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Rachat de Carrefour par Couche-Tard : pourquoi le véto de Bruno Le Maire est parfaitement justifié

Entreprendre - Rachat de Carrefour par Couche-Tard : pourquoi le véto de Bruno Le Maire est parfaitement justifié

Le rachat de Soufflet par InVivo est le bon exemple à suivre pour Carrefour.


On ne peut que s’inquiéter devant les cris d’orfraie poussés par certains commentateurs, suite à la décision courageuse de Bruno Le Maire de mettre son veto au rachat de Carrefour par le canadien Couche-Tard (au nom prédestiné en période de couvre-feu !).
Beaucoup se prétendent partisans du souverainisme économique mais uniquement en parole

Accepter que le plus grand distributeur du pays, premier employeur privé (avec 100000 salariés sur le territoire), l’une des marques tricolores les plus connues dans le monde, se fasse avaler par un épicier canadien, qui a fait toute sa fortune dans les supérettes de stations-service (14000 magasins à ce jour),apparaît comme un calcul à courte vue. Même si, sur le papier,le rapprochement peut avoir du sens au plan financier voire commercial.

Au plan stratégique du point de vue national c’est tout l’inverse. Mais cela ne préoccupe guère nos milieux d’affaires. Après tout, Carrefour est plus gros, plus structuré même si sa capitalisation boursière est moindre.

La belle affaire ! Faut-il tout voir du simple point de vue boursier désormais. Si c’était le cas, Renault aurait de souci à se faire par rapport à Tesla qui pèse 100 fois plus que la marque au losange.

Se souvient-on qu’en 2005, Dominique de Villepin, alors premier ministre, s’était opposé au rachat de Danone par l’américain Pepsico. Avec le recul, le moins qu’on puisse dire est qu’il a bien fait ! Idem pour Photonis récemment, et que dire des Chantiers de l’Atlantique…

Nos observateurs économiques endimanchés n’ont toujours pas mesuré, semble-t-il, l’enjeu stratégique de cette hypothétique rachat. Déjà oubliée l’affaire Alstom ? Et pourtant, même si cela n’a pas trait à notre stratégie de défense ou d’énergie, cela reste éminemment essentiel du point de vue de la souveraineté alimentaire mais aussi économique et industrielle. Ce n’est pas Arnaud Montebourg qui nous contredira, lui qui a mis en place le dispositif légal pour se défendre, renforcé depuis par la loi Pacte ! Expliquons -nous !

D’abord parce que nous n’avons pas tant que cela de grandes entreprises dont le siège soit installé en France, avec tous ses centres de décision, sans parler de sa cotation sur Euronext Paris. Rappelons que Renault et Airbus ont leurs sièges sociaux installés aux Pays-Bas.

Ensuite, et c’est le plus dommageable, nos beaux esprits épris d’amabilité pour les rachats étrangers (cela fait bien) sous- estiment le formidable poids d’un tel géant de la distribution pour faire vivre et prospérer des filières de fabrication d’origine française, que ce soit dans l’agroalimentaire, les cosmétiques ou l’électroménager. On peut mesurer cette importance avec les campagnes orchestrées par certaines chaînes de distribution pour promouvoir les légumes ou produits des régions. Quand Leclerc, Auchan, Casino, Systeme U, ou Intermarché mettent en avant les produits des PME de terroir, cela fait des parts de marché appréciables.

L’effet d’entraînement et de solidarité inter- filières est devenu assez fondamental y compris à l’export. Demandez par exemple aux fournisseurs made in France de Leclerc s’ils ne bénéficient en l’occurrence d’une formidable vitrine avec ses référencements dans les magasins de la péninsule. Ce n’est qu’un exemple.

Le déploiement de Carrefour à l’étranger, et par exemple au Brésil, s’avère être un formidable cheval de Troie pour nos marques tricolores. Demandez à Danone, Seb ou Garnier s’ils n’en n’ont pas clairement bénéficié pour vendre plus de yaourts, de cafetières ou de shampoings à Rio de Janeiro par exemple.

Il y a donc de quoi être surpris devant la l’angélisme de certains commentateurs à critiquer la position du ministre de l’économie qui, en l’occurrence, a parfaitement raison de vouloir venir défendre la belle endormie ou assiégée qu’est Carrefour, même si sa capitalisation boursière (17 milliards d’euros) ne reflète pas son poids économique. D’autant plus avec le déficit du commerce extérieur qui est le nôtre. On peut regretter à ce sujet que le distributeur français Lapeyre ait été récemment bradé par Saint-Gobain au groupe allemand Mutares.

Au-delà des 700 emplois déjà menacés après le rachat, c’est sans doute une très mauvaise nouvelle pour l’avenir de nos fabricants de meubles ou de cuisine. Car on peut compter sur l’esprit de solidarité de l’industrie germanique en la matière.

Aussi, ce n’est pas parce que Bernard Arnault ou la famille Moulin (Galeries La Fayette) sont pressés de vendre leurs participations qu’Alexandre Bompard, brillant dirigeant, doit se résoudre  à brader le premier distributeur hexagonal, (12300 magasins dans 30 pays,320000 collaborateurs dans le monde, 81 milliards d’euros de chiffre d’affaires) l’inventeur de l’hypermarché, au premier tycoon venu même si la réussite de l’autodidacte québécois Alain Bouchard est exceptionnelle et qu’il est prêt à mettre 17 milliards d’euros sur la table. Il y a bien mieux à faire pour notre économie.

L’heure est plus que jamais à la consolidation de solides ensembles français ou européens comme vient de le faire par exemple, la première coopérative agricole InVivo qui, en mettant la main sur Soufflet, évite que le premier meunier tricolore, un groupe familial devenu premier collecteur européen de céréales, ne tombe dans les mains d’un groupe américain. Qui plus est, l’accord donnera naissance à la constitution un géant français de l’agriculture, avec un chiffre d’affaires global de 10 milliards d’euros.

Carrefour est peut-être à vendre. Pourquoi pas, mais essayons d’en faire plutôt une arme de guerre au service nos industries en le mariant avec un opérateur hexagonal plutôt qu’un sous-marin potentiel pour la distribution de produits importés. En économie, il faut voir près mais aussi savoir regarder loin ! Merci à Bruno Le Maire de l’avoir fait en cette occasion.

Robert LAFONT


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