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Château de La Castille : entre ciel, terre et vignes

Photos : Antoine Bordier

Il est 6h00 du matin, le château de La Castille s’éveille tout doucement. Dans 30 mn, le soleil commencera à briller sur les 200 hectares du domaine, dont 160 de vignes. Il y a un siècle, Frédéric Aubert de la Castille, et, son épouse, Berthe, léguaient leur propriété du Var à l’Eglise. Depuis, le château a été transformé en école d’un nouveau genre : un séminaire, qui accueille des jeunes hommes venus du monde entier. Reportage entre ciel, terre et vignes.

« Nous commençons chaque journée par l’adoration à 6h50 », explique d’emblée le nouveau recteur du séminaire de l’Immaculée Conception, le père Benoît Moradei. Du haut de son 1,87 m, il ne ressemble pas du tout à un châtelain. Grand, élancé, sportif, les cheveux coupés courts, portant une barbe de 3 jours qui blanchit au fil des années, ce jeune cinquantenaire est le responsable d’un des premiers séminaires diocésains de France. Il accueille une cinquantaine de jeunes hommes. Pendant 7 ans, ces étudiants vont étudier, prier et travailler pour devenir de futurs prêtres. A l’heure où l’Eglise de France s’essouffle et peine à remplir ses séminaires et ses églises, à trouver de nouvelles vocations sacerdotales, le séminaire du diocèse de Fréjus-Toulon fait partie de ces « good news », de ces bonnes nouvelles pour enrayer la crise récurrente des vocations.

Derrière le recteur, en arrière-plan, le domaine de la Castille étend avec largesse ses premiers ceps de vigne. A mesure où le soleil se lève, l’ombre des ceps se dessine sur ces terres argileuses et sablonneuses, de couleur ocre. Les ceps ont été finement taillés depuis quelques semaines. Le recteur explique qu’« il y a deux ans, les séminaristes participaient aux vendanges du domaine, dans le courant du mois de septembre. La devise du vignoble de La Castille : ‶ Dieu, la vigne et les hommes ″, se prête bien à notre ADN.  Nous allons remettre ces vendanges à l’honneur. » Prochaines vendanges des séminaristes à suivre, donc…

Le brouhaha commence à s’amplifier, les séminaristes viennent de terminer l’office du matin, celui des laudes. Ils sortent de la chapelle, simplement ornée d’objets sacrés. Un tableau donné par l’Empereur en 1857 présente le Christ en croix. Il est sobre, silencieux, crucifiant. Les séminaristes se dirigent, comme un seul homme, à travers le long couloir parsemé de figures de saints, vers le réfectoire où ils vont prendre leur petit-déjeuner. L’ambiance est familiale. Une excitation presque joyeuse semble poindre et prendre le pas sur le silence du matin. Le recteur s’adresse à eux : « Je vous rappelle que nous partons à 8h45 pour la Navarre, où nous avons rendez-vous avec les autres séminaristes d’Aix-en-Provence, de Notre-Dame de Vie, et, du séminaire Redemptoris Mater d’Avignon. » Au cours de cette journée du 11 février, ils seront en tout une centaine de séminaristes à se retrouver pour vivre un temps d’échange et de vie fraternelle, où les activités sportives vont s’enchaîner – à commencer par une marche de deux heures, depuis la Navarre. Un temps de prière sera proposé avec la Messe présidée par l’évêque du lieu, Mgr Dominique Rey. Le bien vivre-ensemble règne sur La Castille.

L’histoire de la famille Aubert et de Charles Quint

L’évêque explique que c’est son prédécesseur, « Mgr Joseph Madec, qui a eu l’idée de rouvrir le séminaire, en pleine crise des vocations. Au départ, tout le monde l’a pris pour un fou. Mais, finalement, il avait raison. » En effet, son intuition a été la bonne. Le séminaire de La Castille a été, l’année dernière, l’un des premiers séminaires de France à ordonner le plus de prêtres. Le besoin est immense face au déficit chronique entre les prêtres qui meurent chaque année (plus ou moins 800) et les nouveaux prêtres ordonnés (130 prêtres en 2021).

En 1983, Mgr Madec ouvre, donc, officiellement son séminaire. Il écrit une nouvelle page de l’histoire presque millénaire du domaine, qu’il va transmettre en 2000 à son successeur. 22 ans plus tard, le 1er février dernier, Mgr Rey fêtait le centenaire du leg du domaine par la famille Aubert à l’Eglise.

Qu’est-ce qui a pu motiver un tel don ?

Après avoir perdu ses deux enfants, à la suite de maladies incurables, Frédéric Aubert de La Castille, tombé à son tour malade, meurt à Lyon le 2 février 1922, à l’âge de 68 ans. Avec Berthe, ils avaient déjà évoqué cette possibilité de leg. C’est elle, devenue veuve, mourant de solitude, qui, finalement, fera ce don, la même année, à l’évêque de l’époque, Mgr Guillibert. Elle y finira sa vie. Son mari avait reçu en héritage le château, qui était une des plus grandes propriétés viticoles de Provence. Elle se situe à 13 kms à l’est de Toulon. Aujourd’hui, elle est classée 4è, en termes de surface viticole.

Originaire de Lyon, la famille Aubert, qui a accolé la Castille à son nom, a fait fortune dans le secteur de la soierie au 18è et au 19è siècle. Elle rachète en 1829 le domaine, qui date du 15è siècle, et, qui serait encore plus ancien. Le château dans sa configuration actuelle a été construit au début du 18è siècle.

L’histoire du domaine, comme les racines profondes des ceps, est ancrée dans l’histoire de France et au-delà. Avec les mésaventures de Charles Quint et ses invasions successives en Provence, la France est secouée, éprouvée. Bref, c’est la guerre. Et, face à lui, il y a François 1er, qui n’en mène pas large. Il faut dire que Charles Quint, roi des Espagnes, Empereur du Saint-Empire, est un peu le nouveau Charlemagne de l’époque, et, le Napoléon d’avant-garde. En 1522-1523, il décide d’envahir le Var, avec ses troupes des provinces de la Castille et de la Navarre (qui donneront leurs noms aux terres varoises conquises). Jusqu’en 1536, les troupes impériales dominent celles de François 1er. L’homme aux 17 couronnes, par héritage et par mariage, veut unifier l’Europe chrétienne face à l’Empire Ottoman. Il veut le faire à la force de l’épée et du goupillon. Son objectif paraît noble et est, effectivement, avant-gardiste. Ses moyens sont brutaux et l’éloignent de son objectif. En Provence, son obsession de conquête se termine mal. Finalement, la dysenterie emportera ses troupes, qui décideront de rentrer au pays. Lui, finira sa vie dans un monastère. Pendant ces années de guerre, le domaine viticole a été épargné, presque par miracle.

Du vin depuis le Moyen-Age

Marc Fischer s’occupe du vin de La Castille depuis 3 ans. Cet ancien ESSEC, haut en couleur, est volubile. Il tranche, par son verbe gourmand, avec le profil presque monastique du recteur, membre de la Congrégation de l’Oratoire. Deux figures de proue, qui, avec Alain Molinari, le nouveau secrétaire général de la Fondation de La Castille, qui abrite l’ensemble des actifs de La Castille, forment le trio afféré au quotidien du domaine, où les activités économiques, hôtelières, spirituelles et viticoles sont liées. Marc Fischer parle d’oenologie, de compétitivité et de marché. « Avec mon équipe composée de 25 salariés, à plein temps, notamment d’Aude Lebessou-Faudon, œnologue et maître de chai, et, de Jean-Pierre Delpiano, notre chef de culture, nous avons amélioré notre positionnement. Nos 160 ha sont certifiés HVE niveau 3, où notre respect de la biodiversité est reconnu, comme la maîtrise de l’utilisation des produits phytosanitaires, et, la qualité de l’eau. Nous allons conforter cette démarche globale avec la préservation du bien commun. Nous sommes, également, en cours de certification Terra Vitis, pour valider la qualité de nos process au niveau de la vigne et de la cave. Nous produisons, en tout, chaque année, entre 450 000 et 500 000 bouteilles. Si nous avons une vocation d’Eglise, nous avons, également, une vocation économique, de marge, et, de rentabilité. Nous augmentons en gamme et nous allons chercher de nouveaux marchés. » Marc ne le dira pas, mais depuis son arrivée, en 2019, il a presque doublé le chiffre d’affaires du vignoble. Côté « good news », bonnes nouvelles, il est à noter que le rosé Glorius vient d’être sélectionné par la table de l’Elysée. Quand le vin divin frappe à la porte de la République, celle du Président s’ouvre ! Y aurait-il du « en même-temps » à La Castille, dans le sens noble du terme ?

« Dieu, la vigne et les hommes »

C’est leur slogan phare, leur baseline, qui résume, assez bien, finalement, leur activité et la vocation du domaine. Féru d’histoire, Marc rappelle que « c’est en 1566 que l’on voit apparaître pour la première fois dans les registres cadastraux le nom de Castille. Mieux encore, le domaine remonterait à l’Antiquité, du temps des Romains. Puisque vous êtes, ici, sur la via Aurelia, qui permettait aux Romains de rejoindre l’Italie. » Marc fait visiter les caves qui datent du 18è siècle. Elles sont plongées dans le noir. Un énorme escalier en pierre y mène. Les tonneaux en chêne sont là, ordonnancés. Les effluves de grenache et de syrah vous entourent. L’ivresse vous prend, comme si vous étiez plongé dans une barrique. Tous vos sens sont en éveil. Comme la vue, avec l’ombre et la lumière qui viennent éclairer de façon tamisée la couleur du bois bruni par le temps. Les tonneaux de 5 000 litres vous dominent. Ce sont les rois du lieu. L’odorat, avec le parfum du vin, qui ennoblit sa robe au fil du vieillissement, virevolte autour et en vous. Comme lorsque vous faites circuler le vin en bouche, au moment de la dégustation. Il est temps de remonter ces marches sur lesquelles vous voulez vous asseoir afin de contempler une dernière fois cette cave. Dans le magasin, les bouteilles aux formes élégantes, avec leurs étiquettes finement travaillées, ressemblent à des œuvres d’art. Du blanc, du rosé et du rouge sont proposés aux clients, qui vont et viennent en cet après-midi du 11 février. Les noms de ces vins sont presque divins : Ciel & Terre blanc, rouge et rosé ; Glorius blanc, rosé et rouge ; Sancti blanc, rouge et rosé, et, Séminaire rouge. Ne pas oublier le vin rouge qui porte le nom de la famille : Aubert !

L’ensemble du domaine est ouvert au grand public qui peut flâner, faire du sport, et, parcourir les 200 hectares librement. Les familles y viennent souvent avec leurs enfants et profitent de l’accrobranche. La fermeture des grilles s’effectue à 19h00. Le soir, les séminaristes sont, presque, seuls à La Castille. Le vignoble et Dieu veillent sur eux.

Amaury, Henri, Aubrey, et Joseph, une jeunesse pour Dieu ?

Leur point commun : ils sont jeunes et donnent leur vie à Dieu. Avant de la donner, ils ont répondu à l’appel. Dans l’Ancien Testament, il y a d’abord l’appel qui touche Abram, qui va devenir Abraham, le père de tous les croyants. Dans le livre de la Genèse (le premier livre de la Bible), au chapitre 12, verset 1, le Seigneur dit à Abram : ‶ Va, quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père… ″. Puis, le Christ dans l’Evangile de saint Marc, chapitre 8, verset 34 : ‶ Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.″ Ces deux phrases résument bien leur vocation.

Amaury Berne est le second d’une famille de 5 enfants. Il fait partie de ses rares jeunes, qui ont décidé de répondre oui à l’appel du Christ. Amaury a aujourd’hui 31 ans. Après ses études à ScesPo Lille, il travaille en cabinet de conseil, chez Eurogroup Consulting. Ensuite, il intègre l’Association Pour l’Amitié (l’APA), et, l’association Aux Captifs La Libération, qui oeuvrent pour les personnes en difficulté, les personnes SDF. « A l’âge de 17 ans, j’ai fait une rencontre personnelle avec le Christ, à Paray-le-Monial », un sanctuaire où le Sacré-Cœur de Jésus (Jésus montrant son coeur) serait apparu à une religieuse. 10 ans plus tard, à 28 ans, il entre au séminaire de La Castille, attiré par la diversité, le nombre « et le niveau qui est très bon. » Amaury est en 2è année du cycle de philosophie. Il lui reste 5 ans, avant de de devenir prêtre.

Henri Gilliot a 26 ans. Originaire de Saint-Quentin en Yvelines, il est le 5è d’une famille de 7 enfants. « Vers l’âge de 5-6 ans, j’ai dit à mes parents que je voulais donner ma vie à Jésus. » Après ses études à l’Institut de Philosophie Comparée (l’IPC) à Paris, il entre, à 21 ans, dans la Communauté des Missionnaires de la Miséricorde Divine, à Toulon. C’est une communauté nouvelle qui œuvre auprès des populations musulmanes et des jeunes. Il est en 6è année, et, termine sa théologie. Il lui reste 2 ans avant de devenir prêtre.

« Il est où le bonheur, il est où ? »

Aubrey Pon-Waye a 31 ans. Il vient comme un tiers des séminaristes de loin, de très loin. Il vient des Seychelles. Avant d’entrer au séminaire de La Castille, Aubrey a vécu comme missionnaire pendant 7 ans. A 28 ans, il est entré au séminaire. Il en a, aujourd’hui 31. « Ce qui m’a attiré ici, c’est qu’il y a dans ce diocèse un foisonnement de communautés. Après mon ordination, je veux rentrer au pays. Il y a, actuellement, 30 prêtres (NDLR : pour 98 000 habitants), dont 7 prêtres seychellois. »

Joseph d’Autriche a 30 ans. Il est un descendant de la famille royale des Habsbourg, qui a régné sur une partie de l’Europe entre le 15è et le 20è siècle. Charles Quint est de sa parenté. Dans sa famille, sur les 8 enfants, 4 sont entrés dans les ordres. Joseph a 5 ans quand il fait sa première communion. Et, il décide à 13 ans, lors de la béatification de son arrière-grand-père, le prince Charles de Habsbourg, par le pape Jean-Paul II en 2004, de se rapprocher de Dieu. Il lui donne toute sa vie. Il est, aujourd’hui en 2è année de philosophie. Avant d’entrer au séminaire, il s’est engagé, à l’âge de 21 ans, dans la Fraternité Eucharistein. Il a quitté sa suisse natale pour vivre à Château Rima, aux confins du Var, à 1 000 mètres d’altitude. Il s’est occupé de personnes fragiles, accidentées de la vie, victimes de la drogue, délaissées par leur famille, mises au ban de la société.

Ces 4 jeunes hommes ont des caractères et des charismes différents. Sur la question du bonheur, ils ont la même réponse commune : « Oui, nous sommes heureux !» Le recteur Benoît Moradei en est convaincu : « Ils ont tous un dénominateur commun : donner leur vie pour la mission. » Et, le bonheur ils l’ont trouvé, là…à La Castille.

Mgr Rey regarde vers l’avenir

On retrouve l’évêque du diocèse de Fréjus-Toulon, dans son évêché, à Toulon. Il a un agenda de ministre. Après sa matinée à La Castille où il a travaillé avec la Fondation, il a ensuite revêtu ses habits liturgiques pour célébrer la Messe du 11 février. « C’est une date importante, explique-t-il, car nous fêtons les apparitions de Notre-Dame de Lourdes. Nous fêtons, également, cette rencontre interdiocésaine. Et, nous fêtons, enfin, les 118 ans de la doyenne de l’Europe, sœur André. » Il en est convaincu : « La réponse que nous devons apporter aux défis de ce monde, de sa jeunesse et de de notre civilisation, c’est de retrouver le chemin de l’homme intérieur. La Castille, pour cela, répond à ces défis, car nous formons les futures générations de prêtres. Le domaine est ouvert à tous. Nous accueillons le grand public qui peut profiter du château, des salles de réception, pour des évènements, des mariages, et, des séminaires d’entreprise. Enfin, nous avons ce vignoble. Il y a même un accrobranche…C’est une bénédiction. Car avec ce don de la famille Aubert, nous avons les moyens d’accueillir et de développer la vie de l’Eglise et celle des familles. Notre cadre est magnifique. Avez-vous admiré ces platanes centenaires sous l’ombrage desquels ont lieu chaque année les ordinations ? »

Il évoque la vie fraternelle, son prédécesseur, Mgr Madec, les futures ordinations. Et, parle de l’avenir. « Nous allons envisager des grands travaux ici. Nous devons dans un premier temps moderniser les locaux. Puis, nous avons un projet de mutualisation des services du diocèse. Et, à moyen terme, l’évêché déménagerait de Toulon pour La Castille. Le désir est là et l’intention est partagée. C’est un projet avec de lourds investissements. »

Mgr Rey regarde vers l’avenir. Il regarde vers les diocèses qui n’ont plus de vocation. Il met, déjà, à leur disposition des prêtres formés dans son séminaire. Dans cet environnement privilégié où bois, figuiers, oliviers, collines, prairies et vignobles se côtoient, l’homme intérieur qui se donne à Dieu est certainement au bon endroit. The place to become priest…en d’autres termes. Les jeunes séminaristes se préparent entre vignes, terre et ciel à devenir des prêtres « qui portent la mission de l’Eglise. » Dans son dernier message, l’évêque concluait en disant : « Ici, la beauté des lieux apporte à tout homme cette vie contemplative dont il a besoin. Cette cathédrale de paysages nous invite à rechercher le silence qui conduit à la richesse du cœur et à notre humanité.»

C’est maintenant certain, à La Castille, coule le bon vin, et, l’eau vive, où se ressource l’homme intérieur. A La Castille, il y a des vins, des séminaristes et un Dieu, pour longtemps. La relève semble assurée. Il est vrai que, selon, la Bible, « le vin réjouit le cœur des hommes et de Dieu. » On pourrait rajouter : et des séminaristes !


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