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Liban : le Dr Robert Sacy inaugure son nouvel hôpital 3 ans après les explosions du 4 août 2020

Copyright des photos A. Bordier et R. Sacy

Au pays du Cèdre, ce 4 août 2023 sera un jour de deuil et d’espérance. Il y a trois ans, le port de Beyrouth était complètement soufflé par deux explosions. Deux jours après, Emmanuel Macron se rendait au chevet du pays. Parmi les milliers de victimes qui ont survécu : le docteur Robert Sacy. Il revient sur cette horrible tragédie qui a mis le Liban à terre. Il inaugurera vendredi prochain son nouvel hôpital.  Interview sur fond de crises, au pluriel.

Le 4 août 2020, deux explosions soufflaient littéralement le port de Beyrouth et ses environs. Certains ont parlé de missiles tirés sur les entrepôts où étaient stockées 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. Docteur Robert Sacy, vous êtes un survivant. Vous faites partie des 7 000 blessés, alors qu’il y a eu 217 morts et 300 000 sans-abris. Votre hôpital a été littéralement soufflé. Vous souvenez-vous de cette soirée d’horreur ? Racontez-nous.

Dr Robert Sacy : Je venais de rentrer à mon domicile, et à la première explosion, j’ai vu toutes les vitres de ma maison tomber. Je marchais sur un tapis de verre. A la seconde explosion, j’ai été projeté contre un mur. Puis, j’ai essayé de me rendre à l’hôpital de la Quarantaine. Mais, c’était impossible car les routes étaient bloquées par les débris de voitures démolies et les arbres arrachés. C’était l’apocalypse. Les nouvelles de l’hôpital étaient horribles. Les bébés des couveuses ont été transportés dans un camion de l’armée vers un hôpital de la banlieue de Beyrouth. En pédiatrie, tous les parents avaient spontanément évacué leurs familles. 

Le temps de me rassurer sur ma fille, j’ai retrouvé ma femme, mon frère et sa famille tous plus ou moins gravement blessés par le blast. C’était l’enfer.

Nous allons commémorer le 3è anniversaire de cette triste tragédie. Je crois que vous avez une bonne nouvelle à nous annoncer. Vous allez inaugurer votre nouvel hôpital, n’est-ce pas ?

Oui. Grâce à l’aide internationale et à une présence médiatique très importante de ma part sur toutes les télévisions européennes, l’aide internationale s’est mobilisée pour la cause des enfants. A l’occasion de la visite du Président Macron, j’ai eu de longues réunions avec les délégations du quai d’Orsay de l’AP-HP. Et les aides ont afflué : 2 millions d’euros de la France, 1 million de Chypre, 1 million de la famille de Georges Boutros, 7 millions de dollars de différents donateurs, dont 125 Rotary clubs de par le monde entier, etc. Ce vendredi, effectivement, nous inaugurons le 1er hôpital Mère-Enfants du Liban de 80 lits.

Nous confirmons, ainsi, l’adage qui dit : à quelque chose malheur est bon. Nous voyons quelques lumières dans cet horizon ténébreux.

Avant de reparler de cette terrible tragédie, présentez-vous. Qui êtes-vous ? Certains vous qualifient de « militant social ». Cela veut dire quoi, concrètement ?

Je travaille depuis plus de 43 ans dans un hôpital universitaire où j’ai créé un des premiers services de réanimation néonatale et de pédiatrie. En 2014, j’ai réalisé que je n’arrivais plus à soigner dans mon service les pauvres et les déshérités. Je me suis, alors, dirigé vers l’hôpital gouvernemental le plus proche, qui, malheureusement, était devenu une ruine où on tournait des films de guerre. C’était un nid de serpents et de souris. J’ai, avec l’aide entre autres de la fondation Carlos Slim, obtenu 2 millions de dollars et j’ai foncé. C’est cet hôpital restauré que nous allons inaugurer cette semaine.

Reparlons du 4 août et de ses conséquences. Rencontrez-vous les familles des victimes ? Comment vont-elles ?

Il y a un an, le 4 août 2022, nous avons organisé un séminaire de 15 jours avec un groupe de psychologues franco-libanais. Parmi les participants, il y avait des parents d’enfants victimes du blast, des parents de prématurés, d’enfants cancéreux. Les victimes ne vont pas bien. Elles ont, vraiment, besoin d’aide. La folie, la désespérance et la tristesse sont, parfois, leur lot quotidien. Il y a une grande souffrance. Nous constatons, malheureusement, de plus en plus de victimes collatérales du 4 août : il y a de plus en plus de bébés-poubelles, signe d’une grande souffrance. Il y a, aussi, des enfants sans-papier, qui sont battus, victimes de sévices et d’harcèlements…L’horreur du 4 août 2020 et ses conséquences désastreuses ne sont pas terminées.

Aujourd’hui, le port a été en parti reconstruit. Des immeubles ont été restaurés. Plusieurs familles de victimes se lèvent pour dénoncer l’impasse judiciaire dans laquelle se trouve le pays pour désigner et juger les responsables présumés de ces explosions. La justice avance-t-elle dans la bonne direction ?

La justice Libanaise est paralysée, les parents des victimes sont régulièrement agressés au cours de leurs manifestations par les forces de l’ordre. La seule justice qui marche au Liban est celle des juges des enfants. Il s’agit de jeunes femmes actives, qui sont très efficaces et qui gèrent les problèmes des enfants avec une maestria digne des ovations les plus chaleureuses. Les enquêteurs français et internationaux essayent d’intervenir pour que la justice avance dans la bonne direction. Mais, à ce jour, c’est sans grand succès. Les victimes sont, toujours, dans une sorte de trou noir judiciaire.

Votre pays est touché depuis 2018-2019 par des crises successives. Puis, il y a eu ce 4 août. J’ai cru comprendre que 70 à 80% des Libanais vivaient sous le seuil de pauvreté. Comment font-ils pour se soigner ?

Oui, c’est terrible. Ils se soignent et survivent grâce aux ONG, comme Arc-en-ciel, Assameh Birth and Beyond (ndlr : son ong), l’Ordre de Malte, SOS Chrétiens d’Orient, les Rotary clubs, la fondation Tawarek, etc. Les politiques, eux, malgré le fait qu’ils n’aient en rien aidé l’hôpital, s’occupent de la gestion de façon unilatérale, comme si nous n’étions que des spectateurs. Ce vendredi [ce 4 août] un film-documentaire sera diffusé où j’ai eu le droit de présenter nos activités, seul privilège qu’on m’ait accordé, alors que sans nous rien n’existerait. Je ne recherche ni gloire, ni reconnaissance, ni remerciement. Bien au contraire.

Le comble, c’est que l’on m’a pris au mot, lorsque j’ai reçu la médaille du Mérite Libanais…Je l’ai reçu par courrier, par la poste, sans aucune cérémonie officielle. Cela dit tout, non ?

Nous arrivons à la fin de cette interview. Docteur Robert Sacy, quelles sont, aujourd’hui, vos raisons d’espérer en un avenir meilleur ? Et, quel appel aimeriez-vous lancer à la France, à l’Europe, au monde entier, pour qu’ils viennent en aide aux Libanais ? Il est temps de sortir de ces crises incessantes, non ?

Je suis un rêveur. Je n’arrêterais jamais de rêver et d’espérer, je suis chrétien et ma prière quotidienne est celle-ci : Merci mon Dieu pour toutes les épreuves que tu m’as envoyées, et dont tu m’as sorties, chaque fois, encore plus fort. Malheureusement, le Liban est comme piégé, prisonnier d’un conflit régional dépendant des grandes puissances. C’est compliqué, car il y a des intérêts locaux, régionaux et internationaux, alimentés par des conflits communautaires. Le Liban, les Libanais sont l’objet d’une redistribution des cartes géopolitiques. Et, sur cette redistribution des cartes, nous n’avons pas la main. Seules la France, les bonnes volontés de l’Union Européenne et de la Communauté internationale, devraient pouvoir agir pour hâter les chances de la résolution durable des crises que nous subissons. Oui, c’est mon rêve : sortir de ces crises. Et que, de nouveau, les facettes de notre pays brillent aux éclats.

Propos recueillis par Antoine Bordier


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