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Le Président de la République d’Artaskh, Arayik Haratiounian, en France pour la Paix

Copyright des photos A. Bordier

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Après une petite semaine en France, Arayik Haratiounian est reparti avec sa hotte de père Noël remplie à ras-bord, ou presque. Avec son bâton de pèlerin, il a sillonné la France du Nord au Sud. Il a rencontré les principaux responsables politiques, hormis les ministres du gouvernement et le Président Macron. Il est vrai que la République d’Artsakh n’est pas reconnue internationalement. Ce qui pose problème.

Eclairage 360° sur une république sortie exsangue, en 2020, de la guerre de 44 jours, face à l’Azerbaïdjan, son voisin, qui ne rêve que d’une chose : la faire disparaître. Et l’Arménie avec.

Il est arrivé, le 5 décembre, avec une petite délégation de Stepanakert, la capitale de la République du Haut-Karabakh, la République d’Artsakh. Située en territoire azéri, à une dizaine de kilomètres de la frontière arménienne, cette région est une terre arménienne depuis plus de 2000 ans. Elle serait même, selon certains historiens, le berceau de l’identité arménienne. Du 3è au 1er siècle avant Jésus-Christ, elle appartient, comme toute l’Azerbaïdjan, qui n’existera qu’à partir de 1918, au Royaume d’Arménie de Tigrane le Grand, de la dynastie Artaxias. Ce royaume est gigantesque, il s’étend de la Méditerranée (le Liban en fait partie) à la mer Noire, au nord, et, à la mer Caspienne, à l’est. A l’ouest, il est bordé par l’Empire romain, par la Cappadoce. Il représente entre 10 à 12 fois la taille actuelle de la République d’Arménie. Au fil des ans, au fil des siècles, la géopolitique des conflits est entrée en jeu aux dépends de l’Arménie.

Le peuple arménien existerait depuis le 6è ou 7è siècle avant Jésus-Christ. Les premières traces remonteraient à l’âge de bronze. Son territoire a été envahi successivement par les Romains, les Perses, les Byzantins, les Arabes, les Mongols, les Ottomans et les Russes, puis, les Soviétiques. Ces-derniers jouent un double-jeu : celui d’être aussi leur protecteur. Après le Royaume d’Arménie de Tigrane, sa conversion au christianisme en 301 (ou 311, en fonction des historiens), l’Arménie ne cessera d’être envahie et son territoire réduit. Elle perdra à plusieurs reprises sa souveraineté, mais, jamais, sa foi, son identité, ses racines. Ce sont ses trésors.

Entre le croissant, le marteau et l’enclume

Il faut attendre 1917, la Première Guerre mondiale, l’effondrement de la Russie et les défaites ottomanes pour que la première République d’Arménie soit proclamée. Mais cette liberté et souveraineté recouvrées sont de très courte durée. En 1915, a commencé le génocide perpétré par l’Empire ottoman contre les Arméniens. Et, en 1920, choisissant la protection soviétique à l’invasion ottomane, génocidaire, l’Arménie devient la République soviétique d’Arménie. Les rêves d’indépendance partent en fumée. Pire, en 1921, le Haut-Karabakh est spolié par Staline qui le confie à l’Azerbaïdjan. Il divise pour mieux régner. Les deux républiques soviétiques formant, avec la Géorgie, la République fédérative soviétique de Transcaucasie.

Il faut attendre la glasnost et la perestroïka, les temps de libéralisation de la vie publique, économique et politique, orchestrés par Mikhaïl Gorbatchev dès 1985-1986, la chute du mur de Berlin en 1989, et la chute de l’URSS, pour que l’Arménie retrouve son indépendance le 21 septembre 1991.

Le 2 septembre, c’est le Haut-Karabakh qui avait déclaré la sienne. L’Azerbaïdjan refuse, déclenchant, avec l’appui de la Turquie, des pogroms dans tout le pays contre les minorités arméniennes, notamment à Bakou. Les deux pays entrent en guerre. L’Arménie en sort victorieuse en 1994. La région du Haut-Karabakh lui est rattachée. En 2016, l’Azerbaïdjan tente, lors de la guerre de 4 jours, de reprendre la main. Elle échoue, une nouvelle fois. En 2017, le Haut-Karabakh change de nom et devient la République d’Artsakh. En 2020, l’Azerbaïdjan déclenche une nouvelle guerre de 44 jours. Cette fois-ci, avec la manne de ses ressources naturelles en gaz et en pétrole, mieux armée, aidée par Israël, la Turquie et des troupes djihadistes de Syrie, elle gagne facilement cette guerre et récupère plus de 70% du territoire du Haut-Karabakh.

Un enfant devenu banquier et député

C’est, dans cette géographie difficile, avec cette histoire tragique, qui a fait plusieurs milliers de morts, sans oublier les 1,5 million du génocide, au milieu de pays hostiles, que naît en 1973 le petit Arayik. Il est un enfant de Stepanakert, la capitale où vivent aujourd’hui 50% des 120 000 Artsakhiotes. Il a grandi dans une culture soviétique et chrétienne, car il est apostolique. Il aime les mathématiques et s’oriente, à la fin de ses études, vers les métiers de la finance. Il devient directeur de banque, puis, il s’intéresse au marché de l’or. C’est l’une des richesses du Haut-Karabakh, qui possède des ressources minières aurifères. C’est ce qu’avait compris, également, l’Azerbaïdjan en mettant la main sur la plus grande partie de ses trésors.

Passionné par la politique, il se présente aux élections législatives de 2005 et devient député. Très vite, il est reconnu pour ses talents d’analyste, de visionnaire et de responsable. Il est nommé Premier ministre en 2007. Lors de l’élection présidentielle du 31 mars 2020, il devient Président de la République d’Artsakh. Il est élu, démocratiquement, avec 88% des voix. C’est un score énorme.

6 mois après, il vivait la guerre de 44 jours. Le pasteur René Léonian le connait bien. Ils collaborent ensemble sur des projets humanitaires. Pendant la guerre de 2020, en octobre, le pasteur était en Arménie. Puis, il l’a revu en mars 2021, à Stepanakert. « La guerre a été pour lui un choc. Il ne s’y attendait pas. Il s’attendait à des provocations, mais pas à une telle guerre. Et, surtout, il ne s’attendait pas à la défaite… », pense le pasteur.

Sur le terrain, dans les ruines de ce qu’il reste de la République d’Artsakh, Arayik Haratiounian a travaillé pour assurer le retour des 70 000 réfugiés. Avec son équipe, les ONG et la diaspora, il leur assure un logement, un emploi et la sécurité. Face au silence du monde, la survie de l’Artsakh est due essentiellement au rôle joué par la Russie. Avec ses plus ou moins 2 000 casques bleus, elle assure la sécurité. Pour le pasteur, qui est, de nouveau, en Arménie, « l’Artsakh, ce qu’il reste du Haut-Karabakh, est en danger. D’où l’importance de la venue du Président en France pour obtenir son soutien. Il faut que des pays comme la France reconnaissent la République d’Artsakh ».

Le pèlerin artsakhiote ou la visite d’un chef d’Etat

Avec son bâton de pèlerin et sa casquette de chef d’Etat -un Etat qui n’a même pas été reconnu par l’Arménie, car le risque existe bel et bien pour elle d’être à son tour envahie par l’Azerbaïdjan- le président a sillonné la France du nord au sud à la recherche de soutiens de poids. Il a commencé par obtenir ceux de la région Ile-de-France et de Valérie Pécresse, sa présidente. Puis, il a rencontré les présidents des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat. Devant eux, il a déclaré : « Les résolutions adoptées par le Sénat Français et l’Assemblée nationale concernant l’Artsakh constituent une bonne base pour un règlement global et permanent du conflit entre l’Artsakh et l’Azerbaïdjan. Respecter le droit du peuple de l’Artsakh à l’autodétermination et reconnaître les résultats de l’avancement de ce droit est le seul moyen de régler le conflit, qui garantisse le niveau approprié de droits et de sécurité du peuple d’Artsakh ».

A Paris, il a rencontré différents médias lors d’une conférence de presse organisée le 7. Et, il s’est rendu le soir à la Maison de la Chimie pour rencontrer des acteurs et responsables de la diaspora. A cette soirée, il était entouré de Maroud Papazian et de Ara Toranian, les co-présidents de CCAF, l’équivalent du CRIF.

Bienvenue !

Dans une déclaration commune, ils ont souhaité la bienvenue au nom de toute la diaspora arménienne et artsakhiote de France (qui représente entre 500 et 700 000 français d’origine arménienne).

Nous en reproduisons quelques extraits : « Tous les territoires ancestraux des Arméniens ne sont pas encore passés sous la botte turque, tous n’ont pas encore été le théâtre d’un génocide, tous n’ont pas vu leurs habitants être « chassés comme des chiens », tous n’ont pas vu leur patrimoine historique annihilé, leurs pierres tombales détruites ou leurs églises profanées. Deux entités ont, en effet, survécu miraculeusement au cataclysme panturc déclenché au début du siècle dernier : la République d’Arménie, reconnue internationalement depuis son accession à l’indépendance en 1991, mais toujours menacée dans son existence. Et celle du Haut-Karabakh, non bénéficiaire du même statut juridique du fait de la guerre d’occupation que lui a imposée la République d’Azerbaïdjan qui entend pérenniser les 70 ans de tutelle dictatoriale voulue et mise en place par Staline sur ce territoire durant l’époque soviétique. Si les violences abominables qui résultent de cette situation ne permettent hélas pas à la République du Haut-Karabakh d’être un havre de paix depuis qu’elle a arraché son indépendance de fait, elle n’en demeure pas moins un espace de liberté, d’égalité et de fraternité pour ses habitants… »

Puis, les deux hommes concluaient : « De Paris à Marseille, de l’Île-de-France à la région Sud en passant par l’Auvergne-Rhône-Alpes, du Sénat à l’Assemblée nationale où il sera reçu, [il] incarnera donc non seulement la résistance arménienne, mais aussi un combat qui dépasse le strict cadre d’une nation en danger. Dirigeant politique d’un peuple qui lutte à un contre trente pour sa survie, cent ans après le crime des crimes, il représente le symbole parfait de tous les combats pour la dignité humaine et la liberté. C’est pourquoi le CCAF aura l’honneur de l’accueillir et de l’accompagner lors de toutes les escales de sa tournée dans la patrie des droits de l’Homme. »

Fin de non-recevoir au plus haut niveau de l’Etat

Après Paris, Lyon et Marseille, ses rencontres avec une partie de la diaspora locale, le Président de la République d’Artsakh n’a pas pu rencontrer Emmanuel Macron. Certes, il a rencontré des présidents : Valérie Pécresse, Martine Vassal, Laurent Wauquiez et Renaud Muselier. Mais pas le Président de la République française.

L’Elysée reste muet sur le sujet. C’est pourtant un sujet qui devrait concerner le palais, à plusieurs titres. D’abord, parce qu’il est le gardien de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Emmanuel Macron devrait favoriser, lui qui est un farouche partisan de « l’émancipation », le processus de reconnaissance internationale. Ensuite, parce qu’il existe une amitié franco-arménienne millénaire. Cette amitié concerne, bien évidemment, le Haut-Karabakh. Enfin, parce qu’au nom de la Francophonie, le sujet est d’actualité. A Stepanakert, il existe le Centre de la Francophonie Paul Eluard. Il existait, également, une école professionnelle, à Chouchi, Yesnig Mozian, qui a dû fermer ses portes en raison de la prise de la ville par les Azéris en 2020. Elle a réouvert, récemment, à Stepanakert, grâce au gouvernement et au Fonds Arménien de France. Cette école forme aux métiers dans le secteur du bâtiment. Le savoir-faire français y est enseigné. Une raison de plus d’aider un des plus vieux amis de la France. Non ?

Des raisons d’espérer pour la paix ?

De retour en Artsakh, quel bilan faire ? En face, quand on écoute Ilham Aliev, le dirigeant azéri, on craint le pire. Il profite, actuellement, de la faiblesse de la Russie, qui s’embourbe en Ukraine, pour avancer ses pions, bombarder l’Arménie et menacer le Haut-Karabakh d’une invasion totale et définitive. L’objectif ? Réaliser la jonction avec la Turquie, au nom du panturquisme, cette idéologie ultra-nationaliste qui vise à relier tous les pays turcophones entre-eux, quoiqu’il en coûte, et, même s’il faut passer par une nouvelle guerre de plus grande ampleur et un nettoyage ethnique.

En effet, depuis, le 13 septembre 2022, l’Azerbaïdjan bombarde l’intérieur des frontières de l’Arménie, dans le silence européen et international des nations presque total. Il a fallu plus d’un mois pour que le sujet soit abordé, comme il se doit, par Emmanuel Macron et une poignée des dirigeants. Mais, ils en parlent, encore, du bout des lèvres. Ils ne veulent pas fâcher leur fournisseur de gaz…

A ce rythme-là et malgré les tournées internationales du Président Arayik Haratiounian et du Premier ministre Nikol Pachinian, qui, lui aussi, avait pris son bâton de pèlerin, lors du 18è Sommet de la Francophonie, l’Azerbaïdjan pourrait très bien envahir en même temps et l’Arménie et l’Artsakh.

Qui pourrait s’opposer à un tel scénario catastrophe ? Les conséquences ? Des dizaines de milliers de morts et de blessés, des centaines de milliers de réfugiés, et, peut-être, une Troisième Guerre mondiale.

Tel un pèlerin Arayik Haratiounian est venu avec son bâton de la paix, pour…la paix. C’est son seul message. Espérons qu’il soit entendu au plus haut niveau de l’Etat.

Reportage-témoignage réalisé par Antoine Bordier


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