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Tombée de rideau sur le Festival YERAZ, avec le jumelage de la ville de Mont-de-Marsan et de Gyumri

Copyright des photos Antoine Bordier

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En pays Gascon, le Festival YERAZ, une quinzaine culturelle consacrée pour la première fois à l’Arménie, c’est déjà fini. Au programme de son dernier week-end : deux journées consacrées aux élus, un jumelage avec la ville de Gyumri et l’inauguration inédite d’un khatchar. Ce dimanche 3 avril, par un froid hivernal, la tombée de rideau est effective. Et, après ?

Deux jours avant, le vendredi 1er avril, Jean-Christophe Buisson, le directeur-adjoint du Figaro Magazine, Antoine Agoudjian, le célèbre photographe franco-arménien primé à plusieurs reprises, et, Hovahnnès Guévorkian, le représentant permanent de la république (auto-proclamée) d’Artsakh en France, avaient fait salle comble lors de leur table-ronde sur « L’Artsakh et la guerre des 44 jours« . Ce soir-là, au Théâtre de Gascogne, ils sont venus, aussi, des 4 coins de France, du nord, de Lille, de Paris, de Bretagne, du sud-ouest, de Biarritz, de Bordeaux, de Lyon, de Marseille, de Toulon, etc. pour écouter les 3 intervenants. Difficile de reparler de cette guerre, alors que les bombes à fragmentation pleuvent toujours en Ukraine, et, que tous les regards se tournent vers le  » grenier à blé de l’Europe « . L’émotion est palpable et poignante lorsqu’Antoine Agoudjian lance son film de 3 minutes. Ses images défilent, sous une musique arménienne mélancolique. Le noir-et-blanc alterne avec le grain des couleurs retravaillé par une sensibilité photographique qui donne une touche picturale propre à l’artiste. Il se souvient de cette guerre qui a commencé le 27 septembre 2020, pour se terminer 44 jours plus tard, par un cessez-le-feu, celui du 9 novembre. Il a passé trois mois sous les bombes à fragmentation et sous celles au phosphore. Il a vu des blessés, des morts, des immeubles éventrés, un peuple en exode jeté sur les routes. Certains ont été fauchés, égorgés, éventrés. Faut-il parler des femmes et des enfants ? Antoine parle d’épuration ethnique. Il est aux avant-postes. Il est sur ces terres arméniennes ancestrales, qu’il a souvent arpentées depuis sa première venue en 1988. « La première fois que j’ai mis les pieds en Arménie, c’était au moment du tremblement de terre de Spitak. A l’époque je travaillais dans l’humanitaire. »

Jean-Christophe Buisson, qui travaille au Figaro Magazine depuis 1994, ne s’en cache pas : « L’Arménie et l’Artsakh sont ma 3è patrie, après la France et la Serbie. » Grand-reporter, il couvre la guerre du Kosovo en 1999. Il collabore à plusieurs reprises avec Antoine Agoudjian. Les deux hommes s’apprécient. Ils se retrouvent en novembre 2020 sur ces terres arméniennes tant convoitées, à feu et à sang, dont 70% ont été conquises par la coalition des Turcs et des Azéris. La Turquie fait partie de l’OTAN, non ? Silence, on tue… « La Paix ne sera possible que lorsque la république d’Artsakh aura été reconnue », répète le représentant, Hovahnnès Guévorkian. Il semble impuissant, celui qui devrait être l’ambassadeur d’Artsakh en France. La reconnaissance internationale de cette région grande comme l’Alsace et la Lorraine n’est pas d’actualité.

La journée des élus

Le lendemain matin, le samedi 2 avril, pour lancer la journée des élus, François-Xavier Bellamy, le député-européen, Georges Képénékian, l’ancien maire de Lyon, Michel Marian, auteur et conférencier, et Gaïdz Minassian, journaliste au journal Le Monde, ont fait le déplacement. Ils interviennent pour parler de l’actualité arménienne. Tous sont unanimes pour décrire une situation difficile au moment où l’Ukraine monopolise l’attention. Le député-européen rappelle ses engagements et ceux d’une centaine de députés, qu’il a su entraîner à sa suite. Son premier voyage en Arménie ? Il le fait il y a un an, jour pour jour, le 2 avril 2021. « Je suis venu fêter Pâques en Arménie », raconte-t-il. Sur place, il sera très ému, et, pleurera sur les tombes des jeunes soldats-conscrits, qui avaient 18, 19 et 20 ans. Tombés au champ d’honneur : celui de l’Artsakh. Il se rend au cimetière militaire de Yerablur, avec l’ancien ambassadeur de France en Arménie, Jonathan Lacôte.

Dans l’après-midi de ce samedi 2 avril 2022, la journée des élus continuait autour du maire de Mont-de-Marsan, Charles Dayot. Autour de lui, le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, qui est le président du Groupe d’Amitié France-Arménie. Lui, était en Arménie, le 24 avril 2021, pour commémorer le triste anniversaire du génocide des Arméniens par le gouvernement turc de 1915, au mémorial de Tsitsernakaberd, dans les hauteurs d’Erevan. Il faisait partie de la délégation menée par Gérard Larcher, le président du Sénat. Toujours autour du maire, Déborah Zabounian est adjointe du maire d’Alfortville. Elle évoque son expérience et son association REAF, Rassemblement des Elus d’Arménie et de France, dont l’objectif est explicité dans son nom. Née pendant la guerre de 2020, le 12 octobre, cette association réunit, déjà, autour d’elle une vingtaine d’élus. L’ancien maire de Lyon, Georges Képénékian, et, l’actuelle ambassadrice d’Arménie en France, Hasmik Tolmajian, ont apporté leurs éclairages à Charles Dayot sur ses projets de jumelage avec la ville de Gyumri.

Un jumelage et des projets en perspective

La ville de Gyumri se situe dans la région de Shirak, en Arménie, au nord-ouest. D’Erevan, il faut compter plus de deux heures par la route, pour rejoindre la capitale culturelle, qui est la deuxième ville du pays, en termes de population (150 000 habitants). « Je suis allé pour la première fois à Gyumri en septembre 2021 », explique Charles Dayot. Avec le maire de Gyumri, Vardges Samsonyan, ils dessinent les premiers contours d’une future collaboration durable, qui porte un nom : celui de jumelage. 6 mois, plus tard, dans la foulée de cette visite, le Festival YERAZ était lancé.

Vers 17h00, ce 2 avril, la délégation de Gyumri, cette fois-ci, entraînée par son maire-adjoint, Artour Papikyan, arrive au grand-complet dans un mini-bus, qui s’arrête devant l’hôtel-de-ville. Direction l’étage où les attendent Charles Dayot et son équipe municipale. Tout le monde s’est mis sur son 31. Les flashes crépitent dans la salle de mariage, pavoisée aux couleurs de l’Arménie et de la France. L’instant est solennel et historique. Les deux hommes signent officiellement le jumelage entre les deux villes : « Nous prenons l’engagement solennel, en fidélité aux relations multiséculaires d’amitié et de fraternité établies entre nos deux pays, de favoriser le rapprochement entre nos deux villes et de développer et amplifier le dialogue, les échanges d’expériences et d’actions conjointes. »

Un khatchkar qui scelle l’amitié

Comment « nouer ces liens d’amitié », comment « se nourrir d’une autre culture », tel que le souhaite Charles Dayot, en signant ce jumelage ? Sous l’impulsion d’Antoine Gariel, le directeur du Théâtre de Gascogne, la première pierre vivante à cet édifice Gyumri-Mont-de-Marsan en construction a, donc, été, le Festival YERAZ. La seconde sera celle d’un khatchkar. Une croix-pierre sculptée dans une stèle de tuf, de près de 3 mètres de hauteur, qui est une véritable œuvre d’art. En quelques mois, dans un quartier à l’écart de Gyumri, des sculpteurs ont travaillé cette pierre volcanique d’une beauté incroyable. « Le timing était serré », explique Antoine Gariel, et, il y a eu des soucis avec les douanes. Mais la stèle est bien-là.

A 18h00, dans le parc Jean-Rameau de Mont-de-Marsan, la foule a pris place autour du khatchkar encore voilé. Les discours des maires, de madame l’ambassadrice, du directeur du Théâtre de Gascogne, se suivent et deviennent de plus en plus lyriques. Ils se fondent en odes où les arts, la culture, l’histoire, et l’amitié commune sont honorés. Chorales et orchestres alternent des chants français et arméniens, des musiques où l’âme française et l’âme arménienne s’allient. Toutes les générations ont pris place. Les enfants sont là. Les plus jeunes sont calfeutrés dans leurs poussettes. Les maires dévoilent alors le khatchkar, qui révèle toute sa beauté sculpturale. Jean-Pierre Mahé, auteur à succès (il a écrit et co-écrit une quarantaine d’ouvrages) homme de lettres et historien de renom, spécialiste de l’Arménie et de la Géorgie, qui est intervenu avec Gérard Dédéyan et Simon Abkarian (le parrain du festival), à la première table-ronde du festival, décrit à merveille ce khatchkar : « Celui-ci est singulier. La Croix repose sur la roue de l’éternité, que vous voyez en bas. A l’arrière-plan, de part-et-d’autre, jaillissent les racines de l’Arbre de Vie. La Croix est chargée de fruits eucharistiques. Les bras de la Croix s’achèvent en bourgeons, en forme de flammèches. Elle est rayonnante en son centre, comme le signe du Fils de l’Homme qui paraîtra à la fin des temps. Tout en haut, deux oiseaux représentent les âmes des Justes, juchés sur les arbres du Paradis. »

Un festival qui s’achève

Le Festival YERAZ s’achève par cette élévation. Antoine Gariel et son équipe d’une quinzaine de personnes vont prendre le temps du repos…et du bilan. Quelques 5000 participants sont venus goûter aux fruits du paradis perdu, de ces arts et de cette culture multiséculaire. De cette Arménie toujours debout, qui survit malgré les conflits, les injustices, les persécutions, les pogroms et le génocide. Dans le Caucase, les frontières arméniennes, l’Artsakh ou le Haut-Karabakh sont, toujours, menacées d’être englouties dans les affres de la barbarie inhumaine de ces voisins qui amassent des troupes, pendant que le conflit russo-ukrainien s’enlise à coup de déflagration. La Paix est fragile. Elle ne tient qu’à un fil : celui de la présence des casques bleus…Ils sont Russes !

Ici à Mont-de-Marsan, les Gascons ont relevé le défi. Un vent d’air pur s’est levé sur les Landes que peignait Victor Hugo de sa plume littéraire, le temps d’un voyage. Le temps d’un festival, d’un jumelage et un khatchkar, la vie est devenue chant, musique, poésie. La politique s’est conjuguée au temps des idéaux et des visionnaires, des avant-gardistes, des artistes. Un pont est, désormais, posé entre Gyumri et Mont-de-Marsan. De ce premier Festival YERAZ que peut-il sortir ? Un second certainement. Quoiqu’il en soit, les noms de Komitas, de Grégoire de Narek, et, de Paradjanov résonneront encore longtemps à travers la ville. Et, pour reprendre les propos d’Antoine Gariel : « L’histoire de l’Arménie continue de s’écrire encore aujourd’hui…Dieu n’a pas oublié la terre où Noé redonna des racines à l’Humanité toute entière ! » Ici, en terre de Gascogne, l’amitié entre la France et l’Arménie s’est enracinée. Jusqu’où grandira cet arbre de vie ? Vue du Ciel, il fleurit déjà.

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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