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Pourquoi abandonner ce que nous sommes ?

Entreprendre - Pourquoi abandonner ce que nous sommes ?

Tribune. C’est le thème du film qu’interprète Anthony Hopkins sous le titre « The Father » (le père).

Atteint par la maladie d’Alzheimer, un homme voit la réalité s’estomper autour de lui et ses proches se transformer à ses yeux en indifférents , inconnus ou adversaires, dans l’incapacité où il se trouve de se situer dans le temps et l’espace. Ce drame magnifiquement interprété nous renvoie à la situation présente, car les sociétés peuvent tout aussi bien que les humains qui les composent être atteintes par cette maladie, qui impose un effacement progressif des références à un patient que la mémoire abandonne. Est-ce une maladie sociale génétique qui voudrait que tout édifice finisse par s’effondrer, sous les effets du temps pour obéir aux règles de la nature ?

Une simple promenade dans la ville éternelle, Rome, nous inciterait à le croire devant les ruines du Forum et la masse délabrée du Colisée, symboles défunts de la puissance d’un Empire qui domina le monde, notre monde. Poursuivons cependant l’analogie médicale. Les maladies dégénératives se soignent, elles, et tous les jours les chercheurs s’acharnent et même s’échinent pour découvrir des thérapeutiques habiles à contrer les effets de l’oubli, pour restaurer l’homme dans la dignité que lui confère la maîtrise de ses repères, autrefois nommés culture. Mais voilà, la culture a laissé la place au (x) culture (s), l ‘identité au (x) identité (s) ! La mémoire s’efface et le père ne reconnait plus ses enfants. Plus qu’une histoire véridique, le film est aussi une allégorie. Où sont les « chercheurs » qui s’acharnent et qui s’échinent pour sauver notre monde ? Est-il donc écrit que nous allons disparaître  face à une agression dont la bêtise et la grossièreté le disputent à l’arriération mentale et à l’ignorance ?

Et l’on nous parle de territoires perdus !

Alerté par la disparition des mets traditionnels de nos tables quotidiennes, je me suis enquis près d’un restaurateur aimable et gastérophile de la raison de l’absence de sa carte du fameux pied de cochon grillé, qui faisait la réputation de sa maison quand, enfant, mon  notaire de père m’y menait m’en régaler en compagnie de ses vieux amis de la basoche _ « Ah! Monsieur », me dit-il « ça n’a plus bonne presse aujourd’hui que ces plats là, comme les tripes la cervelle ou la langue ! » _ « Et pourquoi, ai-je risqué  ? » _ « Les gens ne savent plus » fit -il, « on ne leur a pas appris ! ». Nous y sommes : On ne leur a pas appris !

Pas davantage que l’élégance, le soin dans la toilette, le bon usage, la courtoisie et j’en passe…

Pourquoi cet abandon de ce que nous sommes ? Après les plats, le vin, les alcools, les chaussures,…les cultes , et quoi encore ?

Les livres, aussi, puisque l’on désapprend la lecture en désarticulant la langue ! Un sauvage endimanché par l’érudition compassionnelle a même proposé de réécrire Molière ,…pour le rendre accessible ! Une société, je le crois, peut être soignée comme l’on soigne les hommes. C’est ce qu’a fait Napoleon au sortir de ce trou noir que fut la Revolution.

Il faut chercher, bien sûr, mais il faut trouver surtout, quoiqu’il en coûtera  comme  d’aucuns disent.

Au train où vont les choses nos valeurs cherront avant la fin de la décennie.

Une société qui titube, qui ne reconnait plus ses proches, qui en vient à balbutier son propre nom de famille, ne peut certes pas être considérée comme saine d’esprit . Pour autant, le mal qui  l’atteint n’est pas incurable comme l’exemple précité  de la Revolution l’atteste, car la France en a été guérie . L’erreur commune est de considérer que les maux qui atteignent le pays sont d’ordre institutionnel quand il ne s’agit que de problèmes qui affectent son âme. Au premier chef de ceux-ci, la mauvaise conscience comme l’a si finement analysé Frederic Nietzsche.

Dans Le Crépuscule des Idoles, ne va-t-il pas jusqu’à écrire ? : « Pauvre France malade dans sa volonté ». Volonté, le mot est lâché.

Avons-nous le vouloir de guérir afin de rester nous-mêmes ?

Voilà la question.

« Être ou ne pas être » comme a soliloqué Hamlet.

Devrons-nous comme Socrate payer un coq à Esculape pour nous avoir guéri de la vie ? C’est aujourd’hui que la question se pose.

Jean-François Marchi


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