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Comment le Pape François reprend en main le diocèse de Fréjus-Toulon

Le Vatican nomme un « coadjuteur », sorte de tuteur, au côté de l’évêque controversé Dominique Rey. François Touvet prend, en grande partie, la main sur le diocèse, dont la gestion a fait l’objet d’une enquête commandée par le Vatican, qui a souligné plusieurs manquements.

Copyright des photos Mgr Touvet

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C’était il y a deux ans. Le futur cardinal Aveline, archevêque de Marseille, rendait une « visite fraternelle » à ce diocèse. Son évêque, Mgr Rey, était, alors, dans le « collimateur » du Vatican. En juin 2022, la sentence tombait l’interdisant d’ordonner les futurs prêtres et diacres. Puis, la visite apostolique de Mgr Hérouard et de Mgr Mercier suivait. Le 21 novembre dernier, ce rififi ecclésial unique au monde a pris fin avec la nomination par le pape François de Mgr Touvet, comme évêque co-adjuteur.

Le diocèse de Fréjus-Toulon semble vivre une nouvelle lune de miel. Un miracle, ou un mirage, après ces deux années de « douleur » pour reprendre le propre mot de l’évêque de ce diocèse, Mgr Dominique Rey ? Cette épreuve semble l’avoir renforcé. Après avoir courbé l’échine et avoir mis un genou à terre – tel le padre Pio (1887-1968) : figure incontestée de la communauté franciscaine d’Italie, qui avait été interdit de confesser par sa hiérarchie, en raison d’accusations qui s’avérèrent fausses – Mgr Dominique Rey se remet debout. Il recommence à sourire et à faire de l’humour. Il va réécouter ses chanteurs préférés : Brassens, Brel, Léo Ferré, etc.

« En octobre, j’ai appris que le pape François avait nommé à mes côtés un évêque co-adjuteur », raconte-t-il, assis dans son petit canapé, qui se situe au rez-de-chaussée de son évêché, à Toulon. Il est tout de bleu-marine vêtu. L’épreuve semble se terminer dans un bienheureux dénouement. Lui, que certains surnomment « l’apôtre des Béatitudes ». Lui, qui fut, jadis, le chantre de l’Eglise charismatique, celle que les papes Jean-Paul II et Benoît XVI ont encensé pendant près de 30 ans, et qui, au fil de ses vingt-trois années d’évêque dans le Var (il a été nommé évêque en 2000), a élargi ses bras et son horizon aux « diversités les plus larges » de l’Eglise, pour reprendre l’expression de l’un de ses proches- aux périphéries de l’Eglise, pour reprendre la vision du pape. Mais, parfois les périphéries dérangent et des erreurs sont commises. Ce n’est plus un secret de polichinelle.  

L’Eglise, l’Evêque et son diocèse

Des erreurs ? Oui. Des périphéries qui dérangent ? Oui, également. Une trop grande confiance et un manque de discernement. Oui, enfin… Il est bon de prendre un peu de hauteur, de largeur et de profondeur sur de tels sujets, qui pourraient paraître sorciers ou très éloignés des soucis du commun des mortels. Sauf que, ces sujets concernent la France, l’Eglise entière, et se résument à : la bonne et sainte gouvernance de l’Eglise dans un contexte presqu’entièrement franco-français. Car le Vatican a son mot à dire, la preuve.

La France, n’en déplaise aux jacobins et aux révolutionnaires de tout poil, n’est pas née en 1789, et encore moins en 1905. La Révolution française, l’avènement de la République et la séparation de l’Eglise et de l’Etat sont, cependant, à prendre en compte. Ces évènements douloureux, éprouvants et persécutants, ont formé le matelas de notre régime institutionnel, politique et social, actuel. Mais, le sommier ecclésial est plus ancien. Oui, la France est un vieux pays, septuplement millénaire, qui est né dans les entrailles des Gaulois, des Grecs et des Phéniciens.  Adorateurs de faux dieux au pluriel, druidiques et païens, les Francs devinrent chrétiens lors de la conversion de Clovis au christianisme en 496. Un roi qui a fait de sa religion, sa constitution ! Déjà, aux premiers siècles, l’Eglise catholique se répandait avec, notamment, sa présence en terres varoises. Celle de Marie-Madeleine et de son frère Lazare, qui, selon la tradition de l’Eglise, ont vécu au Ier siècle, dans les grottes de la Sainte-Baume, exactement. A un jet de pierre de Toulon.

Les diocèses se sont, ensuite, formés au rythme des martyrs et du sang versé, comme celui de Blandine, à Lyon. Par la suite, l’Eglise du royaume de France, est devenue plus forte et puissante, l’un des premiers maillons de nos institutions. Les évêques étaient comme des rois. Aujourd’hui, l’Eglise a changé. Le laïc est devenu partie prenante, au-delà de sa participation au denier de l’Eglise, à la quête et aux legs, sans qui l’Eglise ne serait qu’une coquille vide, impossible de subvenir à ses besoins. La France ne vit plus au temps de ces milliers de monastères, qui, eux, vivaient en autarcie. Les moines travaillaient. Aujourd’hui, les évêques seraient devenus des gouvernants, des serviteurs, quand d’autres seraient d’efficaces fonctionnaires. Est-ce que certains sont des apôtres ? C’est en tout cas, comme cela que se présente Mgr Rey : « Oui, je suis comme un apôtre, un serviteur, au milieu de mes frères… »

Un serviteur inutile ? Non, pas vraiment, car il est ecclésialement et juridiquement le premier responsable de son diocèse. Un diocèse qui attire les regards et attise les jalousies depuis longtemps. Ce n’est pas nouveau. Avant lui, Mgr Madec avait essuyé les premières critiques.

Mgr Joseph Madec, aux avant-postes

Le diocèse de Fréjus-Toulon fait partie des 10 premiers diocèses de France. Il serait même dans le top 5 et monterait, encore plus haut, sur le podium des diocèses les plus dynamiques quant au nombre de séminaristes. Cette ascension pourrait déranger. Il n’est pas bon d’être le premier, comme le dit le texte saint : “ Les premiers seront les derniers ”. Oui, il est devenu le numéro 1, devant Paris, en termes de prêtres et diacres ordonnés.

C’est dire. C’est même dingue : Paris à la seconde place. Paris, le premier diocèse de France avec un budget de 90 millions d’euros et son milliard d’euros de biens immobiliers et fonciers, n’arrive pas à distancer le diocèse de Fréjus-Toulon et son petit budget de 12 millions d’euros. Mais entre Paris et Toulon, aucune tempête à l’horizon. Les deux évêques s’apprécient et se respectent. L’émulation est un bon signe entre les diocèses de France. La division et la jalousie en sont des mauvais, comme dans toute institution.

En France, cependant, l’heure est grave, l’Eglise de France doit redresser la barre de son Titanic. Car les vocations sont, toujours, en chute libre. Les séminaristes de France, toutes années confondues, sont un peu plus de 600. Chiffre honorable, au premier abord. Insuffisant au regard du nombre de prêtres décédés chaque année : plus ou moins 800. Rappelons qu’il y avait 50 000 prêtres en France à la sortie de 1945, pour un peu plus de 5 000, aujourd’hui. Alors que le nombre de clochers est le même : autour de 42 000.

C’est ce qu’avait compris Mgr Joseph Madec, le prédécesseur de Mgr Rey. Tant sur le plan budgétaire, que sur le plan ecclésial. « Un évêque-apôtre qui n’a pas de séminaire est un fou », lance Raymond Manna qui vit dans le diocèse depuis une quinzaine d’années et qui a été reçu par Mgr Hérouard et Mgr Mercier lors de leur mission d’audit du diocèse, l’année dernière. « Fou », c’est, ainsi, que certains ont qualifié Mgr Madec (1923-2013) quand il décide de ré-ouvrir un séminaire, il y a 40 ans, en 1983, à La Castille, près de Toulon. Depuis 1983, selon les chiffres du diocèse, plus de 150 prêtres ont été ordonnés, après être passés par ce séminaire.

Un management à deux têtes ?

Pour Raymond, la situation actuelle représente une situation « cul par-dessus tête ». Pour lui, le management à deux têtes n’existe pas. « Il n’y aura qu’un seul patron. Sa lettre de mission est très large », ajoute-t-il. Mgr François Touvet aurait les pleins pouvoirs. Pour Odon Vallet, le célèbre historien des religions, qui commençait à s’impatienter de cette histoire qui durait trop longtemps et qui ne trouvait pas de solution appropriée : « L’affaire est réglée. Mgr Rey reste évêque, il doit s’entendre avec Mgr Touvet, sinon il devra partir. Et, Mgr Touvet n’a pas les pleins pouvoirs, même s’il a des pouvoirs spéciaux, très élargis. Il est son successeur. » Alors, pleins ou pas pleins les pouvoirs ?

François Jusot, au service du diocèse depuis plusieurs années sur les sujets des communautés étrangères, donne, aussi, des formations aux séminaristes. Il a, rapidement, croisé Mgr Touvet à l’évêché : « Ce qu’est en train de vivre le diocèse est inédit. Il s’agit d’une sorte de recommencement, d’un renouveau. Mgr Rey reste l’évêque du diocèse. Il va renforcer sa présence dans les paroisses et auprès des prêtres. Pendant que Mgr Touvet sera aux opérations administratives, financières, etc. Il aura les pouvoirs pendant que Mgr Rey aura l’autorité. » Les opérations d’un côté (mais pas toutes) et la spiritualité de l’autre.

En termes de management, c’est inédit. Il s’agit d’un management à deux têtes. A Mgr Rey la spiritualité, à Mgr Touvet la gestion des affaires et des ressources (humaines) du diocèse. Quoiqu’il en soit les deux managers-serviteurs vont avoir besoin l’un de l’autre. Et, ils devront vivre comme des frères ! Attention, donc, aux effets de communication et aux (mauvaises) postures.

De son côté, le droit Canon, que dit-il ?

Il est le droit, comme le code civil et le code pénal, la règle, qui organise la vie de l’Eglise et de ses membres, du pape, aux fidèles, en passant par les séminaristes, les prêtres, les évêques et les cardinaux. Il y a deux ans, le pape François réformait le droit Canon en profondeur, notamment, sur le sujet des sanctions, en raison des affaires de pédophilie. Ce travail démarré par feu son prédécesseur, le pape Benoît 16, décédé il y a près d’un an, le 31 décembre 2022, est d’actualité.

Pour le pape actuel, il s’agissait de réformer des règles « qui rendent le peuple de Dieu uni et dont les évêques sont responsables de l’observance ». Il parlait de la charité et de la miséricorde « qui exigent qu’un Père s’engage aussi à redresser ce qui devient parfois tordu ». Tordu ?

Dans le code de droit canonique, un chapitre est consacré aux évêques. L’article 381 stipule : « À l’Évêque diocésain revient, dans le diocèse qui lui est confié, tout le pouvoir ordinaire, propre et immédiat requis pour l’exercice de sa charge pastorale, à l’exception des causes que le droit ou un décret du Pontife Suprême réserve à l’autorité suprême ou à une autre autorité ecclésiastique. » Qu’en est-il de ce « pouvoir » ? Il s’agit du pouvoir exécutif, judiciaire et législatif.

En l’espèce, laissons Mgr Touvet répondre à cette question : « Les pouvoirs spéciaux que me confère le pape me feront travailler de plus près avec les prêtres et les diacres, le séminaire de la Castille, et toutes les communautés, quel que soit leur statut canonique. Je veillerai avec soin sur l’administration du diocèse : les finances, l’immobilier, les ressources humaines. » Il faut rajouter : « avec les pouvoirs spéciaux du gouvernement diocésain dans les domaines de la gestion du clergé, de la formation des séminaristes et des prêtres, de l’accompagnement des instituts de vie consacrée, des sociétés de vie apostolique, et des associations de fidèles ».

Qui connait Mgr François Touvet ?

« Nous ne le connaissions pas », répondent à l’unisson quelques fidèles diocésains. « Emeline le connait », ajoute Denise. « Elle m’a dit que c’était un très bon évêque ». Serait-il une bonne étoile, à l’approche de Noël ?

Né en 1965, il appartient à une vieille famille de militaires. Son beau-frère est le général Pierre de Villiers, qui, on s’en souvient, avait démissionné avec fracas le 19 juillet 2017 de ses fonctions de chef d’Etat-Major des armées, en raison d’un désaccord fondamental sur le budget des armées. Il s’est opposé directement au président Emmanuel Macron, qui a dû rappeler aux militaires : « Je suis votre chef ». Séquence atypique et inédite de notre histoire nationale récente, qui rappellerait, en creux, celle qu’a vécu Mgr Dominique Rey. Mais il n’a pas démissionné.

Les deux évêques ont des points communs : ils se sont croisés à Paray-le-Monial, dans les années 1980 et ils ont un goût prononcé pour l’évangélisation. Le jeune Touvet y fait son séminaire entre 1983 et 1986, alors que Dominique Rey y est nommé supérieur des chapelains de Paray-le-Monial entre 1986 et 1988. Ordonné prêtre le 28 juin 1992, François Touvet deviendra aumônier militaire en 2011, avant d’être nommé évêque en 2015 pour le diocèse de Châlons-en Champagne. Sa carrure, son humilité et son sens du bien-commun, en font « quelqu’un de bon et de fiable », à suivre de près.

Deux évêques sur le pont de Toulon

Il est vrai qu’il arrive dans un diocèse qui ne ressemble pas au sien. Il quitte Châlons-en-Champagne, dont les chiffres-clés sont les suivants : une soixantaine de prêtres, pour une trentaine de paroisses, au service d’une population de 270 000 habitants. Et du côté de Fréjus-Toulon : 218 prêtres actifs, 1 million d’habitants et 63 séminaristes.

Un nouveau dimensionnement, une nouvelle réalité, plus ou moins complexe, donc, pour Mgr Touvet, dont la devise est : « Amour et vérité se rencontrent ». Il va devoir, ainsi, composer avec Mgr Rey, car il pourrait vite se voir déborder par sa droite et par sa gauche. Déjà, sa première semaine de visite qui s’est déroulée du 21 au 27 novembre a été très riche : il a rencontré tous les services du diocèse, les responsables des communautés et les séminaristes. Cette semaine du 4 décembre correspond au grand changement, à celle de son déménagement et de son installation. Le 10 décembre, une messe d’accueil sera présidée par le cardinal Aveline, archevêque métropolitain de Marseille, et concélébrée par Mgr Rey et le Nonce apostolique représentant le Pape, à 16h00 à la cathédrale Notre-Dame-de-la-Seds de Toulon.

Cap sur les ordinations 2024

Le rififi toulonnais semble, donc, s’éloigner pour se terminer dans les meilleures conditions. Même si sur le terrain, dans les paroisses, cela rue un peu dans les brancards, avec la réalité d’une ultra-gauche et celle des traditionalistes qui appelaient soit au départ de Mgr Rey (pour les premiers), soit à son renforcement (pour les seconds). Il existe, aussi, un juste milieu, un point d’équilibre.

Car, c’est cela le diocèse de Fréjus-Toulon : une réalité complexe où toutes les communautés sont présentes, comme les communautés ecclésiales traditionaliste et progressiste. Mgr Rey, depuis 2000, depuis sa nomination au gouvernail de l’Eglise du Var, connaît bien cette réalité. Il l’a fait sienne. Mais, le diocèse Toulon-Fréjus, comme celui de Rome, ne s’est pas fait en un jour, en un an, en cinq ans. Comme le dit François Jusot : « Connaissez-vous la parabole du bon grain et de l’ivraie ? Elle correspond, tout-à-fait, à ce qu’a vécu Mgr Rey pendant ces 23 ans. Il n’a jamais voulu enlever l’ivraie, comme le Christ le conseille. Il a, toujours, voulu faire pousser le bon grain… »

Allégorie amusante, qui résumerait à elle-seule cette vie donnée dans un diocèse-mosaïque où le vivre-ensemble est majeur. L’allégorie de la vigne est intéressante, également. Le séminaire de La Castille en est entouré. Une quinzaine des 63 séminaristes qui y sont formés devraient être ordonnés en 2024.

C’est une bonne nouvelle pour ces jeunes et leurs familles, qui ont, réellement souffert de cette situation. Car comment comprendre un tel rififi ecclésial au dépend de la jeunesse ? A un moment de l’histoire épineuse de l’Eglise de France (toujours marquée par les affaires de pédophilie), si le renouvellement de son clergé n’est plus assuré. Si tel était le cas, ce serait la mort d’une église annoncée.

Quand et qui ?

Pour l’heure, une question reste entière, à laquelle ni Mgr Hérouard, ni Mgr Touvet, ni Mgr Rey n’a pu répondre avec précision : Quand et où auront lieu les ordinations en 2024. Et, surtout qui les ordonnera ? Pour certains, « Mgr Rey appellerait les séminaristes à l’ordination, et Mgr Touvet les ordonnerait. »

Concluons cette enquête avec Mgr Hérouard, qui se réjouit de l’heureux dénouement : « C’est toujours une bonne nouvelle de sortir d’une situation de crise. La suspension des ordinations n’était pas une punition à l’égard des séminaristes (qui, d’ailleurs, ne l’ont pas vécue comme telle), mais un fort signal d’alerte concernant les problèmes liés au discernement et à l’accompagnement des séminaristes et des prêtres. La levée de cette mesure ne pouvait se concevoir que dans le cadre d’une décision concernant la gouvernance globale du diocèse. C’est donc maintenant possible. » L’Eglise de Fréjus-Toulon est de nouveau… en marche !

Enquête réalisée par Antoine BORDIER

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