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Au Liban, l’IECD veut redonner de l’espoir à une jeunesse en souffrance

Depuis 2018, après une petite dizaine d’années d’accalmie, le Liban est entré de nouveau dans la crise. Aujourd’hui, 70% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté. Pour inverser la tendance, et pour donner un avenir à la jeunesse libanaise en souffrance, l’Institut Européen de Coopération et de Développement offre gratuitement des formations qui touchent chaque année plus de 6 000 jeunes. Reportage avec Vianney Basse, son directeur pays, qui est un semeur d’espérance.

Entreprendre - Au Liban, l’IECD veut redonner de l’espoir à une jeunesse en souffrance

De notre envoyé spécial Antoine Bordier

Depuis 2018, après une petite dizaine d’années d’accalmie, le Liban est entré de nouveau dans la crise. Aujourd’hui, 70% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté. Pour inverser la tendance, et pour donner un avenir à la jeunesse libanaise en souffrance, l’Institut Européen de Coopération et de Développement offre gratuitement des formations qui touchent chaque année plus de 6 000 jeunes. Reportage avec Vianney Basse, son directeur pays, qui est un semeur d’espérance.

Ah, le Liban…Ce petit pays, aussi grand que la Gironde, a, toujours, été convoité, envahi, martyrisé. Il a été, également, aimé, adulé, presqu’adoré. Ce ne sont pas les académiciens, les ambassadeurs et les ministres de France qui diront le contraire. Ils sont des centaines à avoir aimé le Liban : de Montesquieu à Lamartine, en passant par Flaubert, Montalembert, Pierre Loti, Ernest Renan, et Georges Clémenceau. Il est vrai qu’entre 1920 et 1943 la France est mandatée pour gouverner cette terre où coule le lait et le miel qui descend des mille collines et du Mont Liban. Pays des cèdres, pays biblique, il est cité 69 fois dans les différents livres de l’ancien et du nouveau testament, qui forment la Bible. Joseph Kessel, Jean Guitton, Jean d’Ormesson, Alain Decaux, Jean-François Deniau et Hélène Carrère d’Encausse s’y rendent à leur tour.

L’ivresse du Levant les a tous attirés. Le Liban est à la mode au 19è siècle et jusqu’aux années 1975-1990. A cette période, il passe de la lumière à l’ombre et tombe dans les ténèbres, sous la convoitise de ses puissants voisins : la Syrie, Israël et l’Iran au premier plan, l’Arabie Saoudite et les Emirats au second plan. La France et les Etats-Unis en sont chassés, littéralement, en 1983. C’est la guerre fratricide entre les 18 confessions qui forment la mosaïque inédite et unique de ce pays. La jeunesse blessée et meurtrie est touchée en plein cœur. Les orphelins se multiplient au son des attentats, des déflagrations des tirs d’obus et des mitrailles. Les familles, en masse, quittent le pays et vont trouver un avenir meilleur, un refuge…ailleurs.

En France, à Paris, vers la fin de la guerre, Xavier Boutin créé l’IECD, le 8 janvier 1988. Il commence par des projets de formation professionnelle dans l’hôtellerie « en association avec le Centre Mar Semaan, une ONG qui a été lancée quelques années avant, en 1981 ». Xavier Boutin ne mettra les pieds au Liban, qu’à partir de 1993. Son intuition a été la bonne : « offrir à la jeunesse un ancrage, une formation-métier, et lui donner des raisons de se développer et de rester au pays ». Il est le premier semeur d’espérance de l’IECD au Liban.

Vianney Basse, un jeune directeur en mode start-up

Du centre-ville de Beyrouth, il faut une vingtaine de minutes en voiture pour rejoindre le QG de cet institut qui se niche dans les hauteurs, dans le quartier d’Hadath, plein sud, en direction de Baabda, là où se trouve le palais présidentiel. A l’arrivée, ce qui marque c’est l’atmosphère start-up. Dans leur petit immeuble de 4 étages (avec la terrasse ombragée) les couleurs, comme le mobilier, sont sobres. Il y a des bureaux ouverts et des bureaux fermées. La soixantaine de salariés qui y collaborent sont, pour la moitié d’entre-eux sur le terrain. Ils sont jeunes, la plupart libanais. Certains sont croisés dans les escaliers et les couloirs avec leur pc portable. D’autres ont choisi la terrasse ombragée d’où l’on peut apercevoir au loin les couleurs bleus de la Méditerranée. Le vent s’invite dans le reportage, ce qui rafraichit l’air alors que le thermomètre a dépassé les 30° C.

Le directeur de l’IECD au Liban est là dans son bureau. C’est un quinquagénaire heureux qui semble bien s’acclimater au pays. « Je suis arrivé au Liban, en mars 2021, après l’explosion du port. J’y ai déposé mes valises familiales et professionnelles. Cela fait un peu plus de deux ans et demi, maintenant. Je suis venu tout droit de Chine, de Shanghai. J’y ai vécu 3 ans, avec toute ma famille. Je dirigeais l’antenne chinoise d’un cabinet de chasseurs de tête et de conseils RH. J’ai géré des missions importantes en Europe et en Asie. »

Précis, le débit rapide, Vianney Basse fait davantage penser, effectivement, à un jeune dirigeant de start-up qu’à un directeur d’ONG. « L’esprit start-up ? Oui, il existe, et l’esprit d’innovation fait partie de notre ADN, mais nous avons, déjà, 35 ans d’existence. Tous les processus métiers, les offres de formation et notre plan de développement sont très professionnels. Je ne viens pas de l’univers de la formation, mais je l’ai apprivoisé. »

Le lien entre ses deux vies, entre la Chine et le Liban ? C’est le capital humain et les projets de formation. Sa femme et ses filles sont ravies de leur nouvelle vie. Vianney qui a une expérience de cadre-dirigeant, pendant une quinzaine d’années, semble comblé : « Vivre au Liban est parfois usant et frustrant, mais nous sommes heureux de vivre ici. Nous sommes heureux de donner un peu de temps au Liban, qui en a bien besoin. Sa jeunesse, diverse, dynamique et responsable, est formidable, malgré les épreuves. En réalité, avec toute l’équipe IECD, nous recevons de cette jeunesse bien davantage que ce que nous lui donnons. » Leçon d’humanité à 4 239 km de Paris et 11 579 km de…Shanghai.

L’IECD au Liban, c’est quoi ?

C’est, d’abord, la vision de responsables venant de l’enseignement et de responsables venant du monde de l’entreprise. Cette vision s’est alors muée, il y a 35 ans, en projets, puis en opérations. La vision c’est quoi ? « La formation technique est un bon moyen pour remettre dans la société des jeunes qui sont laissés sur le bord du chemin. Cela paraît, aujourd’hui, anodin. Surtout, vu de France où l’apprentissage a été très développé. Les fondateurs, pour le Liban et pour les autres pays où nous sommes présents, ont été avant-gardistes. »

Avant-gardistes ? Oui, que ce soit en Afrique, dans le bassin méditerranéen, dans l’océan Indien et en Asie, l’IECD est aujourd’hui présent dans une vingtaine de pays. Au Liban, les partenariats privés et publics fonctionnent à fond. Ils sont en pleine croissance. Et, ce qui est important, c’est qu’à la fin de leur formation, les jeunes aient un emploi. L’IECD est, ainsi, au service de la jeunesse et de l’emploi dans tous les domaines techniques, dans l’agriculture, dans la santé, dans l’environnement, dans les énergies. « Nous pourrions, également, rajouter les métiers de la distribution d’énergie, de l’éolien, etc. »

Au Liban, l’IECD opère dans tout le pays et s’enrichit de la diversité géographique et confessionnelle de ses collaborateurs. L’organisation a des antennes dans le nord, à Tripoli, dans la vallée de la Bekaa –, à Saïda (Sidon)– à Tyr et à Beyrouth. Vianney travaille en équipe avec un comité de direction, comprenant les responsables de projets et ceux des départements support (Audit, Communication, Comptabilité, Finance, RH).

Des formations phares

Parmi le bouquet de formations courtes et longues, professionnelles et universitaires, que l’IECD a mis en place dans tout le pays, avec ses partenaires institutionnels, il faut noter les formations qui cartonnent dans les métiers des énergies renouvelables (avec l’énergie solaire et l’efficacité énergétique), de l’aide à la personne âgée, de la climatisation, de la couture, de l’électricité, de la menuiserie traditionnelle et de la peinture. Ces formations, après les explosions du port de Beyrouth, en août 2020, ont vu le nombre de candidats exploser, qu’il s’agisse de Libanais ou de réfugiés syriens. Il en est de même dans le secteur des soins infirmiers. Les formations en réanimation d’urgence, en médecine chirurgicale, en pédiatrie et en soins palliatifs ont cru de façon significative. Concernant les formations longues, il s’agit des formations aux baccalauréats en électrotechnique, en maintenance industrielle et en informatique. « Nos objectifs sont d’identifier les tendances du marché et les secteurs qui recrutent avec nos partenaires. Nous sommes très liés au marché de l’emploi. A partir de là, nous mettons en place des formations, explique Vianney. »

En tout, l’IECD propose au Liban une douzaine de formations, avec une quarantaine d’écoles et d’associations partenaires locales. En plus, il est gestionnaire du centre de formation national libanais aux métiers techniques.  

Des partenaires avec un P majuscule

Parmi ses partenaires, et c’est là, d’ailleurs, sa plus grande force : savoir s’entourer, il faut noter des partenaires opérationnels comme Salar International, Injaz Lebanon, Farah Social Foundation, Himaya, la Croix Rouge, et des fondations, comme celle de René Moawad, celle de Michel Daher, la Lebanon Reforestation Initiative, Key of life et Tabitha. Du côté des entreprises, l’institut s’est entouré de Schneider Electric, d’Indevco, de MMG, de Nexans/Liban Cables, de Wilo, de Saint-Gobain, d’Amaleen (les cafés et restaurants), de L’Oréal et d’autres entreprises. Parmi les institutions, l’institut ne pouvait opérer sans obtenir leur partenariat, notamment, ceux des ministères de l’Education nationale, des Affaires sociales, de l’Energie et de la Santé. Pour boucler son budget de 6,5 millions d’euros, l’IECD fait appel au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, à des agences de développement (AFD française, coopération italienne, coopération monégasque) et de l’ONU, ainsi qu’à des fondations privées et d’entreprises. « En 2023, notre financement, ajoute Vianney, sera équilibré entre le financement d’origine publique (les agences de l’ONU, les ministères, l’AFD, l’agence italienne, etc.) et le financement d’origine privé. »

E comme Entrepreneuriat

L’IECD a compris, également, que les Libanais étaient des commerçants, des techniciens et des entrepreneurs hors-pair. «Nous soutenons des entrepreneurs qui sont en difficulté et d’autres qui souhaitent grandir. Ces formations concernent plus de 300 personnes. Nous avons, aussi, des formations pour accompagner des agriculteurs, et des codeurs dans la création des futures start-ups de l’IT. Nous avons des formations dans le coding. Et, là nous touchons plus de 200 jeunes. »

Et demain ?

En 2010, afin de s’implanter un peu plus dans le paysage libanais, l’IECD fonde Semeurs d’avenir, une structure associative 100% libanaise, qui est chargée d’opérer toutes les activités de l’institut. Et, les projets ne manquent pas. Depuis son arrivé, l’IECD-Liban a doublé de taille en deux ans. Vianney renforce les opérations et leur pérennité en consacrant, avec son équipe, le tiers de son temps à la recherche de financement. Ensuite, il manage au quotidien l’institut qui comprend 110 collaborateurs. Il se rend toutes les semaines sur le terrain et visite tous les deux mois les cinq bureaux disséminés à travers tout le pays.

Ses dernières idées ? Elles comprennent les installations de projets éoliens et solaires. La croissance verte pour le Liban ? Il y croit à fond. « C’est vraiment la solution pour le Liban qui est obligé, maison par maison, quartier par quartier, entreprise par entreprise, d’utiliser des générateurs, car l’électricité publique du Liban fait défaut. L’éolien et le solaire sont l’avenir au Liban. » Il y a trois mois, il signait un accord qui renforçait le partenariat avec le ministre des Affaires sociales, Hector Hajjar. « Le ministère a des centres de formation dans tout le pays. Ces centres sont la dernière bouée de sauvetage pour une jeunesse touchée par la misère. Notre rôle est de mettre en place dans ces centres des formations. »

Dans quelques jours, l’IECD signera un accord dans le domaine de la santé avec le ministère de la Santé pour accélérer la formation des infirmiers. D’autres projets ? « Oui, nous venons de remporter en consortium un appel d’offres pour équiper 60 écoles du réseau AEFE en panneaux solaires. Nous ne fournissons pas les panneaux, mais nous formons les jeunes qui vont les installer. C’est l’avenir… »

A l’IECD, 35 ans après, la vision de Xavier Boutin s’est diffusée dans tout le Liban. Elle était bonne. Elle a dévalé les hauteurs, et a profité des vents ascendants et descendants. Le vent souffle où il veut. Avec Vianney Basse et toute son équipe les semeurs d’avenir se sont multipliés, eux-mêmes égrainés. A leur tour, ils sont devenus des semeurs d’espérance. Et, au Liban, les semences, les jeunes poussent grandissent vite. Malgré les dorures du soleil, elles restent vertes et plantent leurs racines bien profondément dans la terre du Levant. Comme le cèdre, elles font, maintenant, partie du paysage, de ce pays aux milles collines et aux deux montagnes. Ce Liban que l’on appelait jadis le pays de Canaan, la Phénicie. Le pays du Mont Liban.

Pour en savoir plus : www.iecd.org/    

Reportage réalisé par Antoine BORDIER


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