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Le pasteur René Léonian en mission diplomatique et humanitaire dans le Caucase

Y aurait-il du Martin Luther-King, dans ce pasteur de l’Eglise Evangélique Arménienne de France ? A 70 ans, René Léonian ressemble à un diplomate sur le terrain caucasien.

Copyright des photos A. Bordier et R. Léonian

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Y aurait-il du Martin Luther-King, dans ce pasteur de l’Eglise Evangélique Arménienne de France ? A 70 ans, René Léonian ressemble à un diplomate sur le terrain caucasien. Mieux, il est un acteur humanitaire qui, inlassablement, aide, via des ONG, des centaines de familles éprouvées par la guerre de 2020 dans le Haut-Karabakh. Reportage sur un homme de terrain, qui rencontre, aussi, les Présidents et les Premiers ministres.

« Je viens de passer plus d’une semaine en Arménie. Je repars, déjà. Mais je reviendrai cet été. J’ai l’impression que mon travail ne fait que commencer. » En complet veston, chemise et cravate, René Léonian est allé 3 jours dans ce qu’il reste de la République auto-proclamée Artsakh, dans le Haut-Karabakh. Il y a rencontré le Président et son équipe gouvernementale restreinte. Quelques jours auparavant, il s’était entretenu avec le Premier ministre d’Arménie, Nikol Pachinian, et, l’ancien Président de la République d’Arménie, Serge Sarkissian, démissionnaire en 2018. Pourquoi ce pasteur franco-arménien rencontre-t-il les politiques ? Quel intérêt peut-il rechercher dans ces rencontres, à l’heure où le monde se focalise sur le conflit ukrainien, et, oublie de soutenir ce petit pays du Caucase, que j’appelle confetti ?

« Je suis, de plus en plus, convaincu que l’une des clefs de sortie de crise de l’Arménie et de l’Artsakh, réside dans la capacité du pays à faire son unité. L’Arménie est divisée, ce qui profite à ses voisins belligérants que sont la Turquie et l’Azerbaïdjan. La Turquie n’a toujours pas reconnu le génocide qu’elle a orchestré contre les Arméniens entre 1915 et 1921. Et, l’Azerbaïdjan veut récupérer par la force les terres ancestrales arméniennes. Le silence de la communauté internationale, et, sa non reconnaissance de la République d’Artsakh, sont un blanc-seing pour le Président Aliev de réclamer des terres qui ne lui appartiennent pas, ni légalement, ni légitimement, ni historiquement. Le droit international se base sur celui de Staline, qui est une véritable forfaiture, quand il a redistribué en les spoliant, les terres ancestrales arméniennes à l’Azerbaïdjan en 1921. C’était, déjà, injuste à l’époque. C’est pire aujourd’hui. C’est la double, voire la triple peine… »

Le décor de l’enjeu diplomatique et géopolitique est planté. Le pasteur ressemble à un grain de sable, qui voudrait enrayer la machine infernale du panturquisme, c’est-à-dire du rêve d’Erdogan, qui veut réunir dans un nouvel empire – le sien – les pays voisins que sont l’Azerbaïdjan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, et le Kirghizistan. Un territoire plus grand que l’Europe !

Un Martin Luther-King ?

« Je suis en Arménie, répète-t-il, pour agir, pour chercher à comprendre, et, pour redonner confiance. La situation actuelle n’est pas facile. Il faut s’occuper des réfugiés, les loger, les nourrir, leur trouver du travail. Je viens motiver les équipes de nos ONG. Et, puis, il y a la situation politique. Nous devons tous travailler à l’unité nationale. »

Avec sa casquette humanitaire, et, pour le compte de l’ONG Espoir pour l’Arménie, il est allé soutenir, à Stepanakert, la capitale de l’Artsakh, un des centres socio-culturel-éducatif, qui accueillera, dans les prochains mois, des réfugiés de la partie de l’Artsakh tombée aux mains des Azéris lors de la guerre de 44 jours en 2020. « A Chouchi, l’ancienne capitale culturelle, symbole de la défaite, les milliers de personnes jetées sur les routes se sont réfugiées soit en Arménie, soit à Stepanakert », explique le pasteur. Dans le centre social, une centaine d’enfants seront pris en charge par une équipe d’une quinzaine de personnes, salariées et bénévoles. Les activités auront lieu après leur scolarité normale.

Sur le terrain économique, René accompagne, aussi, les réfugiés en reconversion professionnelle, et, en création de petites entreprises, notamment dans le secteur agricole et dans l’artisanat. Enfin, il intervient, aussi, pour une autre ONG, dans les villages frontaliers des territoires occupés par l’Azerbaïdjan. Il s’agit de donner les moyens aux populations locales de rester dans leurs villages. Ainsi, il participe à la restauration des services publiques, des services médicaux et des infrastructures publiques.

Sur le terrain politique, en rencontrant à plusieurs reprises le Président d’Artsakh, Arayik Harutyunyan, et le Premier ministre d’Arménie, Nikol Pachinian, il n’a qu’un désir devenu un plaidoyer : intensifier l’unité et le rapprochement des deux républiques. Pour n’en faire qu’une ? « Non, l’objectif est, d’abord, d’apaiser les tensions existantes avec l’Azerbaïdjan. Puis, de mettre fin aux divisions internes en Arménie. Et, enfin, de multiplier les échanges avec les deux républiques sœurs. »

« I have a dream »

Si René Léonian ressemble, par certains côtés, à Martin Luther King, comme, par exemple, son engagement non-violent, pour l’unité du pays et pour la reconnaissance de l’Artsakh. Il ne lui ressemble pas du tout en ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ses objectifs. S’il parle aux oreilles des Présidents et des Premiers ministres, son engagement diplomatique s’arrête-là. Il ne fait pas de politique et ne prononce aucun discours. Il reste discret et dans l’ombre. Le pasteur, d’ailleurs, n’aime pas beaucoup parler de lui. Il préfère parler des autres et des œuvres caritatives, dont il a la responsabilité.

Marié et père de deux enfants, né à Marseille, après ses études de théologie, il devient pasteur. C’est à Lyon, en 1974, que démarre sa mission. Il y restera 9 ans. Puis, il poursuit ses études et obtient un doctorat de théologie. Diplômé des Hautes Etudes de Pratiques Sociales en 1985, il participe activement au mouvement du Comité Karabakh et se lie d’amitié avec Levon Ter-Petrossian et Vazgen Manoukian. Ce mouvement est né à la suite des pogroms azerbaïdjanais contre les populations arméniennes du Haut-Karabakh.

« Pour bien comprendre ce qui se passe dans cette région, explique-t-il, il faut se replonger dans l’histoire. En 1921, Staline décide de rattacher ces terres arméniennes à l’Azerbaïdjan (NDLR : les historiens reconnaissent que ces terres sont arméniennes depuis le 3è ou 4è siècle avant Jésus-Christ). En 1985, avec la venue de Gorbatchev au pouvoir, sa politique de la Perestroïka apporte un vent d’autonomie dans le Haut-Karabakh. Début 1988, la population la revendique. En février, les premiers pogroms ont lieu. » Le Comité Karabakh se constitue à ce moment-là. En 1991, l’écroulement de l’ex-URSS est total. Les satellites de l’Europe de l’Est et du Caucase en profitent pour déclarer leur indépendance. Le 21 septembre 1991, lors d’un référendum historique, l’Arménie le devient. Le 16 octobre, Levon Ter-Petrossian est le premier Président de la République d’Arménie, et, Vazgen Manoukian, le premier Premier ministre.

A cette époque, René, qui est dans les coulisses du pouvoir, a un rêve : « Celui de voir l’Arménie et le Haut-Karabakh ne faire plus qu’un. »

Des persécutions religieuses

Le Président lui demande de participer à l’ouverture de l’Ambassade Arménienne à Paris. Entre 1993 et 1994, il en sera le chef de chancellerie. A la vue de ses qualités diplomatiques, les instances dirigeantes du Conseil Mondial des Eglises Evangéliques Arméniennes lui demande de le représenter en Arménie. En 1994, il quitte la France et va vivre avec son épouse à Erevan, la capitale. Il ne le sait pas encore, mais il va y rester 17 ans. Être de passage dans un pays qui sort tout juste de l’ère soviétique est une chose. Y vivre en est une autre.

« Nous sommes arrivés dans un pays où il y avait des coupures d’eau et électricité tous les jours. La vie matérielle était rustique, voire pauvre. Mais, ce n’était pas le plus important. Et, les choses se sont améliorées. Ma mission consistait à redonner vie à notre Eglise. Avant 1920, il y avait une vingtaine de lieux de culte évangéliques. Puis, avec Staline, dès 1921, les persécutions religieuses ont commencé. Il a voulu supprimer de notre identité toute notre histoire religieuse. Quand je suis arrivé, il ne restait plus que trois lieux de culte : un à Erevan, un à Stepanavan, un à Vanadzor. Quand j’en suis parti, en 2011, il y en avait une quarantaine. » Le pasteur visite les fidèles, il les rassemble. Il panse les plaies du communisme et revitalise la communauté évangélique. Le missionnaire s’est, ensuite, transformé en bâtisseur, en créant des écoles. Il a ouvert, également, la Faculté de théologie. Sur le terrain caritatif, il s’investit dans plusieurs associations, notamment l’Association Missionnaire Arménienne d’Amérique (AMAA) et l’ONG Espoir pour l’Arménie.

« J’ai vu la souffrance de mon peuple »

Depuis, le pasteur est sur tous les fronts, et, peut-être encore plus aujourd’hui. Pendant toutes ces années, il s’est familiarisé avec les questions géopolitiques. « Quand je suis reparti en 2011, je revenais 3 à 4 fois par an. Après l’Eurasie et l’Arménie, je suis parti en mission au Canada et en Uruguay. J’ai gardé beaucoup d’amis ici. En 2020, avec la guerre et la défaite, les milliers de jeunes appelés tombés, les dizaines de milliers de réfugiés, je me devais encore plus de revenir. Ici, avec Espoir pour l’Arménie et l’AMAA, nous aidons plus de 2 500 familles. J’ai vu la souffrance de mon peuple. Je ne pouvais pas rester sans rien faire. »

Par la suite, il est devenu Vice-président honoraire de cette association américaine, qui est dirigée, actuellement, par Zaven Khanjian, son directeur exécutif. Il est, également, devenu citoyen d’honneur de Chouchi, qui est tombée en novembre 2020 aux mains des Azéris. Lors de son dernier séjour, le pasteur René Léonian est, donc, de retour dans le Haut-Karabakh. Il a passé tous les contrôles sans problème, avec son passeport arménien. « Au check-point, les militaires russes (NDLR : qui ont une mission de maintien de la paix et de respect du cessez-le-feu), ne me demandent plus si j’ai un passeport français. Ils me reconnaissent. » Ils font bien, car pour les autres Français, le traitement est différent. Surtout, s’ils sont journalistes. « Je ne peux, toujours, pas aller en Artsakh », confiait en avril dernier le Directeur-adjoint du Figaro Magazine, Jean-Christophe Buisson, qui s’était rendu en novembre 2020 sur le front militaire. Mais depuis, c’est « niet » (non) ! « Ce qui me frappe toujours, c’est de voir la présence militaire et la tension qui en ressort. Sur la route, vous voyez souvent d’un côté un drapeau arménien et de l’autre côté un drapeau azéri, comme si un nouvel affrontement était inévitable », explique le pasteur.

Un titulaire de chaire inquiet

En France, depuis septembre dernier, le pasteur a repris le chemin de l’école. A l’Université Catholique de Lyon (UCLy), le Docteur en théologie, diplômé des Hautes Études de Pratiques Sociales de l’Université Lyon 2 et de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris-Sorbonne Nouvelle, est devenu titulaire de la Chaire d’Arménologie de l’UCLy. « Mon objectif est de pérenniser cette chaire d’arménologie, en présentant l’histoire et la civilisation du peuple arménien, ainsi que son Eglise. Il s’agit d’ouvrir la chaire à un plus large public. » Pour faire avancer et connaître la cause arménienne ? « Oui ! », répond-il.

Le pasteur René Léonian reprend l’avion pour la France. Il n’est pas serein et s’inquiète réellement de la situation en Arménie. Il pense à la diaspora. Très active, elle développe des projets qui bâtissent le futur de l’Arménie. Mais, elle-même se pose de plus en plus de questions face à la division interne du pays. « Je suis inquiet pour l’avenir, car il y a un désengagement réel des pouvoirs politiques arméniens sur l’avenir de l’Artsakh. Moi-même, le 2 mai dernier, lors de ma dernière rencontre avec Nikol Pachinian, je l’ai alerté de la situation. Surtout, je lui ai parlé de la nécessité de créer toutes les conditions nécessaires pour unifier le pays, et, pour accueillir davantage la diaspora. Car, de nombreux projets sont en cours à Stepanakert, comme la construction et la rénovation de milliers de logement. »

Guerre et paix

A l’heure où tous les projecteurs et tous les regards sont focalisés sur l’Ukraine, à juste titre, le grignotage des frontières, les incursions nocturnes et les provocations des militaires et des snipers aux ordres du Président Ilham Aliev n’alertent presque plus personne. Ce président, qui n’a pas hésité à faire appel à des terroristes djihadistes, venus de Syrie avec l’aide de la Turquie, pour gagner sa guerre de 44 jours, continue à défier la paix face à une Communauté Internationale, une Union Européenne et une France de plus en plus muettes. Pourtant, cette région de Transcaucasie risque de basculer de nouveau dans un conflit meurtrier, à la suite d’une bavure ou d’un dérapage militaire…de trop. Dans la pire des hypothèses, si demain l’Artsakh et l’Arménie sont de nouveau attaquées, malgré la garantie d’assistance militaire de la Russie, que fera la Communauté Internationale ? S’en lavera-t-elle les mains sous prétexte qu’il y a du pétrole et du gaz en Azerbaïdjan, et, qu’il ne faudrait pas fâcher son allié membre de l’OTAN, la Turquie ? Sous prétexte que l’Arménie et l’Artsakh ne représenteraient qu’un Mémorial, celui du génocide ; qu’un petit peuple, qu’une petite nation : la première à être devenue chrétienne.

Que deviendrait alors le rêve de paix et d’unité du pasteur René Léonian ? Ce rêve, il n’a besoin que d’une seule chose : qu’il devienne réalité. Une réalité qui tarde…

Pour aider l’ONG Espoir pour l’Arménie :  Espoir – Espoir pour l’Arménie (espoirpourlarmenie.org)

Reportage réalisé par notre envoyé spécial Antoine BORDIER


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