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Normalisation des relations diplomatiques de l’Iran avec l’Arabie Saoudite, un nouveau recul

Entreprendre - Normalisation des relations diplomatiques de l’Iran avec l’Arabie Saoudite, un nouveau recul

Par Hamid Enayat*

Tribune. Pour bien comprendre toute la politique menée par le régime iranien, au niveau national comme à l’échelon international, il est important de prêter attention au fait que le soulèvement, contre lequel il se bat depuis plus de 190 jours, accapare toutes ses ressources intellectuelles et détermine toutes ses actions. C’est dans ce contexte qu’il convient d’observer les prochaines décisions diplomatiques de l’Iran, notamment en direction de l’Arabie Saoudite.

À la mi-février 2019, la jeunesse rebelle ébranlait les piliers du régime. 1 500 jeunes mouraient, tués par des tirs directs, avant que la théocratie ne parvienne à contrôler le soulèvement. Si l’on en croit les évaluations effectuées par les services de renseignement du guide suprême, un autre soulèvement devait suivre l’été suivant, bien plus intense cette fois. Et puis l’épidémie de Covid-19 est arrivée.  Ali Khameneï l’a qualifiée de bénédiction. En interdisant l’importation de vaccins authentiques depuis l’occident, le guide suprême a pu repousser ce soulèvement de deux ans… Au prix d’un demi-million de morts…

Enfin, l’après-Covid-19 est arrivé. En écartant une faction politique complète des affaires de l’état (les soi-disant réformistes d’Hassan Rohani) pour installer Ebrahim Raïssi, Ali Khamenei a misé sur le plus tristement célèbre des religieux politiciens du pays. Connu pour sa participation active au massacre de l’été 1988 (au sein des commissions de la mort) qui a vu près de 30 000 prisonniers politiques être exécutés, l’homme devenait providentiel. Et le message adressé au peuple était on ne peut plus clair. En Khameneï anticipait déjà la probable révolution.

L’assassinat de Mehsa Amini par la patrouille des mœurs en septembre dernier a fait exploser l’Iran, comme une braise jetée dans un baril de poudre. Depuis lors, les slogans « mort à la dictature » et « mort à Khamenei » se répandent comme un virus mortel. Plus de six mois et dix jours se sont écoulés depuis le début du soulèvement iranien. Et, loin d’être terminé, il se poursuit avec plus de puissance et une meilleure organisation. La répression sans précédent, la torture, l’assassinat et l’arrestation de plus de 30 000 personnes n’ont aucunement empêché la révolution de se poursuivre. Au contraire, ces injustices ont nourri la détermination des plus hésitants.

Du combustible, une allumette

Mais si le décès de la jeune Kurde d’Iran a tant ému les iraniens, jusqu’à ce qu’ils osent exprimer la colère enfouie depuis des décennies malgré les risques, c’est qu’il est intervenu à un moment critique. La société iranienne est aux abois. La pauvreté s’épand comme une tâche d’huile, les prix flambent, le chômage explose…  Aujourd’hui, il est admis que près de 80 % de la population survit sous le seuil de pauvreté. Rien qu’au cours des six derniers mois, la valeur de la monnaie nationale a chuté de moitié. La courbe de paupérisation est exponentielle et le gouvernement n’offre aucune solution. Sans doute parce que ses intérêts sont ailleurs, dans la bombe et la volonté d’expansion de la révolution islamique. Ajoutons au tableau une corruption endémique et nous voyons ensemble l’économie toute entière du pays se réduire à l’état de cendres.

C’est sur ce terreau bien fertile qu’ont pu s’épanouir les Unités de Résistance. Depuis le début de la Révolution, le nombre des équipes a crû de 500 % ! Plus la répression devenait forte, et plus la résistance s’organisait et se voulait détermine et inflexible, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. En signe d’apaisement, le guide suprême aurait pu offrir un peu de cette liberté tant demandée par la population, afin d’épargner le pue qui tient encore debout. Mais non ! Car la moindre réforme en ce sens est totalement incompatible avec la nature même du régime de la charia. Pour être définitivement clair sur ce point, et afin de bien comprendre qui est l’homme derrière le titre de guide “suprême“, il n’y a qu’à se laisser bercer par quelques morceaux de son dernier discours. Notamment lorsqu’il qualifie les velléités de changements structurels de l’état, dans le but d’éviter un renversement, de folie et de paroles d’ennemis. Les objectifs sont ailleurs. Dont acte.

Durant ces six derniers mois, le peuple a montré et démontré qu’il voulait à tout prix remplacer le système du Velayat- e-Faqih par un gouvernement démocratique et laïc. Les deux camps sont irréconciliables. Sans doute, à l’instar de Bertold Brecht, les mollahs pensent-ils que puisqu’il se dresse contre son gouvernement, il faut dissoudre le peuple. Il a forcément tort, puisqu’il n’est QUE le peuple. Certes. Mais il s’agit d’un peuple déterminé, un peuple qui n’a plus rien à perdre. L’affrontement touche donc à son point final.

La normalisation des relations avec l’Arabie Saoudite

« [i]Si le discours révolutionnaire est toujours à l’ordre du jour du gouvernement, nous devons dire qu’un accord avec l’Arabie Saoudite ne peut pas être en faveur de l’Iran. En effet, ces dernières années, l’Arabie saoudite a établi des relations étendues avec la « Chine » et la « Russie » et, dans ce cas, nous devrions également mentionner la proximité des Saoudiens avec l' »Amérique ». Le rôle de l’Arabie saoudite dans la normalisation des relations entre le monde arabe et Israël est très coloré. Cette proximité peut être perçue comme une menace pour Téhéran. Mais si le gouvernement iranien met la diplomatie de réconciliation à l’ordre du jour, il devra rendre des comptes à la communauté internationale. Cela signifie qu’à l’avenir, l’Iran acceptera la pression de l’Amérique, de l’Europe, d’Israël, du monde arabe, etc. concernant la situation régionale. Si le gouvernement en place veut toujours parler au monde dans sa littérature révolutionnaire, nous assisterons à des défis. »

L’heure de nouvelles tactiques géopolitiques a sonné. Pour l’Iran, il est impossible de se rapprocher du Royaume Saoudien. Cela sonnerait le glas de l’idéologie même de la révolution islamique. D’un autre côté, sans ce rapprochement, le pays devient plus isolé que jamais et peut s’attendre à une attaque économique en règle, parfaitement coordonnée. C’est ce qu’on appelle un dilemme. Et c’est souvent là, dans ces situations inextricables, que les barons noirs se révèlent. Kamal Kharazi, ancien ministre des affaires étrangères et actuel président du Conseil directeur des relations extérieures, exprime son inquiétude quant à la gravité de la situation dans la région : « Malheureusement, nous assistons à la normalisation des relations de certains gouvernements de la région avec Israël. La normalisation des relations avec le régime israélien et l’ouverture de ce régime à la région du Golfe Persique est une trahison de la cause de la Palestine et des peuples de cette région. Israël n’a d’autre but que de créer des tensions dans la région. Il ne fait aucun doute que l’Iran continuera à s’opposer à ce régime d’apartheid et illégitime et qu’il fera face à toute initiative menaçant l’Iran et les pays de la région »

Avec cette dialectique, Ali Khameneï tente d’attirer l’attention des pays voisins comme l’Arabie Saoudite afin de les empêcher (lui et d’autres) de se rapprocher d’Israël et, d’une certaine manière, de prévenir une éventuelle attaque. Car si tel était le cas, la nouvelle proximité entre les pays arabes et Israël et l’isolement du guide suprême feraient clairement pencher la balance en faveur du peuple iranien. Il deviendrait impossible pour le régime de survivre à la fois à une révolution et à une guerre sur son propre territoire. C’est dans ce contexte particulier que l’Iran a accepté de recevoir Rafael De Grossi, Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, et de satisfaire à ses exigences. C’est également pour ces raisons, faire légèrement baisser la pression internationale et continuer de gagner du temps, que le régime a stoppé ses exportations de drones vers la Russie depuis mi-février.

 Discours révolutionnaire ou discours de réconciliation ?

Nous l’avons vu plus haut, la question n’est que purement rhétorique. En clamant haut et fort que tout changement serait une folie, le guide suprême ôté tout espoir de réconciliation aux rares diplomates occidentaux convaincus de la supériorité de leur argumentaire. Ce régime ne parlera jamais de réconciliation. D’ailleurs, comment peut-on s’attendre à ce qu’un régime qui attaque chimiquement ses écoles de filles puisse s’engager dans un discours de réconciliation ? En 43 ans, le régime n’a jamais cessé les exécutions, la répression, la terreur, sauf quand il a fallu calmer l’opinion internationale et attendre que les projecteurs se braquent autre part sur le globe. En poursuivant sur cette ligne dure, au dehors comme au-dedans, et en s’érigeant dernier rempart de la civilisation musulmane contre l’oppression juive et occidentale, le régime tente de montrer qu’il a trouvé un compromis avec les pays arabes et l’Arabie saoudite en particulier. Il retarde un peu l’échéance de son renversement. D’ailleurs, pour éviter qu’il ne survienne trop tôt, le guide suprême est prêt à adopter certaines positions, des reculs tactiques limités et astucieux comme il en a la fâcheuse habitude. Pour autant, ne pensez surtout pas qu’il cessera de soutenir les milices présentes en Irak, en Syrie, au Liban ou au Yémen. Tout ce qu’il cherche, c’est à gagner du temps. Un temps aussi précieux que celui nécessaire à l’enrichissement de l’Uranium…

Hamid Enayat
Hamid Enayat est un analyste iranien basé en Europe. Militant des droits de l’homme et opposant au régime de son pays, il écrit sur les questions iraniennes et régionales et en faveur de la laïcité et des libertés fondamentales.


[i] Journal d’état Donyayé-Ekhtesad, édition du 13 mars 2023


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