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Jeunesse-Lumière, une école internationale entre terre et ciel

Entreprendre - Jeunesse-Lumière, une école internationale entre terre et ciel

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Il est 6h30 du matin, le tintement de la cloche se répand dans toute l’école, qui occupe les locaux de l’ancien petit séminaire du diocèse d’Albi, dans le Tarn. Les 23 étudiants de la 38è promotion s’éveillent. Depuis près de 40 ans, plus d’un millier de jeunes sont passés ici, dans cette école unique au monde fondée par un moine-ermite-évangélisateur, le père Daniel-Ange. Reportage sur une école, et, sur une jeunesse en quête d’idéal.

« Nous commençons chaque journée par un temps de prières, avec les Laudes », explique le père Daniel-Ange. A bientôt 90 ans, il en fait 20 de moins, comme si cette jeunesse qu’il côtoie depuis tant d’années était devenue son rempart face au poids des années, qui pèse de plus en plus sur ses épaules, depuis 1932. Lui, qui a fait le tour du monde une dizaine de fois, a visité, lors de ses conférences, et, de ses missions internationales, une cinquantaine de pays, est insatiable et en même temps silencieux. Au départ, son histoire familiale ne devait pas l’amener là où il est. Né à Bruxelles, dans une famille aristocrate franco-belge, les Maupeou d’Ableiges et les d’Ursel, du côté maternel, il aurait dû embrasser les armes ou la robe d’avocat, au lieu de la bure des religieux. Depuis plusieurs générations sa famille sert leurs pays, la France et la Belgique, soit en s’engageant dans les métiers de robe, jusqu’à devenir Garde des Sceaux et Chancelier du Roi, soit en s’engageant dans les métiers d’épée, comme officier de marine ou officier de l’armée de l’air. C’est le cas de son papa, Gaston de Maupeou d’Ableiges, officier de la marine française, et, de sa maman Hedwige d’Ursel, officier de l’armée de l’air belge. A 17 ans, il choisit une autre vocation, celle d’embrasser la vie monastique. Il entre comme novice à l’abbaye bénédictine de Clervaux, au Grand-Duché de Luxembourg. Puis, son père abbé l’envoie fonder une communauté dans les Landes. Ensuite, il s’envolera vers l’Afrique, et, vivra pendant 12 ans au Rwanda, entre 1958 et 1971.

Il tombe littéralement amoureux du pays aux « mille collines ». Il a tout quitté, même son continent. « J’ai eu un coup de foudre pour ce pays, pour cette nation. J’ai vécu sur la crète du Congo-Nil, là où sont toutes les sources qui se déversent, au nord, jusque dans la Méditerranée, après une course de 6 500 kms, celle du Nil. Et, à l’est, le fleuve Congo, après une course de 4 000 kms se déverse dans l’Atlantique. Avec une douzaine de frères, nous avons fondé la Fraternité de la Vierge des Pauvres. »

Quand il rentre en France, en 1971, le choc est terrible. Il ne reconnaît pas cette jeunesse de mai 1968, qui a fait sa révolution pendant que lui créait cette communauté monastique au Rwanda. En Suisse, il poursuit ses études de théologie, à Fribourg. Puis, il découvre le Renouveau Charismatique, qui est en train de renouveler l’Eglise de France, après le traumatisme de 68 et la crise liée à Vatican II. Entre 1976 et 1984, il mène une vie érémitique dans l’arrière-pays Niçois. Il devient prêtre en 1981.

Les SOS d’une jeunesse blessée

Dans son ermitage, Daniel-Ange y vit depuis 7 ans. « J’ai été très heureux dans mon ermitage de l’arrière-pays niçois. Au début, j’étais vraiment seul. J’étais connecté à l’Eglise du Ciel et de la terre. Puis, une fois par trimestre, des jeunes montaient me voir. Et, un jour, il y a eu ce SOS de Martin. Dans sa lettre, il me parlait de son école, de ses camarades et de suicides. » Du coup, l’ermite se met à écrire et à rencontrer cette jeunesse SOS. Il quitte tous les trimestres sa vieille bergerie, pour se rendre dans les écoles et témoigner. Les invitations fusent de toutes parts, de France et de l’étranger. « Les jeunes sont horriblement seuls », dira-t-il. Il les écoute dérouler leur vie, souvent, chaotique. Cette écoute forme en lui un trop-plein d’émotion et de compassion qu’il a besoin d’exprimer. Avec sa plume, il s’adresse à la jeunesse du monde entier. Il écrit, d’abord, sur sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, cette jeune carmélite morte à 24 ans, qui est priée dans le monde entier, quelque soit la religion. Edith Piaf racontait qu’elle avait été guérie des yeux par la petite Thérèse. C’est la star-spirituelle des jeunes, pourrait-on dire. Les écrits de la petite sainte, rassemblés dans Histoire d’une Ame, un best-seller traduit en 50 langues et qui s’est vendu dans le monde entier à plus de 500 millions d’exemplaires, ont touché particulièrement Daniel-Ange. Il se met à son école, et, devient comme son disciple, « son frère », précise-t-il. Il prend la plume et écrit son premier ouvrage sur elle : « Les blessures que guérit l’amour. Thérèse de Lisieux, prophète de l’Esprit Saint. » Ce livre écrit dans les années 77 et 79 est le premier d’une longue série : plus de 80 ouvrages suivront, dont certains feront, eux-aussi, le tour du monde. Avec sa plume, sa nouvelle robe de noblesse, il a touché des centaines de milliers de jeunes.

En même temps, il soignerait une blessure profonde et personnelle, de l’enfance. A 4 ans, il est envoyé en pensionnat en Suisse, parce que ses parents se retrouvent en mission en Chine. Il a l’impression d’être abandonné, et, devient, à son tour, orphelin : « Je pleurais, tous les soirs. Je me recroquevillais sur moi-même. J’étais devenu très timide. C’était presque maladif. » Sa vocation de « prophète » serait-elle née ces nuits-là, dans ses draps pleurés ? Ce qui est certain, c’est que dans son second livre « TROAS ! Monde d’orphelins, peuple de témoins ! », paru aux éditions Fayard en 1984, l’ermite livre des centaines de témoignages de jeunes lanceurs de SOS. Cette jeunesse, qui n’a pas 20 ans, est européenne et française. Elle est traumatisée : abandonnée, abusée, déboussolée, harcelée, mal-aimée, violentée. Face à cette grande misère cachée, même dans les familles BCBG, presqu’invisible, Daniel-Ange ouvre les bras. Il ouvre son cœur. Il accueille, écoute, éclaire. Il se tait. Pour certains jeunes, il est, malheureusement, déjà trop tard : l’alcool, la drogue, le harcèlement, la pornographie les ont menés à la tristesse, au désespoir, et, au suicide fatal. Daniel-Ange, tel le berger qui laisse pour un temps toutes ses autres brebis bien-portantes, va à la recherche de la brebis blessée. Il s’occupe d’elle, panse ses plaies et en prend soin. A ses côtés, elle (re)vit.

Jeunesse-Lumière, une école d’un nouveau genre

Pour répondre à ce besoin qu’il sent grandissant, en 1984, il crée cette école avec une petite équipe d’éducateurs qui ont trois points communs : ils aiment les jeunes, l’Eglise, et, Dieu. Cette école d’un nouveau genre, qui dure un an, est dirigée depuis quelques mois par Olivier Fermon. « C’est un véritable serviteur », explique Daniel-Ange. Lui-aussi a un parcours incroyable. Marié à Nadège, qui est protestante-évangélique, ils ont 4 enfants. A l’âge de 12 ans (il en a 44) ce breton dit à ses parents : « Je veux rentrer chez les frères de Ploërmel. » Toute la famille qui vit à Guérande, à quelques kms de là, donne son accord. L’école des frères est une sorte de petit séminaire. Il y vit une scolarité normale, plus une vie proche de celle des frères. Olivier est tombé amoureux du Christ, quand il était petit, comme certains tombent amoureux du foot. Son ballon-rond à lui, c’est quelqu’un : Jésus. L’Eglise est, pour ainsi dire, sa seconde maison, voire sa première. Pendant 17 ans, il a travaillé au sein du Secours Catholique-Caritas France, qui est une ONG internationale.

Pour l’évêque d’Albi, Mgr Jean Legrez, qui prendra sa retraite l’année prochaine, « l’école Jeunesse-Lumière est une bonne nouvelle pour notre diocèse, pour la France, et, pour le monde, puisque l’école est présente en Europe de l’est, et, en Afrique. Ce sont mes prédécesseurs qui ont accueilli Daniel-Ange et son école, dans cet ancien petit séminaire qui avait fermé ses portes deux ans auparavant. Ils ont redonné vie à Pratlong. Ce site avait été donné par la famille de Villeneuve. » Mgr, qui appartient à l’ordre des dominicains, parle de Daniel-Ange : « Je l’ai connu, il y a plus de 45 ans. Il était venu en formation au couvent des dominicains de Toulouse. Ce qu’il a fait avec l’école est incroyable. Il répond vraiment à un besoin : celui de la quête de sens, de la soif de spiritualité d’une jeunesse de plus en plus esseulée, et, blessée. »

Une jeunesse, qui a soif d’idéal

« Les jeunes qui viennent ici ne sont pas tous blessés dans leur humanité », explique Daniel-Ange. Il rajoute cependant, « mais, c’est vrai, ils sont de plus en plus nombreux à être blessés. Notre société oublie sa jeunesse, qui a toujours soif d’idéal. Elle vient, ici, se ressourcer et se former pour la mission. »

Mgr Legrez le dit à sa façon : « Aujourd’hui les familles sont cabossées. Et, les jeunes subissent cette vie de famille éclatée. Ils ont une soif sincère. Ils appartiennent la plupart à des familles chrétiennes, plus ou moins croyantes et pratiquantes. Et, dans les écoles catholiques, ils sont de moins en moins catéchisés. Leur soif d’idéal a un nom : il s’appelle Dieu. »

Parmi ces jeunes, il y a Csaba, qui vient de Hongrie ; Fabien, un amoureux de la montagne, qui vient de Chambéry ; Kristina, l’une des plus jeunes, qui vient de la République Tchèque ; Marine, qui vient de Vendée ; et, Victoria (le prénom a été changé), qui vient d’Autriche. En tout, ce sont 23 jeunes, 17 filles et 6 garçons qui ont décidé de « donner un an de notre vie à Dieu », comme ils disent. Leurs points communs ? La jeunesse, la recherche du bonheur, la soif d’idéal, et, la quête de Dieu. Pour Csaba, qui a terminé ses études d’ingénieur à Budapest, « cette année de césure est pour Dieu. Je cherche, aussi, ma vocation. Je cherche à approfondir ma foi. Je cherche à donner un sens à ma vie. » Fabien, lui, à l’âge de 13 ans a eu un grave accident. Passionné d’escalades et de montagnes, il chute : « Je me souviens la corde était trop courte. Et, elle n’a pas été retenue dans le système d’assurage. » De cette chute, nait une quête spirituelle qui le conduit à l’ésotérisme. En 2019, à 21 ans, il rencontre Dieu lors d’un rassemblement évangélique. « J’ai connu JL (Jeunesse-Lumière) grâce à un cousin. J’ai décidé de prendre une année pour approfondir ma foi, après mes études en STAPS et en diététique. » Ce sportif de haut-niveau a une particularité : il sourit souvent. Comme Kristina, dont le visage lumineux semble éclairer toute la pièce. Son sourire est ravageur. Sa vie a été marquée par ce qu’elle appelle « la grâce de la guérison ». Adolescente, elle tombe dans une addiction, dont elle guérit en 2017 et 2018. « Je suis consciente de l’amour de Dieu. Il m’a guéri. J’en ai fait l’expérience. En venant, ici, je lui donne un an de ma vie. Je veux partager cet amour avec les autres jeunes, que je rencontre lors des missions d’évangélisation. » Marine de son côté a vécu un chemin où les épreuves ont marqué son adolescence. Elle garde pour autant le cap de la foi. Ensuite, « après ma licence, et, à la suite d’une épreuve personnelle, j’avais besoin de faire une pause. Ici, je prends du temps pour approfondir ma prière. Mon père était agnostique, et, avec ma mère, catholique, ils se sont rapprochés de la foi. Moi, j’avais besoin de découvrir l’amour de Dieu. Et, maintenant, j’ai besoin d’en témoigner. »

Des cours de théologie… mais pas que

Victoria, elle-aussi, est une amoureuse et une chercheuse de Dieu. C’est une aventurière. A 20 ans, elle décide de partir faire un grand voyage. Finalement, son projet n’aboutit pas. Elle vit, alors, une sorte de conversion et s’engage dans une communauté chrétienne. Elle retourne à la Messe, après une longue coupure. « J’ai grandi à la campagne. Après mes études supérieures, j’ai travaillé dans le secteur de la santé. Il y a quelques années, j’ai perdu un membre de ma famille dans un accident. J’ai alors vécu une conversion. Ensuite, j’ai entendu parler de JL. J’avais besoin de faire une pause. Je recherche ma vocation, et, je veux donner un sens à ma vie. »

Dans cette école internationale, la particularité est de dispenser des cours de théologie, de philosophie, d’oraison, de prières, d’œcuménisme, etc. Csaba aime tout particulièrement ceux de théologie morale et de bioéthique. Fabien, lui, apprécie les cours d’oraison. A JL, il y a même des cours inédits comme ceux sur l’angéologie, où l’on apprend qui sont les anges, et, leurs rôles. Pour Kristina « les cours au-début étaient difficiles, parce que j’apprends, aussi, le français. Maintenant, cela va beaucoup mieux. J’aime beaucoup les cours bibliques, et, les cours sur l’angéologie. » Marine, elle, préfère les cours d’Hébreu, la langue que parlait le Christ. « J’aime moins l’histoire religieuse », dit-elle en souriant.

La cloche sonne de nouveau, c’est l’heure du repas. Toute la promotion se retrouve en bas, entourée des aînés, comme Anna-Maria, qui a en charge l’organisation du quotidien, en lien avec Daniel-Ange et Olivier. 7 nations sont représentées : l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, la Hongrie, Haïti, la République Tchèque et la Suisse. Ici, à Pratlong, en 38 ans, 57 nationalités, en tout, sont venues étudier et (re)donner du sens à leur vie.

Parmi les responsables, il y a, enfin, Nicolas et Teresa. Ils se sont connus, ici, sur les bancs de cette école pour jeunes entre 18 et 30 ans. Par la suite, ils se sont mariés. Daniel-Ange a fait appel à eux pour assurer la vingtaine de missions d’évangélisation organisées chaque année. Nicolas vient de sortir de son bureau. Il a presque bouclé les prochaines missions qui se dérouleront en mars dans 3 régions de France. Avec leur enfant de 2 ans, le couple vit sur place et donne une âme familiale à l’école. Ils sont, un peu, le grand-frère et la grande-sœur de l’école.

Dans la seconde partie de notre trilogie, vous découvrirez davantage Jeunesse-Lumière, notamment à travers ses missions.Puis, la dernière partie sera consacrée à son essaimage international et à son avenir.

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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