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Festival Yeraz : l’Arménie se dévoile à Mont-de-Marsan

Photos : Antoine Bordier

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Que s’est-il, donc, passé dans la tête du directeur du Théâtre de Gascogne, Antoine Gariel, pour qu’il entreprenne, avec l’accord de ses pairs et des collectivités locales territoriales, de monter un festival arménien, en terre landaise ? C’est inédit, et, ils l’ont fait. Depuis le 21 mars, avec le maire de Mont-de-Marsan, Charles Dayot, avec le parrain emblématique du festival, Simon Abkarian, la quinzaine arménienne est belle et bien lancée. Extraits sur cette 1ère semaine haute en couleurs où l’amitié culturelle lando-arménienne est à l’honneur.

C’est le jour J, ce lundi 21 mars au soir. Dans le grand hall du Théâtre de Gascogne le public va et vient. Le théâtre ne désemplit pas. Bien au contraire, ce soir-là, près de 1000 personnes sont venues participer au lancement du Festival Yeraz. Yeraz ça veut dire quoi ? Antoine Gariel a ôté pour la circonstance son béret landais. Il est en complet veston. Avec sa casquette de directeur, il accueille, tour-à-tour dans le hall, les invités officiels. Parmi eux, se trouve Hasmik Tolmajian, qui est l’ambassadrice d’Arménie en France. Elle explique que « c’est une première édition, qui j’espère en appellera d’autre. Antoine Gariel a fait un travail remarquable avec son équipe. C’est inédit en ce lieu où il y a peu d’Arméniens qui y vivent. Ce festival propose aux Landais de découvrir les rêves de notre peuple qui sont nés au pied du Mont Ararat. Il leur donne rendez-vous, ici, à travers des conférences, des spectacles, des pièces de théâtre, des films, des dégustations gastronomiques, des tables-rondes, etc. » Mais Yeraz, ça veut dire quoi ? « Yeraz ça veut dire songe ou rêve » répond Antoine Gariel. Il vient de serrer la main de Simon Abkarian, un acteur et metteur en scène français d’origine arménienne. « Lorsque j’ai rencontré Antoine Gariel, et, qu’il m’a parlé de son projet, il y a plus d’un an, je lui ai dit : pourquoi pas ! » Depuis, plus de 400 jours après, avec la mobilisation de plusieurs équipes – celle du théâtre et celle de la municipalité, dans un premier temps – les voyages en Arménie d’Antoine Gariel et de Charles Dayot, les rencontres avec les artistes, comme Simon, mais, aussi, comme Christina Galstian et Serge Avedikian, le rêve est devenu tangible. Forme et fond sont réalités.

Pour le lancement de cette première édition, les organisateurs ont mis les petits plats dans les grands. Tout d’abord, ils ont souhaité mettre en lumière l’art photographique, notamment avec l’exposition à couper la vue d’Antoine Agoudjian. Dans la soirée, le concert d’un groupe multiculturel faisait, aussi, son plein. Il fêtera ses 3 ans à la fin de l’année. Nom de code : Ladaniva. Pendant près de deux heures, les 600 spectateurs ont voyagé dans les profondeurs du folk arménien et du jazz, où se marient des cultures musicales qui s’étendent de la France, jusqu’au Caucase, en passant par les Balkans, la Biélorussie, d’où est originaire, en partie, la belle et jeune chanteuse, Jacqueline Baghdasaryan. Avec le français Louis Thomas, un multi-instrumentiste hors-pair, les autres musiciens, et, le chœur, la performance est au rendez-vous de la nuit.

C’est le 1er jour du printemps. Le festival fleurit, déjà, de tonalités musicales où tous les sens sont convoqués à une douce ivresse mélodique. 

Objectif : célébrer l’amitié franco-arménienne

Quelques jours avant le lancement du festival, à plus de 5 500 km de là, à Stepanakert – la capitale auto-proclamée de l’Artsakh, dans la partie du Haut-Karabakh qui reste, encore, entre les mains des Arméniens, mais qui est, toujours, convoitée militairement par les Azéris et les Turcs – il fait -5° C dans les habitations. Les Azéris ont endommagé volontairement le réseau de gaz, qui alimente toute la région. Alors que la guerre fait rage en Ukraine, Aliev, le président de la république d’Azerbaïdjan, continue son objectif de s’emparer coûte que coûte de la totalité de ces terres ancestrales arméniennes. Là où certains, et non des moindres, se transforment en fossoyeur d’un peuple, de son histoire, de sa culture (en détruisant tout son patrimoine, dont une partie est classé à l’UNESCO !), de ses terres, d’autres, sur le plan artistique, culturel, philosophique et géo-politique en deviennent les chantres, presque les remparts.

Au Festival Yeraz, les objectifs vont à contre-courant des spoliateurs. A Mont-de-Marsan, il s’agit, en toute authenticité, d’entretenir cette mémoire arménienne, triplement millénaire, de favoriser les échanges inter-culturels, de (re)créer des ponts entre la France et l’Arménie, entre les Landes et l’Arménie, entre Mont-de-Marsan, capitale de Gascogne, et, Gyumri, capitale culturelle de l’Arménie.

En ce sens, le Festival Yeraz devient plus qu’un programme, qui s’enrichit jour après jour des spectacles, des expositions, des projections cinématographiques, des actions culturelles, des ateliers et des masterclasses, des conférences, des tables-rondes et des dédicaces d’auteurs à foison. Il devient un message d’espérance qui célèbre les couleurs de l’amitié culturelle bleu-blanc-rouge et rouge-bleu-orange (abricot). Le temps d’une quinzaine, les Landes se pavoisent aux couleurs de l’amitié franco-arménienne.

Des Expositions avec un grand E

Dans le musée Despiau-Wlérick, qui se situe, à vol d’oiseau, à 300 mètres de l’hôtel de ville, les artistes arméniens sont à la fête, jusqu’au 19 juin. Il faut dire qu’en Arménie existent des monstres sacrés. Certes, ils ne sont plus de ce monde. Mais, leurs œuvres, et, leurs postérités perdurent. Zoomons sur l’un d’entre-eux, et, sur l’exposition de Sergueï Paradjanov, Je n’ai plus le droit de rêver. Avant de devenir un monstre sacré, aux multiples facettes artistiques et culturelles, Sergueï Paradjanov a usé ses fonds de culottes sur les bancs de l’une des plus grandes écoles de cinéma. Né à Tbilissi, en 1924, la capitale de Transcaucasie (une république soviétique créée par Staline qui réunissait, entre 1922 et 1936, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan), le jeune Sergueï est attiré, dans un premier temps par la musique. A ses heures perdues, il aime se poser sur un piano. Mais, c’est le grain de l’image, celui de la pellicule, qui l’attire. A Moscou, il intègre à l’âge de 21 ans, le célèbre Institut national de cinématographie, VGIK. Parmi ses professeurs, il y a celui qui est considéré comme le fondateur du cinéma ukrainien, Alexandre Dovjenko.

A l’âge de 30 ans, il réalise son premier long-métrage. A 40 et 44 ans, il réalise ses deux chefs-d’œuvre : Les Chevaux de Feux, et, Sayat-Nova. Ils seront tous les deux censurés, car le premier porte la lumière sur un paysan ukrainien et sur la place de la religion orthodoxe. Le second raconte la vie du poète arménien Harutyun Sayatyan. Il a été censuré parce qu’il était tourné dans un dialecte ukrainien. Après ces censures, le maestro vivra une longue persécution. Il sera condamné et emprisonné à plusieurs reprises, accusé d’anti-communisme, de trafic d’œuvres d’art, de nationalisme. Lors de ses, presque, 10 années d’incarcération, dont 5 ans de travaux forcés, son art cinématographique s’éteint peu-à-peu. Mais, il donne libre cours à d’autres arts : celui du dessin, du collage, de la plasticité…Son dernier film, La Confession, date de 1990. Il ne pourra pas le terminer. Il meurt la même année, à la suite des maltraitances soviétiques et d’un cancer. Dans le musée Despiau-Wlérick, une soixantaine de ses œuvres rendent hommage à cet Artiste inclassable. Artiste, avec un grand A.

Des conférences et des tables-rondes

Les œuvres de Paradjanov côtoient celles du sculpteur Toros Rast-Klan. Les corps, les visages, les gestes, sont élancés, et, deviennent gracieux avec le jeu d’ombres et de lumières, qui dessinent parfaitement les formes. Là, aussi, une terrible histoire familiale vient semer en lui des graines artistiques. Soudeur, il deviendra ferronnier, avant de s’exprimer pleinement comme sculpteur. Son expression artistique est visible à travers de nombreux monuments publics en France, notamment, à Aix-en-Provence, Marseille, Paris et Romans-sur-Isère, où il repose depuis 2020.

Le Festival Yeraz, c’est, aussi, des conférences et des tables-rondes. Parmi ces-dernières, citons, les deux premières qui ont réuni des hommes et une femme d’exception. A la première table-ronde, deux auteurs-historiens, Jean-Pierre Mahé et Gérard Dédéyan, ont pris place autour de Simon Abkarian. Pendant, une heure-et-demi, les trois hommes vont converser sur La relation exceptionnelle qui unit la France et l’Arménie. Au crible de l’histoire, Jean-Pierre Mahé, dont l’ouvrage majeur reste Histoire de l’Arménie, des origines à nos jours, et, Gérard Dédéyan, dont le dernier livre en tant que co-auteur, Les Justes et gens de bien du génocide des Arméniens, fait référence, ont particulièrement capté le public. Surtout, lorsqu’ils ont discouru sur les Croisades et Léon de Lusignan, le dernier roi d’Arménie, né en Cilicie en 1342, et, mort à Paris en 1393.

Autre table-ronde passionnante, celle qui a réuni 4 auteurs, dont une femme, sur le thème : L’Arménie, sujet de la littérature en France. Des personnalités hors-du-commun, qui, pendant deux heures, ont évoqué les grands auteurs français, comme Anatole France, Apollinaire, Marcel Proust.

Ondine Khayat est à la fois auteure et thérapeute. Son dernier livre, Ils ne faisaient que rêver, poursuit son travail d’exploration autour de la valeur de la vie humaine en évoquant l’écologie, l’idéalisme, le transhumanisme. Son précédent livre, Le Parfum de l’exil, parlait du génocide.

Henry Cuny, est un ancien diplomate, ambassadeur de France en Arménie entre 2002 et 2006. Il est l’auteur d’un livre « remarquable » (selon les témoignages recueillis sur place), La mort n’existe pas, sur Komitas, le célèbre prêtre-compositeur-musicien, rescapé du génocide de 1915.

Avec Jan Varoujan-Sirapian, ancien photographe, auteur et éditeur, la littérature prend des allures de thriller, et, de règlement de comptes. A travers une B.D, Mission spéciale, Némésis, et un livre, Hadoug Kordz, il signe une grande œuvre qui raconte les exécutions des responsables du génocide de 1915, dont Talaat Pacha, le “ Hitler turc ”, abattu à Berlin le 15 mars 1921.

Enfin, à travers les multiples pays où il a vécu, Patrick Manoukian, alias Ian Manook, est le plus atypique des auteurs. Entrepreneur, éditeur, voyageur, il réconcilie l’aventure, la quête mémorielle, la vérité historique avec la littérature. Son dernier livre ? Lui, qui n’a jamais mis les pieds en Arménie et qui parcourt le monde, a écrit sur le génocide, celui de sa famille, L’oiseau bleu d’Erzeroum.

Le Festival YERAZ bat, donc, son plein à Mont-de-Marsan. Le programme de la semaine prochaine sera très chargé, avec la projection de films comme Si le vent tombe, de Nora Martyrosian. Lors de la journée professionnelle du 30 mars, le sujet du traumatisme sera abordé par rapport à la jeunesse. Les 1er et 2 avril, deux journées seront consacrées aux élus, avec les deux dernières tables-rondes : sur la guerre des 44 jours, de 2020, et, sur l’actualité. Jean-Christophe Buisson, le directeur adjoint du Figaro Magazine, et, François-Xavier Bellamy feront le déplacement. Enfin, le spectacle Papiers d’Arménies, qui raconte cette Arménie vivante et plurielle, celle d’hier et d’aujourd’hui, clôturera cette quinzaine inédite, riche, aux couleurs bleu-blanc-rouge et rouge-bleu-orange (abricot), celles de l’amitié renforcée entre la France et l’Arménie. Celles d’un rêve landais devenu réalité ! Yeraz est un songe heureux, où même la gastronomie arménienne est invitée en terre landaise !

Pour en savoir plus : www.festivalyeraz.fr

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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