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Michel Maffesoli : « Les médias ont de moins en moins d’influence sur la population »

Entreprendre - Michel Maffesoli : « Les médias ont de moins en moins d’influence sur la population »

Le sociologue Michel Maffesoli*, théoricien du temps des tribus, révèle dans La transfiguration du politique comment le corps social mute sous la nouvelle culture du sentiment et de l’affection. Entretien.


Comment renouer avec la vraie politique ?

Il est certain que les citoyens ne se sentent plus partie prenante du monde officiel. C’est ce que j’essaie de montrer dans la préface à la réédition de mon livre, La Transfiguration du politique (éditions du Cerf). Tout simplement parce que les institutions sont en déphasage avec la vie réelle du peuple. En même temps on peut observer que se multiplient un peu partout des regroupements, associations, mouvements, qui entendent redonner du sens à la gestion commune de la cité.

C’est ce qui au-delà des abstentions, des votes blancs et des non-inscrits lors des diverses élections peut rendre confiant dans un avenir, pas trop lointain, dans lequel après une indubitable circulation des élites (V. Pareto) se mettront en place de nouveaux modes politiques, ce que j’ai appelé la transfiguration du politique.

Les individus peuvent-ils se sauver ?

En son sens étymologique, la politique (polis) était tout simplement l’organisation de la cité. Ce que l’on observe contemporainement c’est un inéluctable désir de revivre au plus proche avec d’autres. J’avais en son temps rappelé cela en parlant du « temps des tribus ». Renouer avec la vraie politique, ce qui n’est pas chose impossible, consisterait à redonner sens à une vie publique essentiellement « proxémique » : la commune, le canton, la région. Ceci passe par de nombreuses initiatives locales, culturelles, associatives, par des regroupements divers visant à dynamiser l’être ensemble.

Ceci ne correspond pas exactement au modèle de démocratie représentative de nos institutions, mais implique de nouvelles formes de participation, de collaboration, de solidarité. Le monde de l’entreprise, celui des territoires, le monde de la culture et bien sûr la grande nébuleuse de l’action solidaire en sont de bons exemples.
Tout au long de mes livres j’ai montré que l’émergence de l’individualisme à partir du XVIIe siècle, la philosophie de Descartes en est le fondement essentiel, était la marque de la modernité. Ce qui par après avait constitué, à partir des individus autonomes, le contrat social et les diverses institutions qui en étaient la résultante. Il me semble qu’il y a une saturation de cet individualisme et que ce qui prévaut et va prévaloir est la personne, qui est plurielle (« Je est un autre », Arthur Rimbaud) et qui s’épanouit dans des tribus de divers ordres (politiques, religieuses, culturelles, territoriales, sportives etc.). En bref, autant la modernité a privilégié le « Je », autant la postmodernité en gestation va mettre l’accent sur le « Nous ». C’est ce que j’ai appelé l’idéal communautaire, reprenant une force et vigueur indéniables.

La France peut-elle redevenir un phare ?

N’oublions pas qu’entre le XVIIIe et le XIXe siècles, la France a joué un rôle indéniable d’un point de vue mondial. Le modèle de la Révolution française d’un Etat Nation s’est imposé. Au détriment souvent des liens plus organiques : communes, corporations, confréries. Actuellement, renouant avec ce que fut l’idéal impérial du Moyen-Âge, la France peut retrouver sa place et jouer un rôle non négligeable dans une Europe dans laquelle les jeunes générations se reconnaissent de plus en plus. Non pas une Europe bureaucratique, au service d’une mondialisation sans foi ni loi, mais l’Europe comme idéal spirituel et culturel commun, assis sur de vraies solidarités de proximité.  C’est là le défi à relever.

Les médias sont-ils les fossoyeurs du vrai débat ?

Il est vrai que dans leur majorité la plupart des médias ont de moins en moins d’influence sur la population. Parce qu’elles se contentent trop souvent d’être les instruments d’une quasi propagande gouvernementale. Après une défiance vis-à-vis des intellectuels, puis vis-à-vis des politiques et de l’administration, c’est au tour des journalistes de faire l’objet d’une très grande méfiance. Elles sont considérées comme les perroquets du pouvoir politique et administratif (psittacisme). On peut donc supposer que seules les médias ayant une autonomie et une audace de pensée retrouveront à la fois crédibilité et diffusion. 

Vous semblez vouloir réhabiliter la franc maçonnerie…

Mon livre au titre un peu mystérieux, un peu ésotérique, LeTrésor caché, est une lettre aux Francs-Maçons ainsi que je le rappelle à ceux qui sont intéressés par la Franc-Maçonnerie. J’essaie de montrer qu’au XVIIIe siècle était en phase avec l’esprit du temps. Et c’est ce qui a permis son développement et son influence indubitable. Ayant mené tout au long de ma carrière à la Sorbonne des études sur les jeunes générations, j’ai pu observer que ceux-ci s’intéressaient au plus haut point à ce qui n’était pas simplement une conception matérialiste du monde. C’est en ce sens que je me demande si la Franc-Maçonnerie dans sa forme traditionnelle ne correspond pas à ces attentes juvéniles, en particulier l’initiation, une conception communautaire de l’existence, et un savoir collectif, ce que Teilhard de Chardin ou Edgar Morin nommaient la noosphère.


*Sociologue et professeur émérite à la Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France, Michel Maffesoli est l’auteur de nombreux ouvrages au Cerf, dont, récemment, L’Ère des soulèvements.
Michel Maffesoli a construit une oeuvre autour de la question du lien social communautaire, de la prévalence de l’imaginaire et de la vie quotidienne dans les sociétés contemporaines. Directeur de la revue Sociétés, il est également secrétaire général du Centre de recherche sur l’imaginaire et membre du comité scientifique de plusieurs revues internationales, notamment Social Movement Studies, Space and Culture et Sociologia Internationalis.
Michel Maffesoli a reçu le Grand Prix des Sciences humaines de l’Académie française en 1992 pour La transfiguration du politique. Il est vice-président de l’Institut international de Sociologie, fondé en 1893 par René Worms, et membre de l’Institut universitaire de France depuis septembre 2008, au terme d’une procédure de nomination très controversée.


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