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Hervé Magro, nouvel ambassadeur de France au Liban, face au défi de la paix

Il a atterri le 21 août dernier de… Turquie pour succéder à Anne Grillo, arrivée en 2020. Diplomate par vocation, il est l’un des meilleurs experts sur la Turquie. Il est arrivé au Liban pour continuer le travail que réalise la France au service des Libanais, notamment, en matière d’enseignement. Conversation avec un homme amoureux de la Francophonie et confronté aux défis de la paix.

Photo Antoine Bordier

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Ah, la résidence des Pins. Déjà, le lieu est tout un art, une culture, une histoire, un patrimoine, un symbole. Cette bâtisse mythique, véritable palais des mille et une nuit, a été construite en 1915. Elle est la résidence des ambassadeurs et ambassadrices de France au Liban, depuis 1943. C’est là, au milieu de ces 5 000 m2, qu’Hervé Magro a posé ses valises. Grand, grisonnant, il est habillé de gris. Il a pris ses marques rapidement, dans cette grande maison bleu-blanc-rouge, ultra-sécurisée, aux pierres de taille naturellement dorées. Comme lui, cette résidence est pétrie d’histoire, de temps diplomatiques et politiques qui ont marqué le Liban et l’amitié franco-libanaise. Le Grand-Liban sans la France aurait-il existé ? Aurait-il donné naissance au Liban indépendant du 22 novembre 1943 ? Certainement pas.

Indépendance ? Oui, tel était bien le mandat confié aux Français par la Société des Nations, la feu SDN (qui disparaîtra en 1946 au profit de l’Organisation des Nations-Unies, créée un an plus tôt). Il fallait un empire tricolore pour permettre aux Libanais de s’affranchir du joug ottoman rouge et blanc. Il fallait que le cèdre du Liban soit apposé en son blanc drapeau. L’Empire ottoman est défait par la Première Guerre mondiale et sa révolution interne. Empire qui n’a pas laissé de bons souvenirs à l’humanité, avec son lot de conquêtes, de génocides, d’occupations, de massacres, de pogroms et de tragédies barbares. Une page se tourne. Les Libanais sont heureux d’apprendre que cet empire est remplacé par un autre : celui de la France de Deschanel, dont la courtoisie, l’élégance et la langue passionnent. Un phare culturel, économique et politique qui respire bon le cèdre de la démocratie !

Le mandat français et l’Indépendance

Le 25 avril 1920, exactement, la SDN donne, ainsi, mandat à la France sur toute la Syrie, dont le Liban. Commencent, ensuite, 23 ans de bonnes ententes, de bons développements et de multiples investissements en tout genre. La France s’implique. Avec fraternité, elle se rapproche des communautés, dont la communauté des chrétiens maronites. Sous l’influence de ces derniers, elle créée le Grand-Liban, comprenant le mont Liban, la plaine de la Bekaa, véritable pays de cocagne, et tout le littoral, qui leur échappaient jusqu’à présent. Le 1er septembre de la même année, sur les grandes marches du perron de la résidence, qui s’ouvre de part et d’autre sur une galerie majestueuse en enfilade, où l’œil et le regard n’ont de cesse que de contempler la beauté arabesque de ses grandes colonnes de marbre, aux chapiteaux finement taillés en dentelle.

Ce 1er septembre 1920, donc, le général Henri Gouraud, le haut-commissaire de France au Levant, signe en présence des autorités locales, le mandat qui engage la France et qui crée le Grand-Liban. Le vieux guerrier prend la pose en haut des marches, avec le grand mufti de Beyrouth, Cheik Moustafa Naja, et le patriarche maronite Elias Pierre Hoayek. Le moment est historique. La photo va faire le tour du monde.

Un héritage, une feuille de route

« Je suis un diplomate de carrière, explique l’ambassadeur. Après des études en histoire, j’ai fait le concours d’Orient avec une spécialisation dans la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient. J’ai appris le turc. Ensuite, mes postes, que ce soit à Paris ou à l’étranger, étaient en relation avec le Moyen-Orient. A Washington, j’étais conseiller auprès de l’ambassadeur, en charge du Moyen-Orient. J’ai été en poste à Jérusalem, aussi. J’ai été en poste trois fois en Turquie. » Posé, le débit clair, ce fils de pied noir d’Algérie a reçu en héritage cette passion pour tout le pourtour méditerranéen. Il s’est, ensuite, spécialisé sur le Moyen-Orient.

Dans son immense bureau-salon de 100 m2, aux meubles de facture évoquant le Levant et l’élégance française, celle de l’art Déco, il évoque, assis dans son fauteuil, sa feuille de route. « C’est le président de la République qui la fixe. Nous sommes nommés par lui. Il y a une ligne qui est énoncée à Paris, par lui. Le Liban fait partie de ces pays avec lesquels nous avons un lien et des attaches particulières. C’est la particularité du Liban : il existe, encore, ici ce lien très fort avec l’histoire. Ici, à la résidence de France, en 1920 nous avons, effectivement, déclaré le Grand-Liban. Ce lien, quasiment indéfectible, continue à nous unir. Et, la France porte un intérêt à ce pays dans un contexte où les autres pays ne s’en préoccupent pas ou plus. »

L’histoire lie les deux pays à jamais : « Depuis François 1er, la France est proche du Liban et de tout le Moyen-Orient. C’est à ce moment-là, que la question religieuse s’est posée. Car la France a protégé les pèlerins et les communautés religieuses locales. »

De la diplomatie à la littérature

Nous évoquons les conflits, la laïcité, la religion et les valeurs. Avec le retour des conflits, depuis la guerre de 44 jours, en 2020, celle de l’Azerbaïdjan contre l’enclave arménienne du Haut-Karabakh où vivaient 155 000 Arméniens, qui avaient déclaré leur indépendance au moment de la chute de l’ex-URSS à la fin des années 80. Puis, comme si l’histoire se racontait sous la forme d’une litanie morbide, il y a eu la guerre en Ukraine, en 2022. Ensuite, le nettoyage ethnique de 2023 de tout le Haut-Karabakh qui se retrouvait de nouveau en guerre – les 120 000 Arméniens restés dans l’enclave ont dû fuir du jour au lendemain leur maison et leur terre ancestrale sans que les Etats-Unis et la France n’interviennent, comme ils le font, actuellement, pour Israël à Gaza. Avec le retour des conflits, la diplomatie française a vu son rôle s’accroître et être remis en question. Serait-elle de retour ? L’avocat-écrivain Nicolas Baverez parlait, récemment, de « la diplomatie française en état de mort cérébrale. »

Pour Hervé Magro, c’est tout le contraire. La diplomatie est bien vivante. Il note que « ces conflits mettent en lumière la perte d’un modèle et la perte de valeurs. Le nationalisme comme la religion sont des endroits où les valeurs persistent. Les autres modèles ont échoué, il faut le rappeler. Le communisme, on a vu ce qu’il est devenu. Cependant, il ne faut jamais oublier qu’il était un projet progressiste, de progrès humain. La réalité a été terrible. Puis, il y a eu le capitalisme à tout crin. Nous avons, aussi, construit l’Union Européenne, qui était un très grand projet, qui dépassait celui du grand marché commun. » Pour lui, même si elle est chahutée, la diplomatie française ferait son grand retour, à l’aune de la géopolitique des conflits.

Il nourrit son action diplomatique de ses pensées philosophiques, parce qu’il est un observateur privilégié et qu’il veut s’extraire des sentiers battus. Il aime la littérature. Il cite Amin Maalouf, élu secrétaire perpétuel de l’Académie française le 28 septembre dernier. « Dans son dernier livre (NDLR : Le Labyrinthe des égarés, L’Occident et ses adversaires, paru chez Grasset cette année), il parle de la compétition avec la Chine, mais cette-dernière n’offre pas un modèle différent. » La France resterait-elle ce phare insubmersible qui éclaire les nations tombées dans la nuit des conflits et des tragédies ?

Au service du Liban et de la Francophonie

Hervé Magro va le répéter plusieurs fois au cours de notre rencontre, comme si cette phrase résumait à elle seule sa mission : « Notre objectif est d’aider le Liban. » Au moment où le Liban vit une crise institutionnelle, depuis la vacance du pouvoir présidentiel (le dernier président de la République du Liban était Michel Aoun, dont le mandat s’est terminé le dimanche 31 octobre 2022, il y a plus d’un an) et depuis la démission du gouvernement, les aller-retours de Jean-Yves Le Drian, l’envoyé spécial d’Emmanuel Macron, sont dans cette droite ligne : « Essayer d’aider le Liban à sortir de cette impasse institutionnelle. » Mission possible ?

La France aide le Liban sur le plan institutionnel, mais, également, sur le plan économique et social. « Nos priorités sont d’aider les Libanais sur le plan de l’éducation, de l’enseignement et de la santé. Il faut savoir que le système éducatif, ici, est l’un des plus performants de la région, voire du monde. Partout, ici, en France, en Afrique, aux Etats-Unis, en Amérique, partout où ils se trouvent, les Libanais jouent un rôle majeur dans l’économie des pays. Ils sont, aussi, présents dans le secteur de la culture et de la littérature. J’ai cité Amin Maalouf, mais, je pourrais citer Dominique Eddé, notre ministre de la Culture actuelle, Rima Abdul Malak. Tout cela est le résultat de la qualité des femmes et des hommes de ce pays, et de l’enseignement. Nous sommes-là pour ça. » Le phare éclaire la jeunesse libanaise, francophone à plus de 45%.

Le nouvel ambassadeur est lancé, il ne tarit pas d’éloge pour ce pays, ce peuple, qui est devenu l’un des amis de la France. La Francophonie est, vraiment, au cœur de sa mission. « Oui, nous allons continuer à coopérer pour renforcer la Francophonie au Liban. Mais, il faut offrir à la jeunesse francophone de ce pays des opportunités d’emploi au Liban… »

64 écoles en haut de l’affiche

Sur le terrain libanais, avec une équipe de près de 300 personnes, l’ambassade de France au Liban est l’une des plus grandes ambassades de la région. La France met, donc, les moyens humains et financiers, politiques et stratégiques, pour non seulement confirmer sa présence mais la développer, l’amplifier. Elle conventionne, ainsi, 64 écoles, par le prisme de l’AEFE.

L’AEFE ? C’est l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, qui est un opérateur éducatif de premier plan, directement placé sous la tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. « Il faut ajouter à ces écoles francophones plus d’une centaine d’autres qui sont dans l’orbite de notre coopération. Les homologuées sont, donc, au nombre de 64, et les labellisées au nombre de 107. »

Ainsi, et ce n’est pas anodin, le Liban est dans le monde, le premier pays à proposer une éducation francophone à sa jeunesse. Dans le classement des établissements labellisés dans le monde entier 140 pays sont concernés. Même les Etats-Unis, qui arrivent second derrière le Liban, n’ont qu’une cinquantaine d’établissements. L’avance du Liban est considérable. Elle est le navire amiral de la Francophonie en Méditerranée. « Dans tous les pays du monde, nous avons, aussi, un système de bourses. Et, pour le Liban, nous avons en plus, lancé un programme pour équiper les écoles de panneaux solaires. » L’énergie électrique est un vrai sujet pour un pays inondé de soleil plus de 300 jours par an.

Des coopérations multiples

Hervé Magro évoque les entreprises qui souffrent, également, à cause de l’énergie électrique. Les générateurs électriques, face à la faillite d’EDL (l’EDF libanais), ont remplacé le réseau national qui ne fonctionne que 3 à 4 heures par jour. Au Liban, chaque maison (dans les lieux retirés), chaque quartier, chaque village et chaque ville sont équipés de ces générateurs polluants qui ressemblent à de petits containers habillés de vert ou de noir, surmontés d’un conduit de cheminée coudé.

« Oui, nos coopérations avec le Liban sont multiples. Nous intervenons, également, dans les domaines de l’aide humanitaire, de la défense, de la sécurité intérieure, etc. » La défense ? Oui, la France est présente militairement au Liban à travers la Force intérimaire des Nations-Unies au Liban (la FINUL) où 700 soldats français participent à l’effort de paix. Cette force est concentrée dans le sud du Liban depuis 1978. En plus, l’armée française collabore avec les forces armées libanaises pour former leurs cadres.  

Les réfugiés syriens et les camps palestiniens

Nous abordons un sujet difficile : celui des réfugiés. L’ambassadeur souligne que c’est un sujet prioritaire : « Depuis que je suis arrivé, j’ai rencontré les Nations-Unies et le Haut-commissariat pour les réfugiés. Mais, ce n’est pas simple. Ce n’est pas une question de chiffre, car la situation en Syrie est complexe. Elle s’est dégradée, dernièrement, à cause de la crise économique et sociale. » La question des réfugiés est sur sa table de travail. Leur nombre est impressionnant. « La Turquie, que je connais bien, en accueille 3,5 millions sur son sol. En Jordanie, ils sont 2 millions. Les chiffres pour le Liban oscillent entre 1,5 et 2,5 millions, selon le HCR. »

Impossible de ne pas évoquer le sujet des Palestiniens. En 1948, lors de la guerre pour la création de l’Etat d’Israël, l’armée israélienne les repousse au Liban. Puis, une nouvelle vague de réfugiés arrive en 1970, avec l’installation de Yasser Arafat et des Palestiniens chassés de Jordanie par le roi Hussein. Ils s’installent, forcés, dans des camps. « Aujourd’hui, les camps sont organisés sous le contrôle des Nations-Unies, avec leur financement. Et, les chiffres sont à revoir à la baisse, car beaucoup sont partis à l’étranger. »  Selon certaines sources, le nombre de Palestiniens vivant au Liban aurait atteint un pic de 700 000. A partir des années 80 et 90, ce chiffre aurait commencé à diminuer. Aujourd’hui, ils seraient près de 400 000, selon les chiffres de la Sûreté générale du pays.

Sur le terrain, dans les camps ultra-sécurisés, aux abords, par les barrages des forces armées libanaises, les problèmes persistent. En juillet, août et septembre dernier, des échanges de tirs à l’arme lourde ont eu lieu dans le camp de Sidon (Saïda), qui se dénomme Ain al-Helweh. Ils ont fait une dizaine de morts. C’est le plus grand des 12 camps au Liban. Il accueille près de 100 000 réfugiés.

Les premiers pas d’un ambassadeur

Arrivé le 21 août, la question des 100 premiers jours est posée. Elle devenue très médiatique, depuis qu’elle a été l’objet d’un véritable dossier d’enquête journalistique de L’Express en 2017. La question a été reposée par la suite à Emmanuel Macron, pour son second quinquennat. Elle se pose, en général, pour tout nouvel arrivé, qu’il soit un chef d’Etat, un Premier ministre, un dirigeant d’entreprise, un salarié, ou un ambassadeur.

Alors, monsieur l’Ambassadeur, vos 100 premiers jours ? « En principe les premiers jours, les premières semaines, c’est, d’abord, la prise de fonction. Elle est assez rapide. Puis, c’est la prise de contact avec tous les collègues. Ce que je fais, en général, c’est que je visite chaque service, personnellement. Ici, vous êtes dans une grosse ambassade où travaille près de 300 personnes. Comme je vous l’ai, déjà, dit, nous avons beaucoup de coopérations. Après les services de l’ambassade, j’ai, également, rencontré les autorités locales. Ensuite, j’ai commencé à prendre le pouls de la société. Très vite, j’ai eu la visite de Jean-Yves Le Drian. Avec lui, j’ai eu une entrée en matière accélérée. Et, maintenant, nous avons le conflit à Gaza. Ce n’est pas une prise de fonction ordinaire. » Nous évoquons sa sécurité. Il n’a pas reçu de menaces. Mais, il a dû annuler une partie de ses visites, notamment, celle dans le sud du pays.

Rappelons que l’un de ses prédécesseurs, Louis Delamare, était assassiné par un commando diligenté par les Syriens, le 4 septembre 1981. Le Liban se trouvait, alors, en pleine guerre civile.

Un monde de conflits et un monde nouveau

Nous concluons en terminant sur les conflits en cours et en convoquant, de nouveau, l’histoire. « La situation actuelle au Proche et au Moyen-Orient est liée à l’histoire de la région. Si on ne pense pas en ces termes-là, on ne comprend pas grand-chose à ces conflits. Il faut éviter l’écueil de rester dans le passé. Il ne s’agit pas d’oublier l’histoire, celle de Gaza, celle d’Israël, celle de la Palestine et celle du Liban. Mais, rester figé dans le passé nous empêche d’avance. Nous devons réconcilier ce passé avec l’avenir. Et, nous voulons un avenir de paix. C’est notre rôle. C’est celui de la France. C’est le mien. »

Pour lui, le monde de demain est un monde nouveau, un monde de paix. C’est en tout cas sa vocation, sa feuille de route.

A l’heure où nous bouclons cet article, nous apprenons que le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a reçu ce mardi, au Grand Sérail, Hervé Magro. Les deux hommes ont évoqué leurs relations bilatérales et la visite du ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, qui s’est rendu au Liban du 1er au 3 novembre dernier.

Reportage réalisé par Antoine BORDIER     


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