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Radiographie des années Poutine : Nostalgie de la Puissance et Legs soviétique (1)

Vladimir Poutine en 1989 (Photo Russian Archives via Zuma Wire/ABACAPRESS.COM)

Par Patrick Pascal, ancien ambassadeur et président du Groupe ALSTOM à Moscou pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. Il est fondateur et président de « Perspectives Europe-Monde ».

L’actuelle résidence de l’Ambassadeur de France à Moscou, appelée Maison Igoumnov du nom d’un riche marchand au XIXème siècle et située rue Bolchaïa Iakimanka dans l’un des quartiers historiques de la capitale russe, fut un temps dans les années 20 un Institut médico-légal.

C’est là, dans ce qui est devenu un Petit salon élégamment décoré, que fut examiné, dit-on, le cerveau de Lénine. Il y a fort à parier que cette autopsie ne livra pas toutes les explications et secrets sur la révolution bolchévique. De même, procéder aujourd’hui virtuellement à une sorte de radiographie de Vladimir Poutine n’apportera sans doute pas des conclusions définitives sur le comportement et la politique suivie au cours des vingt dernières années par le président russe. Un ancien Président des Etats-Unis dit un jour, après une première rencontre avec Vladimir Poutine en 2001 qu’il avait « entrevu l’âme de ce dernier » (I got a sense of his soul). A défaut d’âme, efforçons-nous plus modestement d’éclairer pensées, comportements et décisions. En tout état de cause, il faut s’efforcer d’approfondir l’analyse hors des sentiers battus et des idées reçues sur un pouvoir qui ne se réduit naturellement pas à une seule personnalité, est tributaire d’une histoire et est aussi le  reflet de l’état d’une société.

Maison Igoumnov, Résidence de France, Moscou (Photo Patrick Pascal)
 

Les gènes et l’éducation, l’inné et l’acquis, sont toujours difficiles à cerner et à dissocier mais examinons d’abord le legs soviétique. La déclaration de Vladimir Poutine selon laquelle la disparition de l’Union soviétique fut « la plus grande catastrophe du XXème siècle » est désormais bien connue de même que ses propos selon lesquels «  il faudrait ne pas avoir de coeur pour ne pas regretter l’URSS mais pas non plus de tête pour essayer de la reconstituer ».

Quelles ont été en réalité les caractéristiques de la transition de l’URSS à la Russie post-soviétique qui pourraient éclairer la situation que nous connaissons désormais ? L’Union soviétique est entrée dans l’histoire mais cela ne signifie pas qu’elle ait irrémédiablement disparu et qu’elle n’ait pas imprégné durablement les esprits ou encore qu’elle n’affecte plus les événements se déroulant actuellement sur le continent européen.

La fin de la guerre froide fut un échec de l’Union soviétique. Celle-ci n’a pas été renversée par une révolution du peuple mais elle s’est en quelque sorte effondrée sur elle-même. Il en est résulté de grandes frustrations en raison principalement de la perte de puissance d’un ensemble géographiquement considérable et dont l’idéologie s’était répandue à travers le monde. Il est à noter que cette désintégration ne fut pas vécue de manière uniforme par tous les Soviétiques qui avaient souffert des dysfonctionnements du système et connu les privations, a fortiori dans les anciennes républiques de l’URSS où l’éloignement du centre qu’était Moscou a aussi marqué le début d’une libération. Pour ceux qui avaient ressenti de l’euphorie et l’attente d’un capitalisme qui résoudrait tous les problèmes et apporterait la prospérité, comme par un coup de baguette magique, la déception fut considérable et a pu alimenter a posteriori une forte critique de l’Ouest.

La question de la puissance est toujours restée essentielle dès le moment, dans la nuit du 25 au 26 décembre 1991, où le drapeau de l’Union soviétique flottant au-dessus du Kremlin a été remplacé par celui tricolore de la nouvelle Russie. La décomposition de la puissance du pays avait en réalité précédé ce moment et les ruptures historiques s’effectuent rarement en un seul jour. Au Conseil de sécurité de l’ONU, pendant les dernières années de Mikhail Gorbatchev, l’URSS était devenue plus conciliante par faiblesse. Elle ne recourait plus systématiquement à son droit de veto, dans un souci de dialogue privilégié avec les Etats-Unis afin de limiter la course aux armements dont Moscou était devenue incapable de supporter le coût économique et financier. Mikhail Gorbatchev fut par la suite désigné comme le bouc émissaire d’une situation dont il avait largement hérité comme s’il avait en quelque sorte « bradé l’empire ». Vladimir Poutine s’est toujours tenu pour sa part à distance de celui qui fut accusé en particulier de faiblesse dans la négociation sur une réunification de l’Allemagne dont les Russes pensent toujours qu’elle aurait dû se réaliser en échange d’un non élargissement à l’Est de l’OTAN qui aurait été promis au dirigeant soviétique. Cette « promesse » alléguée, qui n’a en réalité jamais été formalisée mais s’est limitée à une déclaration orale à l’époque du Secrétaire d’Etat James Baker, est revenue à plusieurs reprises au cours de la crise ukrainienne actuelle. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’affaiblissement russe a pu  alimenter le discours de Poutine sur « la plus grande catastrophe du XXème siècle » en phase avec tout une partie de l’opinion.

Evgeny Primakov, ancien chef du KGB, devenu ministre des Affaires étrangères puis éphémère Premier ministre en 1998, a contribué à reconstituer l’Etat et à remettre un minimum d’ordre dans un pays « au bord de la banqueroute », selon ses propres termes en 1998, en huit mois seulement et après des années de privatisations sauvages engagées sous Boris Eltsine et d’appropriation de la richesse nationale par ceux que l’on a appelé les « oligarques ». Vladimir Poutine, qui a toujours eu de l’admiration pour Primakov, à qui il confia des missions au Proche-Orient à la fin de sa carrière, s’est inscrit dans une certaine filiation de ce dernier. Le peuple russe, il faut le reconnaître, lui fut reconnaissant de cette politique de rétablissement d’un ordre, ce qui explique une grande part de sa popularité durable.

Mais Primakov comprit rapidement, à la grandę différence de Poutine, que la Russie n’était plus une superpuissance – hormis sur le plan nucléaire – à partir du moment où l’Union soviétique s’était effondrée. Telle est peut-être la principale source d’erreur de Poutine dans la guerre en Ukraine au terme d’une réflexion, de caractère obsessionnel et pendant des années, sur la revanche qu’il convenait de prendre sur l’Ouest. Car la guerre en Ukraine est une guerre contre l’Ouest par Ukrainiens interposés.

La théorie de « l’humiliation » de la Russie, qui a eu parfois cours ces derniers mois, n’est en fait qu’un camouflage ou une justification de cet esprit et de ce projet de revanche. Si des maladresses ont pu être commises à l’égard de la Russie depuis 1991, il n’y eut jamais une politique systématique visant à l’humiliation. Georges Bush Sr fut par exemple en ce qui le concerne très soucieux de ménager l’URSS finissante, détentrice d’armes nucléaires et menacée d’éclatement. Les institutions financières internationales, que ce soit le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) apportèrent des aides significatives à la nouvelle Russie, un Conseil OTAN-Russie fut mis en place, etc.. Cette énumération n’est pas limitative ce qui infirme la thèse de l’ostracisme dont Moscou aurait été victime.

Le sujet mériterait des développements considérables, auxquels certains historiens ont déjà procédé, pour souligner que le « legs soviétique » est aussi dû à l’échec de la transition démocratique sous Gorbatchev et même Eltsine ainsi qu’à une incapacité des dirigeants russes à comprendre le monde moderne et à s’adapter à une économie ouverte à partir d’une économie dirigée refermée sur elle-même et comme engoncée dans un corset de fer. Cela fut manifeste lors de la gestion en Russie de la crise économique et financière internationale de 2008 sur laquelle il conviendra de revenir. Si l’on voulait résumer et schématiser, au risque de caricaturer, l’on pourrait dire que la transition à partir de l’USS s’est déroulée, de manière schizophrénique, sur toile de fond d’une attente et d’une fascination de l’opinion pour l’Ouest assortie d’une répulsion quant aux conséquences de changements inédits et considérables (…)

Patrick Pascal

« RADIOGRAPHY OF PUTIN’S YEARS » a été publié aux Etats-Unis en janvier 2023 par INNER SANCTUM VECTOR 360N (Dr. Linda RESTREPO, Publisher/Editor)

PARTIE 1 : Nostalgie de la Puissance et Legs soviétique

A suivre :
PARTIE 2 : Enfermement et Complexe obsidional
PARTIE 3: Tradition autocratique et Violence endémique
PARTIE 4: La Weltanschauung de Poutine

PARTIE 5: Le Tsar de l’Île russe


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