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Liban : cette école qui lance un appel à la France

Située dans les montagnes du Liban, à 1300 mètres d’altitude, l’école Saint-Pierre de Baskinta doit faire face à une flambée de nouvelles inscriptions. Sauvée en 2018, son directeur, Antoine Mdawar, lance un appel à la communauté francophone et à la France. Interview à l’heure où le sud du Liban est, toujours, sous les bombes de Tsahal.

Copyright des photos A. Bordier

Antoine Mdawar, vous avez, cette année, accueilli plus d’élèves que prévu. Que s’est-il passé ?

Oui, c’est vrai. Mais, comment refuser ? Baskinta est un village distant de Beyrouth de 40 km, et ses habitants sont de simples agriculteurs. Avec la crise et la pauvreté qui touchent, également, nos professeurs, ils ont vu leurs moyens d’existence fondre comme neige au soleil. La plupart des familles sont en incapacité de payer les frais de scolarité qui se situent entre 350 et 500 euros (NDLR : les frais varient en fonction de la classe, de la primaire au lycée).

Le Liban n’est pas sorti de la grave crise globale qu’elle subit depuis 2019. Les familles souffrent du chômage. Elles ont vu leurs comptes bancaires bloqués. Tout est devenu très cher, avec une inflation à deux chiffres. L’hospitalisation et la nourriture sont devenues hors-de-prix. Nous vivons en autarcie. Pour toutes ces raisons, cette année, à la surprise générale, nous avons accueilli 96 élèves de plus (NDLR : le nombre d’élèves est monté à 620). Au niveau de l’enseignement, nous sommes, pour ces familles, leur bouée de sauvetage. Nous leur redonnons de l’espoir. Mais, cela a un coût. Nous devons l’assumer à leur place. C’est notre vocation : nous tenir debout à côté des plus faibles et des plus fragiles et les aider.

Rappelez à nos lecteurs ce qui est arrivé à l’école en 2018. Pour quelles raisons devait-elle fermer ?

Oui, et c’est pour cela que j’ai été nommé directeur en 2018. Pour sauver l’école. Je suis un ancien. Après avoir passé 31 ans au collège des frères à Mont La Salle, à Beyrouth, je suis, donc, monté à Baskinta. Si je n’avais pas accepté cette nouvelle mission, l’école fermait purement et simplement. Elle fermait pour les raisons suivantes : l’école était payante et le nombre d’élèves diminuait d’année en année, en raison de l’exode des parents vers Beyrouth. Les élèves n’avaient pas de moyens pour leur transport. Et, ceux qui restaient au village partaient à l’école publique, car elle est gratuite. Mais, l’enseignement ne leur convenait pas. D’autres, enfin, travaillaient pour aider leur famille. J’ai réussi à inverser la tendance.

Vous avez, donc, sauvé votre propre école. C’est rare. Qui vous a aidé à la remettre à flot ?

En 2018, après avoir fait un audit en profondeur, nous avons mis en place une stratégie pour la sauver. Tout d’abord, j’ai fait un plan de redressement très strict ; et j’ai opéré une planification des besoins. Puis, j’ai promis aux parents que le collège ne fermerait jamais. J’ai pris un gros risque.

J’ai, par la suite, contacté les anciens du collège et je les ai incités à participer au sauvetage de leur école. Les anciens se sont mobilisés financièrement. J’ai contacté, également, plusieurs associations nationales et internationales. Quelques-unes ont répondu positivement. Cela a été formidable.

Enfin, on a encouragé les familles qui pouvaient payer un peu plus de droits de scolarité. Et, cela a fonctionné.

Nous avons, en parallèle, remonté le niveau de l’école. Nous sommes un collège homologué par la France. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Institut français de Beyrouth.

L’école peut, donc, compter sur de nombreux soutiens. Quels sont-ils exactement ?

Oui, elle peut compter sur les membres du Rotary Club Antony-Sceaux, sur celui de Beyrouth, sur les anciens du collège, et sur l’ambassade de France. Elle est, également, aidée par l’Œuvre d’Orient, par des associations comme l’Aide à l’Eglise en Détresse, Eddé et Raoul Follereau.

Aujourd’hui, vous tirez, de nouveau, la sonnette d’alarme. Que se passe-t-il ?

Oui, les conséquences de la crise économique que nous vivons sont très dommageables. Notre pauvreté a augmenté depuis un an. Et, la guerre n’arrange rien. Au contraire.

Le pays est confronté à de très graves problèmes économiques, politiques et sociaux. Depuis 14 mois, nos institutions sont à l’arrêt. C’est très compliqué. Nous n’avons plus de président de la République, et nous sommes sans gouvernement. Il fonctionne a-minima avec les ministres démissionnaires !

La guerre de Gaza a des répercussions tragiques dans le sud du Liban. Et, Netanyahu a menacé d’effacer Beyrouth, comme il le fait dans le nord de Gaza. Dans le sud du Liban, près de 100 000 personnes ont quitté leur village. Ils viennent ici, pour certains. Nous accueillons, également, des réfugiés syriens. C’est comme si en France, dans le sud, 1 million de personnes s’exilaient vers le nord !

Ajoutons que, cette année nous avons accueilli, en plus, 45 enfants du centre Mar Semaan (NDLR : ONG fondée en 1981 qui prend à sa charge des orphelins).

Du côté de nos collaborateurs, nos professeurs et notre personnel administratif et technique (une quarantaine de personnes) ont une très faible rémunération. Ils ne touchent que 30 à 40 dollars par mois (NDLR : en dessous du seuil de pauvreté). C’est pour cela que je lance cet appel. Nous avons besoin d’aide, cette année, pour boucler notre budget en déficit de 45 000 dollars.

Parlons, maintenant, de la situation au Liban. Le conflit dans la bande de Gaza dure depuis deux mois, qu’en pensez-vous ? Avez-vous peur pour la jeunesse du Liban, au moment où le sud du Liban est, quotidiennement, bombardé ?

Oui, la guerre s’installe. Et, ce n’est pas nouveau. En 2006, le Liban était en partie détruit par la guerre israélienne contre le Hezbollah. Et, cela recommence. Cette guerre influence négativement les Libanais et tout le monde a peur de ce qui se passe à Gaza et au sud du Liban.

Oui, depuis deux mois, les gens ont peur. La peur s’installe partout. Les Libanais fuient le sud du Liban et viennent se réfugier à Beyrouth, dans nos montagnes, à Baskinta. Tout ceci n’est pas bon signe. La crise augmente. C’est pour cela que notre école est en difficulté. Nous avons un déficit à combler dans l’urgence…

Je suis très inquiet pour l’avenir, car nos jeunes veulent quitter le pays. Ils sont traumatisés. Nos jeunes sont désespérés.

Concluons en évoquant le rôle de la France et de la Francophonie. Qu’en attendez-vous ?

Sans la France, sans la Francophonie, que deviendrait le Liban ? Que deviendrait notre école ? La France est notre alliée, notre meilleure amie depuis toujours. La Francophonie est notre trésor. Nous aimons la France, nous avons besoin d’elle. Nous comptons, toujours, sur son appui. Sans ses aides, il serait impossible de continuer. Nous sommes labellisés auprès de l’Institut français et nos élèves présentent le DELF (NDLR : Le diplôme d’études en langue française est un diplôme officiel délivré par le ministère français de l’éducation nationale).

La France doit continuer à jouer un grand rôle au Liban. Le Président Emmanuel Macron a envoyé à plusieurs reprises son conseiller spécial Jean-Yves Le Drian. Ils nous aident pour que nous puissions retrouver une vie institutionnelle normale. La France est comme une tendre mère qui prend soin de ses enfants. Nous restons très attachés à elle, et on compte toujours sur elle, sur son peuple. Aujourd’hui, nous avons, encore, besoin d’elle. Nous avons besoin de nos amis. Nous avons besoin de vous.

Antoine Bordier

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