentent près de 10% de la population. Quand ils arrivent à Marseille, en 1915, sur leur passeport le tampon apatride leur délivre un aller sans retour. C’est, certainement, pour cela qu’ils s’intègrent et s’assimilent très rapidement. Ils deviennent 100% Français.

Le temps de la petite Arménie

Qu’ils soient prêtres, pasteurs, pères ou mères de famille, célibataires, laïcs, la vingtaine de Valentinois rencontrés ont tous un point commun : ils ont des racines arméniennes. Certains sont nés en Syrie, au Liban, et sont arrivés à Valence, il y a 10, 15, 20 ans. C’est le cas du père Antranig Maldjian, qui est prêtre, responsable de la communauté apostolique, et qui est, aussi, directeur de l’école Tavitian. « Après le génocide de 1915, la communauté qui avait survécu s’est rassemblée autour de l’Eglise. C’était un lieu de culte, mais, c’est, également, un lieu de rassemblement des familles et des associations. C’est grâce à la foi et à nos activités dans le domaine associatif, culturel et éducatif, que nous sommes toujours-là. » Son église, Saint Sahag, est régulièrement fréquentée. Elle a été restaurée et consacrée, il y a 30 ans, le 15 novembre 1992.

Il évoque son enfance marquée par les déménagements : né en Syrie, à Damas, à l’âge de 3 ans, ses parents partent pour Alep. Puis, en 1974, direction Valence. Il n’a alors que 8 ans. Pour lui, il n’y a aucun doute : « Les Arméniens font partie de l’histoire de Valence. Ils ont apporté leur petite pierre à l’édification de la vie industrielle. Historiquement, les Arméniens se sont, d’abord, installés en Ardèche, à Aubenas. Puis, à la fermeture des usines de soierie, ils sont venus à Valence, en 1923. Il y a eu, ensuite, avec la guerre du Liban, dans les années 75, une nouvelle vague d’immigration. » Antranig est un conteur.

Après la visite de son église, avant de retourner dans son bureau, il montre une œuvre du célèbre artiste Toros. Il s’assoit. Le père est soucieux : « Les Arméniens ne sont pas inquiets. Nous sommes très inquiets. » Il évoque l’Arménie et l’Artsakh sous la menace d’une nouvelle guerre et d’un génocide sous forme de blocus. « Les attaques sont incessantes. Nous sommes seuls. » Poète à ses heures, il cite Anatole France : « Arménie sanglante, mais Arménie vivante. »

Un appel à la Communauté Internationale

Antranig fait partie des prêtres mariés. Avec Roza, ils ont deux fils : Manouk et Massis (comme le nom du sommet du mont Ararat). « Je lance des appels à la paix tous les jours, sur les réseaux sociaux. J’espère que la situation va s’améliorer. Il y a urgence. L’Azerbaïdjan doit lever son blocus et faire la paix. Et la Turquie de même. »

Nous déambulons dans Valence, où la présence arménienne est visible. Il existe, toujours, le vieux quartier arménien aux alentours de la rue Bouffier, dans le centre. Charles Aznavour y a même son square, l’Arménie sa rue. Les restaurants arméniens sont nombreux, les épiceries, aussi. Au détour d’un virage, la Maison de la Culture Arménienne, est là. Toute belle, elle est éclairée. C’est la nuit.

Parmi les personnalités les plus connues qui font avancer la cause, les maires de Valence et de Bourg-lès-Valence, la ville-sœur voisine, tiennent un rôle de premier plan. Il y a deux ans, en novembre 2020, le maire de Valence, Nicolas Daragon, avait lancé cet appel en faveur de la reconnaissance de l’Artsakh, qu’il réitère encore aujourd’hui : « La reconnaissance de l’indépendance de cette République, au nom du droit des peuples à l’autodétermination, est le seul moyen de garantir la sécurité de ses habitants et d’éviter le nettoyage ethnique qui menace l’Artsakh ». Sa mairie est, d’ailleurs, pavoisée aux couleurs de l’Arménie et de l’Artsakh.

Du côté de Bourg-lès-Valence, la maire, Marlène Mourier, est tout autant engagée auprès de l’Arménie et de l’Artsakh. Elle est vice-présidente du Cercle d’amitié France-Artsakh. Elle est, particulièrement, inquiète de la situation qu’elle suit au quotidien. Elle reçoit, à ce titre, régulièrement, des menaces pour qu’elle cesse de soutenir l’Artsakh. Mais, pour elle, c’est impossible. Ce serait une trahison.

Pour marquer leur amitié et leur soutien, les deux villes se sont jumelées avec des villes arméniennes : Bourg-lès-Valence avec Talin, et Valence avec Itchevan. Un jumelage qui renforce les liens entre la France et l’Arménie nés au 5è siècle, aux premiers siècles de la chrétienté, déjà, en péril.

La jeune génération ne baisse pas les bras

Hagop Koujikian n’a pas la quarantaine, il fêtera, d’ailleurs, ses 36 ans, le 27 janvier. Né à Alep, il est arrivé à Valence au mois de juin dernier. Il a vécu une partie de son enfance au Liban, à Beyrouth. Marié à Esther, il a deux enfants : un garçon, Hesu, et une fille, Léa. Il est le nouveau pasteur de l’Eglise évangélique arménienne. Son parcours est, lui-aussi, étonnant. Entre 2000 et 2015, il vit au Liban. 3è d’une fratrie de 4 enfants, il arrive en France pour des raisons professionnelles. Classé comme réfugié syrien, il passe par un centre de rétention sur Paris. Puis, il vit 4 ans à Marseille. En 2019, à la suite d’une rencontre, il décide de devenir « pasteur ». Ecrivain, il a écrit en 2011 et 2013 deux livres.

Aujourd’hui, en plus de son apostolat, il s’occupe de nombreuses familles en difficulté. « Avec nos associations, nous intervenons auprès des personnes en difficulté. Elles ne sont pas toutes arméniennes. »

Les mots sont doux au prononcé, mais la réalité est dure. Hagop connaît bien le problème actuel du blocus orchestré par l’Azerbaïdjan. « Il n’y plus de médicament. Les magasins d’alimentation sont vides. Les Azéris coupent l’électricité, le gaz, et même le réseau internet. C’est un blocus, mais, c’est, surtout, du terrorisme. Et, le monde entier ne dit rien. »

Il lance, également, un appel à la communauté internationale et à la France : « Mettez votre liberté au service les uns des autres. Libérez le peuple de l’Artsakh. »

Kevin Markarian, 100% Valentinois, 100% Arménien

Mai 1968 est une date que l’on n’oublie pas. C’est en pleine révolution estudiantine que sa maman, Silva, arrive en France. Elle vient de Syrie. Et, son père, Grégoire, vient du Liban. Il arrive en France en 1976, au début de la guerre du Liban. Kevin est né à la fin des années 80. Ce jeune président local de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance s’engage pour réaliser des œuvres caritatives et organiser des cours de français. A 30 ans, il a été nommé président. Il en a, aujourd’hui, 34. 100% Valentinois, il a son cœur pris par la France et l’Arménie, où plongent ses racines ancestrales. Il se souvient qu’en 2021, « nous avons organisé notre premier voyage-humanitaire en Artsakh. Je faisais partie du voyage. Nous nous sommes faits passés pour des médecins pour réussir à passer le corridor de Latchine, actuellement fermé par le blocus. » 

Kevin est très inquiet. « Avec le mutisme de la communauté internationale, il faut garder l’espoir. Même si la Russie a fait de son pré-carré l’Arménie et l’Artsakh, les Arméniens sont déçus de l’inaction des Russes. Pour l’Artsakh, le Haut-Karabakh, la situation est différente. Elle est pire. Car le sujet n’est pas militaire, il est humanitaire. Mais, là, personne ne bouge pour permettre aux 120 000 Artsakhiotes de vivre librement. Peut-on laisser mourir de faim un peuple qui vit sur ses terres depuis plusieurs millénaires ? »

La question reste posée à l’ONU, aux Etats-Unis, à l’Europe, à la France. Mais, c’est le silence. Silence, on asphyxie un peuple-frère, sous blocus azéri. Faudra-t-il plus de morts en Artsakh. Le 3è est tombé ce matin…

Dans le Valentinois, les Arméniens se mobilisent, donc, pour l’Artsakh. La petite Arménie, de par son histoire, rappelle, justement, que certains peuples ont tout perdu. Et, qu’ils peuvent, heureusement, rebondir et se reconstruire. C’est une question de génération. Et, c’est ce que vit Kevin (le rebond professionnel). Il vient de rejoindre l’aventure d’une belle start-up : ECOPACK CONCEPT.

Marié à Gayané, il est devenu papa d’un petit Samuel. C’est pour cela qu’il tient à cœur son rôle de président. Dernièrement, il s’est transformé, surtout, en lanceur d’alerte. A son tour, il lance un appel à la Communauté Internationale et aux plus hautes autorités françaises : « La question arménienne est une question essentielle dans la mesure où elle concerne l’humanité tout entière. »

Son appel ? « Il faut continuer à se mobiliser, à mobiliser la Communauté Internationale. Il faut mobiliser les médias. »

Sa raison d’espérer ? Que l’Artsakh soit reconnue internationalement. Et, que l’Arménie soit unie !

Antoine Bordier


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