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Arménie 2024 : la délégation marseillaise relance les liens d’amitié entre la France et l’Arménie

Photos A. Bordier

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Finalement, la pluie, qui avait été annoncée, n’a pas voulu jouer les trouble-fêtes de la semaine où les délégations économique et politique venues de Marseille, du département des Bouches-du-Rhône et de la région PACA, ont posé les jalons d’un rapprochement inédit, voire historique, entre la France et l’Arménie. Comment aurait-il pu en être autrement ? Cela faisait longtemps que l’Arménie n’avait pas vu une telle délégation venir semer les graines de l’amitié de façon aussi significative. Mieux encore, sur le terrain des secteurs agricole, industriel et des services, des contrats pour plusieurs millions d’euros ont été signés.

Des observateurs non-avertis pensaient que le vent du renouveau de l’amitié franco-arménienne allait souffler fébrilement de Paris. Ils se sont trompés à la fois sur l’intensité et sur le lieu. Avec force, la renaissance est venue du sud de la France, de cette région qui se veut être le phare éclairant les nations méditerranéennes.

La cité phocéenne face à la cité arménienne

Mais, la cité phocéenne est, d’abord, un port qui a accueilli des centaines de milliers d’Arméniens, venus par vagues successives, depuis le … 15è siècle. Et même avant. Qui se souvient de ce fameux Léon de Lusignan, débarquant il y a presque 650 ans, jour pour jour, dans ce qui reste du Royaume d’Arménie de Cilicie ? Il en deviendra le dernier roi. Un Français !

Beaucoup plus tard, la triste et terrible époque du génocide de 1915 a vu des Arméniens – les survivants – devenir des apatrides. Arrivés à Marseille, ils ont fait de la terre varoise, de la France, leur nouvel havre de paix. Brillants, très travailleurs, la plupart des descendants de cette vague d’immigration forcée se sont engagés au service de leur nouvelle terre. Depuis, de génération en génération, ils servent la cité, la vie associative, politique et économique de leur nouveau drapeau tricolore. Fiers de leurs racines, ils ont créé des passerelles et des ponts, des tunnels d’amitié, de coopération et de solidarité. Ils n’ont pas oublié l’Arménie. « Jamais. » Plus que symboliquement, avec Arménie 2024, cette mission économique d’un nouveau genre, Français et Arméniens se sont rejoints sur une nouvelle route de la soie : celle qui relie Marseille à Erevan.

Des politiques en tenue de service

C’est une femme, Martine Vassal, Présidente du Conseil départemental des Bouches-du Rhône et Présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, et un homme, Didier Parakian, Député de l’Assemblée Nationale, qui ont entraîné derrière eux la forte délégation politique, composée d’une trentaine de personnes. « Oui, nous avons voulu emmener avec nous des élus de terrain. Pour certains, c’est une première fois. Pour moi, c’est la 6è fois que je mets les pieds en Arménie. Notre délégation regroupe, aussi, des associations. » Du côté de Didier Parakian, il s’agissait de « se mobiliser fortement, pour dire à l’Arménie, à la suite du nettoyage ethnique qui a eu lieu dans le Haut-Karabakh, en septembre 2023 : Nous ne vous abandonnons pas à votre triste sort de réfugiés. Vous avez tout perdu. Nous allons vous aider à vous reconstruire, à retrouver votre dignité… »

Martine Vassal et Didier Parakian ont des origines arméniennes. A l’unisson, ils disent comme feu Charles Aznavour : « Nous sommes 100% Arméniens, 100% Français… » Et, ils rajoutent : « Nous sommes 100% Marseillais. »  Non seulement un vent fort d’amitié franco-arménienne souffle fortement depuis leur arrivée sur toute l’Arménie, mais ce vent, qui fait s’envoler les doutes, est un vent de renouveau. « Jusqu’à maintenant, effectivement, nous mettions en avant l’humanitaire, le social, la culture et le sport ; mais là, j’ai décidé d’orienter notre coopération vers le monde économique », précise la Présidente.

En remontant le fil de l’histoire, le génocide reste incontournable pour comprendre d’où vient ce renouveau, sorti tout droit des entrailles de la terre. Suite au génocide arménien de 1915, sa maman est arrivée à Marseille avec une seule valise, sans le sou. Pour Didier : « En 1920, Arakel, mon grand-père maternel, arrive à l’âge de 20 ans à Marseille. Il était originaire de Bursa, en Turquie. »

Un programme au cordeau

Pour ses premiers de cordée, Armen Mnatzakanian et toute son équipe de la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-Arménienne, a concocté un programme de visite sur-mesure, hors-du-commun « Oui, j’y ai travaillé presque 6 mois… ». Hors-du-commun ? Oui, certains parlent même d’« un nouveau Davos Franco-Arménien »… A voir !

Sur le terrain, les rendez-vous s’enchaînent pour les élus avec le Président de la République Vahagn Khatchaturian, le Premier ministre Nikol Pachinian, le Catholicos Karekine II, le ministre des Affaires Etrangères, le ministre de l’Economie, d’autres ministres et des entreprises. « Malgré le climat et la tragédie du Haut-Karabakh, les menaces de déstabilisation et d’invasion de l’Arménie par les Azéris, la situation économique s’est améliorée en Arménie. La croissance y est importante, avec plus de 7%. Il y a le plein emploi. Ils ont réussi à accueillir les près de 120 000 réfugiés de l’Artsakh. » Le décor est planté.

Des déportés vivants et des jeunes tombés

Ce lundi 8 avril, toute la délégation politique rencontrait, ainsi, à Masis, des déportés de l’Artsakh. « Moment à la fois dur et très digne. Car, ils ont tous le désir de rentrer chez eux. Nous avons essayé de leur apporter du réconfort. Pour certains, cela a été très difficile car ils ont été déplacés trois fois. Le gouvernement arménien fait tout ce qu’il peut. Nous, nous allons aider des associations à construire des maisons pour les réfugiés. »

Parmi les autres visites, la délégation politique est allée se recueillir à Yerablur. Sur place, les élus sont en berne. Tous vêtus de noir, dans ce cimetière militaire, qui se situe sur une petite colline, à 5 km de la capitale, ils passent en silence devant les tombes des 4000 jeunes soldats arméniens – certains n’avaient que 18 ans. Ils sont tombés dans les tranchées boueuses du Haut-Karabakh, sous la pluie des bombes à fragmentation à sous-munitions et des bombes au phosphore blanc, lancées par les Azéris, entre septembre et novembre 2020. Cette guerre des « 44 jours » a laminé une jeunesse en plein vol. Une jeunesse qui défendait leur patrie.

C’était une guerre sale. Une guerre où la haine était omniprésente. Une guerre où, selon le dictateur Aliev, « l’Arménien est un chien ». De guerre, las… De haine, las… Stop…

Une fanfare traditionnelle pour la délégation économique

A l’aéroport international Zvartnots, distant d’une dizaine de km d’Erevan, c’est l’effervescence. Armen Mnatzakanian et Didier Parakian sont prêts. « La délégation aura du retard », prévient le premier en s’adressant à l’ambassadeur qui vient d’arriver. Les trois hommes s’apprécient. Olivier Decottignies a fait le déplacement avec ses représentants du monde économique. « C’est un moment important. La délégation économique est très significative. C’est mon rôle de l’accueillir et de la soutenir. L’Ambassade de France suit de près tous les échanges et les projets économiques qui vont avoir lieu entre des entreprises arméniennes et des entreprises françaises », explique l’ambassadeur, qui a pris ses nouvelles fonctions en juillet dernier. L’homme est un historien, un amoureux de la France et de ses intérêts. Il est un farouche défenseur de la Francophonie. Il aime l’Arménie, c’est certain.

Vers 23h00, les portes de la zone douanière s’ouvrent et la délégation d’une trentaine de chefs d’entreprises avance en poussant leurs chariots. Une fanfare se met, alors, à jouer la musique traditionnelle de l’accueil arménien. Trois jolies hôtesses habillées en costume national d’époque avancent avec des roses à la main. L’une d’entre-elles porte un plateau sur lequel une brioche traditionnelle s’offre au regard. Chaque participant est invité à en rompre une part. Les applaudissements fusent. L’ambiance est à la fête. Les sourires s’affichent comme autant de promesses. A cet instant, le mot BIENVENU prend tout son sens. L’Arménie est une terre d’accueil. Une terre transcaucasienne.

Orchestration d’évènements et de rencontres

Après l’aéroport, direction l’hôtel flambant neuf Courtyard Marriott, qui appartient au groupe Galaxy, un acteur majeur de la vie économique du pays. Erevan, la capitale, concentre près de 2/3 des 3 millions d’habitants de ce petit pays que j’appelle confetti. Erevan est, donc, « the place to be », la place où il faut être pour faire des affaires, et rencontrer les acteurs incontournables.

La délégation économique phocéenne est composée de nombreux champions, adhérents de la CCIFA et du célèbre « Club TOP 20 », qui rassemble 70 entreprises faisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. D’autres sont membres de la CCI métropolitaine Aix-Marseille-Provence.

Citons-en quelques-uns : comme Aramine, le leader français des engins miniers et des pièces de rechange, le cabinet d’avocats SRDB, Sud Omnium Services, dans le nettoyage industriel, Jalis, une agence web, Haikanouche, un grossiste et un traiteur dans les plats cuisinés, Tempo One, un groupe familial majeur dans les secteurs de l’affrètement, de la logistique et du transport. Impossible de tous les citer.

Sur place, cette mission économique va se transformer en 100% business avec près d’une dizaine de contrats signés entre des acteurs arméniens et des acteurs français. « Un moment historique », répètera tout au long de la semaine l’ambassadeur. Du côté des évènements, les participants ont été transportés dans le monde de la mémoire et de la tristesse, de la joie et de la grâce. Ainsi, la visite conjointe des délégations économique et politique au Mémorial du Génocide à Tsitsernakaberd a marqué les esprits de tous. Du côté de la joie et de la grâce, il fallait se rendre à la soirée consacrée au Lac des Cygnes. Direction l’Opéra d’Erevan. C’était divin !

Tsitsernakaberd qui pleure et qui chante !

Le Mémorial a été construit entre 1965 et 1967. Ce mercredi 10 avril au matin, les deux délégations marchent à travers le parc où plus de 200 sapins ont été plantés (par des personnalités du monde entier) pour rendre hommage aux 1,5 million Arméniens massacrés lors du génocide de 1915. Martine Vassal et Didier Parakian, entourés de quelques élus, comme le maire d’Allauch, Lionel de Cala, le maire de Gardanne, Hervé Granier, le maire de Saint-Mitre-Les-Remparts, Vincent Goyet (impossible de tous les citer) se taisent. Tous s’avancent vers le Mur commémoratif, d’une longueur de 100 mètres, sur lequel sont gravés les noms des villes d’Arménie occidentale et les noms des populations arméniennes massacrées par les Turcs. Monsieur l’Ambassadeur est là, également. Sa présence est plus que symbolique. Elle dit de nouveau que « la France est aux côtés de l’Arménie ». Pour certains : « l’Arménie et la France sont comme des sœurs ! »

Dans le ciel, les nuages s’épaississent. Au loin, sur la droite, le mont Ararat s’élève à plus de 5000 m. Il est majestueux, telle une page biblique en relief jamais refermée. Ses sommets, Masis et Sis, ont revêtu pour l’occasion leurs couronnes dessinées de blanc. Devant eux, le sanctuaire se rapproche et ressemble à un vaisseau spatial, qui vient de se poser sur la petite colline. En ses entrailles brûle la Flamme éternelle. A quelques mètres de lui, se dresse la colonne de « la Renaissance de l’Arménie », véritable flèche de cathédrale, fendue en son milieu, comme un cœur transpercé. Elle est pointée vers le ciel. Impossible de ne pas la voir, avec sa hauteur de 44 mètres.

Le sanctuaire à ciel ouvert est composé de douze grandes portes en granit formant comme un arc de cercle. Après une dizaine de marches, la délégation descend à pas feutrés, au plus près de la Flamme éternelle, qui se dévoile en son coeur. Elle symbolise toutes les victimes du génocide. L’instant est solennel. Quelques larmes coulent. Les minutes ralentissent. Le temps s’arrête. Une rose à la main, chacun dépose la sienne. Certains ont du mal à se relever.

Une chorale venue de Lyon se met, alors, à rompre le silence devenu trop lourd. Les voix sont belles, elles chantent un « Je vous salue Marie… ». Femmes et hommes sont debout… L’instant est plus que solennel. Comme si cette terre baignée de sang rejoignait ce ciel rempli de larmes. Séquence d’éternité.

Il y a 108 ans, un an après le génocide, Anatole France écrivait : « L’Arménie expire. Mais elle renaîtra. Le peu de sang qui lui reste est un sang précieux dont sortira une postérité héroïque. Un peuple qui ne veut pas mourir ne meurt pas. » La vie jaillit. Elle jaillit en abondance.

Des contrats multiples

Comme un fleuve d’eau vive, la vie ruisselle de nouveau en Arménie. Avec cette mission économique, elle se remplit de promesses. Le pays respire. La mission économique Arménie 2024 se transforme en affaires, en « business ». En tout, ce sont huit contrats qui vont être signés dans les heures qui suivent la visite du Mémorial. Un contrat entre l’UFAR, l’Université française en Arménie, représentée par sa rectrice Salwa Nacouzi, la Métropole et Herman Bal, le patron de l’Hôtel Lumen à Paris, pour l’ouverture du cursus en hôtellerie. Un contrat entre les cabinets d’avocats SRDB et Ell Partnership, représentés par Me Georges Sioufi et Me Martun Panosyan. Un contrat avec le groupe familial Richel, et les serres qui appartiennent au groupe familial arménien Avalanche, les frères Khachatryan.

Le groupe Aramine, piloté par la seconde génération des Melkonian, de son côté, a fait chauffer son stylo en signant plusieurs contrats. Et, il a été approché, en plus, par l’International Chamber of Mines of Armenia, fondé tout récemment par un groupe d’Arméniens. Sur les 7 co-fondateurs, 6 viennent de la diaspora. L’objectif ? Ils veulent démocratiser le marché minier qui est un des secteurs les plus prometteurs du pays…

En tout ce sont près d’une cinquantaine d’entreprises arméniennes qui sont venues à la rencontre de ces délégations venues du soleil de France. « Oui, c’est une première ce speed-dating des affaires », redit Armen Mnatzakanian, ravi des échanges et des perspectives.

La délégation politique est, déjà, repartie. La délégation économique a un dernier rendez-vous à l’Ambassade de France. Les deux drapeaux tricolores semblent flotter en plein vent, au zénith des relations franco-arméniennes. Les nuages ont disparu. Le soleil est radieux. Arménie 2024 ne ferait, finalement, que commencer.

Pour en savoir-plus : https://armenie2024.com

Antoine BORDIER

    


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