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Les vérités de Patrick Poivre d’Arvor

Tom Benoit et Patrick Poivre d'Arvor

L’ancien journaliste star Patrick Poivre d’Arvor s’est entretenu avec Tom Benoit, directeur de la rédaction de Géostratégie magazine à propos du conflit ukrainien, de la position géopolitique des États-Unis et de l’avenir de la société occidentale. En plus de sa carrière journalistique, Patrick Poivre d’Arvor a publié une soixantaine d’ouvrages. Dans cet entretien exclusif, il aborde également les chefs d’État qu’il a rencontrés au cours de plus de quarante années de carrière active.

Tom Benoit : Vous avez animé il y a quelques années une émission de géopolitique – juste après la période du JT de TF1. Vous avez connu les années d’hyperpuissance américaine, les années de gloire du bloc soviétique, puis ensuite, le retour à des rapports plus fluides qu’ils ne l’étaient entre les USA et la Russie. La décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine en février 2022 vous a-t-elle surpris ? Ou bien l’avez-vous accueillie comme la conséquence logique de rapports dégradés entre l’Occident et la Russie…

PPDA : Je ne pense pas avoir été surpris. Il se trouve que c’est un sujet que je connais bien – du moins que j’ai beaucoup étudié depuis mon adolescence, puisque, outre Sciences Po et des cours de droit, j’ai appris les langues orientales.

Vous avez étudié le Russe…

Le Russe. Également le Polonais, qui était d’ailleurs un peu plus compliqué – et puis aussi le serbo-croate. Ce qui m’a conduit à être diplômé de serbo-croate, à ma grande surprise (sourire). Effectivement, dans la population russe, j’ai toujours noté une nostalgie de l’Empire – nous dirons parfois du Saint-Empire -, mais en tout cas d’une puissance russe que le peuple estime dégradée.

Il s’agirait plutôt d’une nostalgie de l’URSS victorieuse ou de l’Empire tsariste ?

J’ai tendance à penser que cela fait référence à l’Empire tsariste. On voit que les Russes en veulent particulièrement à Gorbatchev. Un peu aussi à Eltsine. Surtout à Gorbatchev, qui leur semble avoir bradé cette immense puissance de la Russie.

Beaucoup de Russes condamnent Eltsine surtout pour son incompétence.

Exact ! Notons qu’au début, son alcoolisme ne lui était pas spécialement reproché.

C’est une dépendance très répandue en Russie, qui est partiellement à l’origine de cette fameuse espérance de vie très basse.

Absolument. D’autre part, Eltsine n’était pas à la hauteur de ses fonctions. Je l’ai rencontré quelques fois ; à deux reprises pour des interviews. Je n’étais pas face à un géant. Gorbatchev, que j’ai rencontré, était bien plus… stratosphérique.

Avez-vous des souvenirs de Vladimir Poutine, à la fin des années 90, profitant de la fragilité de Boris Eltsine ?

Oui. A cette époque-là, nous parlions régulièrement du maire de Saint-Pétersbourg dont il était proche. Sobtchak a été entravé dans son ascension. On disait que Poutine s’appuyait sur ce personnage local.

L’Ukraine ne fait pas encore partie de l’OTAN ; elle n’est pas encore intégrée dans l’Union européenne. Que pensez-vous du soutien – vraisemblablement indéfectible – de l’Occident à l’Ukraine ?

De tout temps, la diplomatie française a eu un tropisme prorusse. Évidemment, je me suis beaucoup posé cette question. Il y a encore quelques années, il n’était pas absurde de dire que la nation ukrainienne n’existait pas totalement ; elle est une construction relativement récente. La stupidité de Vladimir Poutine a par ailleurs été de créer ce sentiment ukrainien.

…d’avoir conforté la citoyenneté ukrainienne.

En se lançant dans une guerre moyenâgeuse qui suscite un rejet catégorique de la part des opinions occidentales à cause de sa brutalité. Ce type de guerre n’existe plus. Aller ainsi chercher un territoire est totalement arriéré. L’Ukraine a d’ores et déjà emporté la partie émotionnelle de ce conflit.

Avec un président de la République, Volodymyr Zelensky, qui endosse parfaitement le costume de héros tragique de son temps.

Il a été courageux lors des premiers bombardements de Kiev, en ne quittant ni sa ville ni son pays. L’Ukraine avait besoin d’une incarnation : elle l’a effectivement trouvée en la personne de Volodymyr Zelensky, qui se démarque de ses prédécesseurs.

Le positionnement de la Chine est toujours très ambigu. Je paraphraserais Pompidou citant lui-même un poème : « Comprenne qui voudra… ». La Chine cache-t-elle son soutien à la Russie pour ne pas entraver son équilibre et la prospérité de son commerce ?

Les dirigeants chinois ont toujours été très opaques, davantage même que Poutine n’a pu l’être lorsqu’il ne dévoilait pas clairement ses intentions d’envahir l’Ukraine. N’oublions pas que le véritable ennemi pour les Chinois n’est pas la Russie, mais les USA. Ils sont convaincus qu’un affrontement interviendra avant 2050.

Il est envisageable que les États-Unis demeurent la grande puissance militaire de ce monde. Le budget de défense américain équivaut aujourd’hui à 39 % du budget de défense mondial.

…Mais qu’en revanche la Chine assoit son hégémonie en matière de commerce. C’est une facilité que de dire que la Chine détient en ce secteur une avance considérable.

Avez-vous déjà rencontré le président Emmanuel Macron ?

Oui.

Son positionnement sur la question ukrainienne…

Je crois qu’il a été quelque peu naïf, au début de l’invasion. De la même manière, souvenez-vous, qu’il le fut lorsqu’il a pensé qu’il pouvait faire changer Donald Trump avec une bonne poignée de main et un regard droit dans les yeux. Emmanuel Macron est incontestablement fort sur le plan de la séduction et dispose d’une profonde agilité intellectuelle. Pour autant, penser que l’on peut faire changer des roc de cette manière-là relève de la naïveté. Donc, lorsqu’il a espéré, ce qui était bien, un dialogue avec Poutine pour éviter la guerre.

C’est de la diplomatie

Absolument. Aujourd’hui, la position d’Emmanuel Macron a évolué. Pas seulement la sienne. Même le Rassemblement National, qui a longtemps entretenu une relation de proximité avec la Russie, s’en est détaché.

Dans votre toute jeunesse, vous aviez été opposé au Général de Gaulle.

Pas exactement. À un moment précis, lorsque le général de Gaulle, que je considère comme une figure tutélaire, a montré une légère obstination à rester au pouvoir, j’ai pensé qu’il fallait que le pays se rajeunisse. Giscard est parvenue à moderniser, libéraliser… ce pays. La figure du général reste tutélaire et magnifique.

Giscard pouvait se targuer de rendre une France intacte…

Exactement. Il n’y avait pas de dette. Aujourd’hui, la dette publique est un gros problème pour la France.

Elle caresse les trois mille milliards. Nous parlions de la Russie précédemment ; celle-ci a un très faible endettement.

Effectivement.

Lorsque nous avons signé le Traité de Maastricht, nous nous étions engagés à ne pas atteindre un tel niveau d’endettement, sous peine de devoir sortir de l’Union.

Personne n’en parle. Alors que la situation est purement suicidaire.

Qu’adviendra-t-il du monde de Bretton Woods, du dollar, du pétrole…

J’ai toujours pensé que les civilisations avançaient par cycles. L’époque de la consommation démesurée touche à sa fin. Beaucoup de jeunes soutiennent ce changement, et les politiques suivent à présent.

C’est-à-dire que certains jeunes prônent le minimalisme et que les politiques imposent l’austérité. Il y a quelque chose à trouver entre les deux.

Regardez les incohérences qu’il y a eu à propos du nucléaire. Il y a seulement dix ans, nous signons une sorte d’accord de circonstance entre les socialistes et les écologistes… pour éviter que la part du nucléaire ne monte suffisamment – et aujourd’hui, nous sommes tous là à tirer la langue, soulagés d’avoir passé un hiver sans avoir besoin d’éteindre nos radiateurs.

Pour cet hiver, sur le plan énergétique, nous avons pu puiser dans les réserves de gaz que nous avions rechargées. Une fois que nous les aurons épuisées, ce sera plus compliqué. Parallèlement, nous avons pris énormément de retard dans le nucléaire. Il fallait investir dans les Petits Réacteurs Modulaires. Notre démarche a été d’une consternante immaturité.

Je le pense comme vous. Jamais je n’aurais imaginé que les délais sur les EPR soient autant allongés. Effectivement, les petites centrales sont plus adaptées.

Compatibles avec les techniques de gestion de la sécurité passive également.

C’est dommage d’avoir pris ce retard. Les Français étaient vraiment en pointe dans le nucléaire.

Les personnes qui incarnent les courants souverainistes regrettent la mort de l’économie libérale. Êtes-vous souverainiste ?

Je le suis peut-être un peu à la manière de Philippe Séguin qui avait une voix forte. Mais être souverainiste à la manière de personnes qui ont toujours combattu le général de Gaulle et qui aujourd’hui…

Vous voulez dire, des gens s’étant revendiqués de la gauche et qui sont quasiment de droite aujourd’hui ?

Oui bien sûr, ou même des gens d’extrême droite qui ont détesté le général de Gaulle et qui aujourd’hui s’estiment souverainistes. Je pense qu’il faut qu’il y ait une souveraineté des nations. Parce que l’identité est très importante

La sécurité également, le sens de la responsabilité… Tout ce que l’on prône aujourd’hui pour l’Ukraine, mais plus difficilement pour la…

Pour la France. Effectivement.

Donc, vous êtes pour une Europe des nations.

Il y avait des gens très intelligents, comme Jacques Delors, qui osaient envisager plusieurs vitesses pour l’Europe.

J’appelle régulièrement les dirigeants à étudier trois zones géostratégiques en Europe. Cela faciliterait les stratégies de défense, et les politiques économiques. L’économie de la Croatie ne peut pas être classée au même rang que l’économie française.

C’est évident.

L’ingérence américaine dans les affaires européennes est-elle aujourd’hui plus marquée que dans les années 90 ou 2000 ?

Oui, je le considère. Notamment parce qu’elle est encore plus subtile qu’elle ne l’était auparavant, en s’exerçant en grande partie avec les Gafam.

Les Gafam sont les nouvelles hyperpuissances…

Totalement. De ce point de vue, l’Amérique est encore très puissante.

L’ambition, la vilenie, l’amour ; tous ces sentiments étaient incarnés par une littérature qui vous a inspiré. Ils étaient également incarnés par le cinéma et la télévision durant le 20e siècle. Aujourd’hui, ce sont les Gafam ou les réseaux sociaux qui incarnent les sentiments de passions…?

PPDA : Peut-être pas. Plutôt Netflix, qui a remplacé le cinéma… « Peut-être » seulement…
Un personnage vous a-t-il particulièrement interpellé au cours de votre carrière ?

J’avais été assez impressionné par Deng Xiaoping. Comme beaucoup de gens de ma génération, j’avais été séduit par Tony Blair et Bill Clinton – que j’associe un peu ici. Ils étaient des machines à séduire. Puis j’ai été assez favorablement impressionné par un homme que j’ai interviewé, et qui n’avait pas en France une superbe réputation ; Ronald Reagan. Il a laissé une Amérique assez propre. Bien sûr, il y a aussi le Dalaï Lama que j’ai rencontré de nombreuses fois et que j’admire beaucoup.

Propos recueillis par Tom Benoit


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