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Liban : Michel Aoun et le Hezbollah, un mariage de déraison

Les années Michel Aoun sont aujourd'hui synonyme de chaos, d'isolement et marque le début de l'effondrement du Liban.

Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et Michael Aoun (Photo par Balkis Press/ABACAPRESS.COM)

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Les années Michel Aoun sont aujourd’hui synonyme de chaos, d’isolement et marque le début de l’effondrement du Liban.
Le mandat du treizième président du Liban indépendant, Michel  Aoun, s’est terminé le 31 octobre 2022. Un sexennat que l’histoire retiendra… non pas pour ses réalisations, mais pour toutes les crises, les dysfonctionnements et ce glissement progressif et mortel vers le non-État que le fondateur du Courant patriotique libre (CPL) laisse en héritage. Un mandat de six ans, auquel il faut ajouter les deux années et demie de blocage qui l’ont précédé dans le seul but d’obtenir l’élection de celui qui avait promis de “laisser un Liban meilleur à son successeur”. Mais le Liban que nous connaissons a fini par disparaître sous son mandat.

Par Elie Ziadé

Le 31 octobre 2022, nombreux sont ceux qui ont fêté le départ du président de la République. Dans la nuit du 30 au 31 octobre, des feux d’artifice ont fusé un peu partout pour célébrer le dé part d’un homme qui était pourtant adulé par un grand nombre de Libanais à ses débuts en politique, en 1988. Ce même homme avait aussi été accueilli en héros national, le 7 mai 2005, à son retour au Liban au terme d’un exil forcé de quinze ans en France. Comment a-t-il pu achever sa carrière, détesté et conspué ?

À l’origine de cette hostilité figurent ses choix stratégiques motivés par des considérations essentiellement personnelles et partisanes. Sa ligne de conduite politique était à l’antipode de ses engagements premiers.

Le “père de tous” – comme il se plaît à se considérer – a multiplié les promesses aux Libanais. Le problème est qu’il n’en a tenu aucune, malgré la profonde crise politico-économique qui a secoué le Liban. C’était en 2019.

Il suffit de revenir aux premiers discours de Michel Aoun, en tant que chef de l’État, pour constater que non seulement rien n’a été réalisé, mais que ses actes étaient contraires à ses propos.

Respect du Pacte, de la Constitution et du document d’entente

Dans sa prestation de serment, Michel Aoun, président, a juré de “respecter la Constitution, de préserver l’indépendance du Liban et l’intégrité du territoire”. Il s’est aussi engagé à mettre en application le document d’entente nationale de manière intégrale.

Ce document d’entente, mieux connu sous l’appellation “accord de Taëf”, du nom de la ville saoudienne où il avait été conclu, avait mis fin à la guerre libanaise en 1990. Le texte avait essentiellement modifié la répartition des prérogatives constitutionnelles, accordant davantage de pouvoirs au Conseil des ministres et prévoyant la dissolution de toutes les milices.

Sauf que le quatrième président post-Taëf a tout fait pour revenir aux pratiques présidentielles égocentriques d’avant la guerre de 1975. À cette fin, Michel Aoun n’a pas hésité à bloquer les institutions. Plus de 40 % de son mandat a été marqué par des paralysies et des vides institutionnels. Le président n’a fait qu’ébranler les institutions pour tenter de consolider son pouvoir et celui de son camp.

Par la même occasion, en tentant de s’approprier le pouvoir exécutif, l’ex-chef de l’État a porté un coup au Pacte de 1943, fondement du Liban multiconfession-nel1. Or Michel Aoun, “le président fort qui souhaitait rétablir les droits des chrétiens”, n’a cessé, au cours de son mandat, de s’en prendre aux sunnites libanais ainsi qu’à ses adversaires politiques chrétiens, fragilisant ainsi la stabilité du pays et renforçant les extrémistes au sein des deux communautés.

Sous son mandat, les clivages et les bras de fer politiques ont pris de l’ampleur, faisant du Liban un pays ingérable et à la dérive.

Tout au long du sexennat, Michel Aoun a été le président d’un seul camp : le sien. Avant même d’être élu, il avait bloqué le pays de nombreuses fois, uniquement dans son intérêt et/ou celui de son gendre, Gebran Bassil. Une fois président, il s’est basé en avril 2017 sur l’article 59 de la Constitution pour geler l’action du parlement pendant un mois, afin de faire voter une nouvelle loi électorale.

Or, celle-ci a consacré l’hégémonie des partis traditionnels et a surtout permis à son gendre, battu deux fois aux législatives, de remporter enfin un siège au Liban-Nord. La formation de plusieurs gouvernements a été en outre diverses fois retardée pour que le binôme Aoun-Bassil puisse se tailler une meilleure part du gâteau au sein de l’exécutif ou au niveau des nominations et des marchés juteux.

En octobre 2019, alors que les Libanais investissaient les rues, manifestant contre l’ensemble de la classe dirigeante, houspillant le président et surtout le gendre présidentiel, en même temps que d’autres, les protestataires ont été systématiquement réprimés. Le président sortant a, en outre, montré son parti pris en ne s’adressant qu’à ses partisans à 24 h de la fin de son mandat, se contentant d’attaquer nommément des hauts fonctionnaires faisant ombrage à son gendre qui caresse le rêve d’être président.

Libérer la sécurité et la justice  du suivisme politique

Dans son premier discours en tant que chef de l’État, Michel Aoun avait appelé à “libérer la sécurité et la justice du suivisme politique et à contrôler leurs excès”. Le président avait aussi assuré que “le chef de l’État doit être le garant de la sécurité” des Libanais, qui doivent être “rassurés quant à l’attitude de leur État, garant de leurs droits et de leurs besoins”.

Les six dernières années montrent combien l’État de Michel Aoun a échoué à “garantir” les droits des Libanais. Ces derniers ont tous été témoins du début de la descente aux enfers du pays, notamment au niveau de la séparation des pouvoirs et de la liberté d’expression. Dès son investiture, la répression de la parole libre a été lancée. Toute personne critique envers le président ou l’État était traduite en justice.

Les Libanais ont été aussi témoins de l’État policier lors du soulèvement populaire d’octobre 2019. Sous l’impulsion du département de la Sûreté de l’État que dirige le général Antoine Saliba, proche du chef de l’État, plusieurs personnes ont été arrêtées dans des circonstances floues au cours des manifestations.

Autre indice de la déliquescence de la justice : après la double explosion tragique du 4 août 2020, le général Saliba, dont la responsabilité administrative avait été retenue (avec d’autres) dans l’enquête, a bénéficié du soutien du chef de l’État pour échapper à la justice. C’est dans ce contexte que la Sûreté de l’État a été le bras droit de la procureure Ghada Aoun, devenue le symbole de l’effondrement de la justice parce qu’elle agissait ouvertement et régulièrement pour le compte du camp présidentiel.

Consolider l’armée

Au perchoir de la Chambre, le 31 octobre 2016, le général président Michel  Aoun, ancien commandant en chef de l’armée, avait affirmé que le “projet de consolidation de l’armée et le développement de ses capacités” seront son “obsession” et sa “priorité”. Trois semaines plus tard, à la veille de la célébration de “l’indépendance” du Liban, le chef de l’État a aussi annoncé que “ce que l’armée réalise à l’intérieur du pays, elle peut aussi le faire aux frontières […]”.

Encore une fois, les faits ont contredit les propos : Michel Aoun a pris les commandes du pays alors qu’à l’Est, dans le jurd (arrière-pays) d’Ersal, à la frontière libano-syrienne, neuf militaires étaient retenus captifs par le groupe État islamique (EI). La guerre en Syrie avait débordé au Liban depuis plusieurs mois, à cause de l’intervention militaire du Hezbollah aux côtés de son allié syrien, Bachar el-Assad.

En août 2017, alors que l’armée avait lancé une opération militaire contre l’EI, le Hezbollah a organisé le repli d’environ 8 000 jihadistes à la faveur d’un accord entre la formation pro-iranienne, le régime syrien et l’EI, provoquant un tollé dans le pays. Mais les officiels libanais ne se sont pas émus outre mesure de ce scandale et de cette atteinte flagrante à l’armée et à la souveraineté du pays.

Dans un tel contexte, Michel  Aoun n’a déployé aucun effort pour te-ter de régler le problème endémique des milices et des armes illégales. Au contraire, sous son mandat et à cause de la caution qu’il lui a assurée, la formation pro-iranienne, son principal et seul allié depuis  2006, n’a cessé de monter en puissance et de consolider son contrôle sur l’État, sous le regard insouciant du président.

Dès février  2017, Michel  Aoun a légitimé l’arsenal milicien  : dans une déclara-tion avant une visite au Caire, il a assuré que “les armes du Hezbollah sont nécessaires”.

Adopter une politique étrangère indépendante

Tout juste élu président, Michel Aoun a souligné “la nécessité de tenir le Liban à l’écart des conflits extérieurs, dans le respect du pacte de la Ligue arabe […]”. Mais au lendemain des printemps arabes, le Hezbollah a étendu ses tentacules au niveau régional, avec des ramifications dans presque tout le Moyen-Orient.

L’engagement militaire de la formation libanaise pro-iranienne dans la région a terriblement affecté les relations du Liban avec d’autres États arabes, notamment dans le Golfe. Le royaume wahhabite a été régulièrement critiqué et verbalement attaqué par le Hezbollah et ses alliés. Ces positions en flèche contre des alliés solides du Liban, à l’ombre d’un silence officiel qui en dit long sur la ligne de conduite du président, ont refroidi les relations de Beyrouth avec les pays du Golfe et ont renforcé l’idée que le Liban était tombé sous le contrôle total de l’Iran à travers la milice chiite.

La détérioration des relations entre Beyrouth et Riyad n’a fait que s’accélérer. Non seulement le président et son camp ont refusé de respecter la neutralité, mais le pouvoir a poussé en même temps à la normalisation avec le régime syrien dont l’adhésion à la Ligue arabe avait été suspendue à cause de sa répression sanglante de son propre peuple.

Dès son entrée en fonction, Michel Aoun a ainsi accueilli le ministre syrien des affaires présidentielles qui lui a transmis les “félicitations” de Bachar el-Assad et réaffirmé les relations “profondes” entre les deux pays. En septembre 2017, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Gebran Bassil, s’était entretenu avec son homologue syrien, Walid al-Mouallem, à New York.

Il convient de noter dans ce cadre que le camp présidentiel a appelé plusieurs fois à un retour de la Syrie dans le giron arabe pour permettre le retour des réfugiés syriens, cause principale, selon le camp aouniste, de toutes les crises au Liban. À sa sortie du palais présidentiel à la fin de son mandat, Michel Aoun a clos un nouvel épisode de sa longue carrière politico-militaire de près de quarante ans. Mais les conséquences des décisions, ou absence de décision, de ces six dernières années auront un impact destructeur sur l’institution présidentielle, le vivre-ensemble, et le pays.

Le capitaine n’a pas dirigé, il n’a fait qu’alimenter les dissensions entre les moussaillons, il a bloqué tout ravitaillement vital possible et a mené le navire droit au naufrage. Les brèches qu’il a ouvertes seront difficiles à colmater, à moins que les responsables politiques aounistes, ainsi que leurs alliés, ne reviennent aux constantes nationales, n’acceptent le jeu démocratique, et s’engagent à aller de l’avant pour un “Liban libre, souverain et indépendant”, une maxime du général Aoun, oubliée avec le temps.

1. En septembre 1943, les premiers, président de la République et Premier ministre de l’indépendance, Béchara el-Khoury et Riad el-Solh s’étaient entendus sur un partage communautaire du pouvoir favorisant le vivre-ensemble interreligieux.

Elie Ziade


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