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A Saint-Tropez, Jean-François Carle a quelque chose de Gauguin, de Matisse et du Petit Prince

Copyright des photos A. Bordier et JM Imbert

Saint-Tropez est réputé pour être pris d’assaut par la Jet Set et les milliardaires en pleine saison touristique. Mais ce village de pêcheurs est, aussi, un village qui donne l’inspiration à de nombreux peintres. Le dernier en date s’appelle Jean-François Carle. Cet ancien nom de l’humanitaire aurait quelque chose de Gauguin, de Matisse et du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Sa peinture intéresse des collectionneurs comme Jacques-Antoine Granjon ou encore la famille Porsche. Mélodie picturale autour d’un lavoir.

Il est là, au milieu de ses amis, avec son épouse, ses proches, des galeristes, des collectionneurs et des amateurs qui viennent du monde entier : d’Allemagne, de Dubaï, du Liban, des Etats-Unis, etc. Que sont-ils venus faire dans ce magnifique Lavoir Vasserot, transformé en galerie éphémère ? Il faut les imaginer ces femmes, ces mères de famille, ces enfants, dans les années 50-60, venir laver leur linge dans les trois bassins de pierre : un pour la couleur, un pour le blanc et un dernier pour le rinçage. C’était l’époque des grandes eaux.

« Cet endroit est magnifique et parfait à la fois », commence Jean-François Carle, qui accueille un verre à la main et le sourire aux lèvres son public. « Nous sommes des amis d’enfance. Nous nous sommes connus à l’école » continuent Guy de Verville et Hubert Nemoz, de Marseille. Jean-François Carle, vit à La Garde-Freinet, un petit village joli comme un tableau fleuri, qui se situe dans l’arrière-pays du Golfe de Saint-Tropez.  Il a installé ses couleurs, ses pinceaux et ses toiles à Saint-Tropez, pour quelques jours.

Cela fait, déjà, 20 ans, que La Garde-Freinet, peuplé de moins de 2 000 habitants à l’année, est devenu pour toute la famille, le village où il fait bon peindre, bon rire et bon vivre. Finis les grands voyages en Afrique et les expéditions humanitaires au bout du monde. Fini le Rwanda si félin et si vert avec ses innombrables collines. Celle de La Garde-Freinet lui va à ravir. Il y a reçu une sorte de révélation : « Tu seras peintre, mon neveu ! » C’est, en tout cas, ce qu’aurait pu dire sa tante.

Une histoire de famille : de tante à neveu

Quand on plonge dans l’histoire familiale de Jean-François, son arbre généalogique ressemble à un pinceau d’artiste inversé, avec plusieurs manches. La garniture, les poils naturels sont leurs racines, enfouies profondément dans leur terre ancestrale. Et les manches sont leurs ramures…

Il est vrai que du côté paternel, la famille prend des allures à la Pagnol, surtout quand on situe l’enracinement familial au-dessus des Solans, près d’Aubagne, non loin de la Font de Mai et du massif de Garlaban, la montagne de Pagnol. Le grand-père de Jean-François était responsable d’une petite agence bancaire locale.

La peinture viendrait de cette branche paternelle. « Je suis né à Lyon en 1957. J’ai été élevé dans une famille aimante et simple. A chaque génération, chez nous, il y a une histoire de pinceau. Et, avant moi, cette histoire concerne ma tante. Une petite femme remarquable, libre d’esprit. Elle a tracé sa propre voie. Elle était mariée avec un Savajols. Elle avait son endroit d’inspiration emblématique à Esparron-de-Verdon. Là, elle s’immergeait dans cette nature rocheuse pour peindre des œuvres cosmiques. D’ailleurs, une de ses œuvres est au musée Cantini de Marseille. »

Odile Savajols-Carle est née à Marseille. Vite, elle préfère la peinture à la philosophie : elle passe des mots, de l’idée et du concept, au tableau, au pinceau et à la couleur. Elle devient artiste et s’éloigne de ses études supérieures en philosophie. Elle travaille, alors, dans ses ateliers de Marseille et du Verdon. C’est là qu’elle se réalise. Elle a un don et son travail commence à être reconnu. Pour elle, « peindre est une manière d’être ». La peinture et la musique seront sa vie.

Comme plus tard son neveu qui rêvait d’être « un saxophoniste noir », Odile se passionne pour la musique et le chant qui accompagnent ses morceaux de pinceau. Elle est, également, une femme qui aime partager et qui apprécie les rencontres. Parmi son cercle se retrouvent des écrivains, des poètes, des photographes et même…des chercheurs en mathématiques. Si si, des matheux, des joueurs d’échecs.

Une première vie dans l’entreprise

A Saint-Tropez, dans cette galerie-lavoir, ce grand sexagénaire en short et en chemise bleu-clair (sa couleur préférée) va et vient à la rencontre des amis, des proches, des connaisseurs et des amateurs de passage. « Cela fait maintenant plusieurs années que j’expose au Lavoir Vasserot. Il est parfait pour mes peintures. L’endroit est, à la fois, simple et lumineux, assez grand, et, surtout, il est bien placé. J’ai dû accueillir plusieurs centaines de personnes, attirées par ma peinture. » Zoomons sur sa vie.

Jean-François Carle, quand il est un jeune homme, après ses études de Sciences Po, à Paris, et ses études de droit, travaille dans des entreprises où il s’occupe de l’export. Il collabore, notamment, pour une entreprise qui fabrique des maisons préfabriquées pour le désert d’Algérie. « Je me suis retrouvé en Algérie au début des années 1980. Mais rapidement, il y a eu des problèmes car les matériaux de fabrication n’étaient pas conformes aux normes locales. » Il ne reste pas dans cette entreprise, dont il a gardé un mauvais souvenir, alors que le pays, lui, le fascine. Le concours des circonstances professionnelles aidant, il y retrouve son père. C’est pourquoi, il décide, tout en changeant d’entreprise, d’y rester. Il circule, alors, dans tout le pays. Il y découvre la lumière, les couleurs et les reliefs de l’Atlas. Il se passionne pour l’écriture et la photographie. Il a un œil, une plume. Il s’essaye à la musique. Il a une oreille, une vibration.

De retour en France, dans les années 85-87, il bifurque vers le…Guatemala et travaille pour l’entreprise française Sopha Développement qui équipe les hôpitaux du pays. Sa passion pour les grands voyages et les grands projets ne s’arrêtent pas là. En 1986, Jean-François se marie avec Corinne, avec qui il aura trois enfants : Alexandre, Amandine et Antoine. Les trois A des Arts. Et, les voyages continuent ; familiaux, cette fois-ci.

Une seconde vie dans l’humanitaire

L’appel du grand large se fait de nouveau entendre, pour celui qui ressemble davantage à un voyageur au grand coeur, qu’à un entrepreneur fortuné, acharné d’amasser. A la fin des années 1980, toute la petite famille va vivre entre 1989 et 1993 au…Rwanda. Là, le charme de l’Afrique opère, avec ses peuples aux ethnies multiples, ses animaux et ses grands fauves aux couleurs félines, ses grandes étendues de forêts vierges et de savanes brûlées par les rayons du soleil. Il va même s’amplifier au contact du peuple des Mille Collines. Il devient le Denys Finch Hatton (joué par Robert Redford) du célèbre film oscarisé 7 fois : Out of Africa (Souvenirs d’Afrique). Il est un aventurier de l’humanitaire, en tout bien, tout honneur.

« Nous avons vécu au Rwanda juste avant le génocide de 1994. Mais la guerre dans cette région du centre de l’Afrique avait commencé dès 1990. J’étais le responsable d’Aide et Action, une ONG française. » Là-bas, tout le talent de Jean-François s’exerce : il agit, façonne et transforme la petite ONG. Car, la particularité de cette ONG est d’œuvrer au service de l’éducation et de l’enseignement des populations. Que faire en cas de guerre ? Jean-François et toute son équipe, une cinquantaine de personnes, lancent alors des programmes d’urgence sur tout le territoire. Il s’occupe des familles de déplacés. Il les héberge, les nourrit et assure leur sécurité, jusqu’au jour où la ligne rouge du génocide des Tutsis par les Hutus est franchie. Il faut partir ou mourir.

« Vraiment, le Rwanda est un superbe pays. Les populations sont très accueillantes. J’ai effectué un travail passionnant. Malheureusement, les ethnies se sont déchirées, entretuées. Et, nous étions sans cesse sous surveillance des chefs de colline. C’était quand même difficile de s’exprimer. »

Retour en France et installation à La Garde-Freinet

Après le Rwanda, direction la…Tanzanie, juste à côté. Le génocide s’abat alors sur le pauvre Rwanda, entre avril et juillet 1994, faisant plus de 800 000 morts. Un an après, « nous sommes rentrés en France avec nos trois enfants et une vingtaine de malles. Nos malles étaient bourrées d’objets d’art traditionnel ». La famille est sauve…

Jean-François a quitté son ONG. Une nouvelle fois, il va changer de vie : sa troisième vie sera au service de l’enseignement et des arts plastiques. Il devient professeur d’arts plastiques pendant 20 ans. « J’ai réussi le concours d’entrée, alors que je n’avais jamais suivi de cours. Je pense que je suis un artiste dès ma naissance. C’est dans mes gènes. Mais, je ne m’étais pas encore exprimé sur le sujet. Il est vrai, que je continuais à écrire, à prendre des photos, à faire de la musique… »

Ces 20 ans ont passé…Depuis qu’il est à la retraite, il se consacre entièrement à ses deux passions : le jazz et la peinture. Musicien, il est saxophoniste et aime jouer dans les galeries où sont exposées ses toiles. Peintre, son coup de pinceau, ses couleurs, ses ombres et ses lumières proviennent de ses mille voyages.

Des collectionneurs et des galeristes VIP

L’artiste, ses peintures et son style plaisent à n’en pas douter, aux grands comme aux petits. Parmi les grands noms, parmi les grands collectionneurs, il y a, par exemple, la famille Porsche. Claudia Porsche, maintenant décédée, s’était passionnée pour les œuvres de Jean-François. « Je me souviens que je m’étais rendu jusqu’en Allemagne pour lui livrer, moi-même, l’une de mes toiles. »

Jacques-Antoine Granjon, le fondateur de Veepee, « aime sa douceur, son côté Matisse et Gauguin, sa sensibilité picturale, ses lumières, ses paysages, ses marines… ». Celui que l’on prénomme JAG aime, également, les grandes aventures, les grands voyages. Il aime la pleine mer. C’est à Saint-Tropez, d’ailleurs, que les deux hommes se sont rencontrés. Ils se sont, tout de suite, compris. « J’aime, aussi, son style qui vagabonde, et son côté Afrique ». Les deux hommes s’apprécient, même lorsqu’ils se trouvent à des milliers de kilomètres l’un de l’autre.

« Sa peinture sublime le sud de la France »

A 969 kilomètres de là, à Munich exactement, Christina Haubs est une galeriste bien connue. Elle, aussi, apprécie les œuvres de Jean-François Carle. « Oui, j’ai, déjà, exposé dans ma galerie ses œuvres, en février 2019. Et, je recommence en 2024 ! Ce qui m’impressionne ce sont ses couleurs. Sa peinture sublime le sud de la France. En plus, l’artiste a quelque chose du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Il a un grand cœur, une simplicité dans l’expression assez géniale… » Elle est conquise.

Jean-François est là, dans sa galerie-lavoir. Cette fois-ci, il est seul. Seul avec son saxophone, son lavoir et ses toiles. Il prend la pose devant un magnifique triptyque. L’artiste, son instrument et ses œuvres ne font plus qu’un. Il se lâche. Ses premières notes de musique font vibrer ses toiles. Il leur donne un souffle de vie.

Il a quelque chose de Gauguin, de Matisse et du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, en lui. Ce qui est mystérieux, c’est que ce-dernier, l’aviateur, a vécu une partie de son enfance, non loin de là, au château de La Môle, où Jean-François pourrait, un jour, peut-être, exposer ses toiles.

Cette région du sud de la France, à sa façon, avec ses artistes, avec leurs plumes, leurs sons et leurs toiles, dit, déjà, quelque chose de l’esprit français : un esprit créatif, sorti d’un livre griffonné et d’une toile esquissée.  Nous évoquons, pour finir, l’aviateur, son héros et son univers. « Il nous manque », conclut Jean-François. Le Petit Prince, best-seller planétaire, était publié il y a tout juste 80 ans.

Reportage réalisé par Antoine BORDIER


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