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Gabriel Attal : les vraies convictions du nouveau Premier ministre

Le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, reste encore méconnu. En juin 2018, il accordait une longue interview à l'Evenement Magazine dans laquelle il livrait sa vision de la politique. Un document qui en dit beaucoup sur le plus jeune Premier ministre jamais nommé en France.

Le nouveau Premier ministre Gabriel Attal lors de la cérémonie de passation des pouvoirs dans la cour de l'hôtel Matignon (Photo Lionel Urman/ABACAPRESS.COM)

Pour de nombreux observateurs de la vie politique, le jeune député des Hauts-de-Seine (il n’a que 29 ans) obtiendra un poste de ministre ou de secrétaire d’État d’ici la fin du quinquennat Macron. Présent dans tous les médias en raison de sa fonction de porte-parole de La République En Marche, ce véritable « soldat » du macronisme impressionne par ses qualités d’orateur et de débatteur. Il peut aussi irriter par son côté « premier de la classe » ayant réponse à tout. Entretien avec cette figure prometteuse de la République de Macron à qui on promet un bel avenir s’il évite les pièges et les coups bas.

Quel bilan tirez-vous de la première année à l’Elysée du Président Macron ?

Gabriel Attal : Le bilan, on le fera dans 5 ans. Mais 1 an après l’élection, il est légitime de faire un point d’étape sur la dynamique engagée. Ce qui me frappe le plus ? La rapidité avec laquelle Emmanuel Macron a sorti la France du fatalisme. La crédibilité de la parole publique a été restaurée : le coup du programme de campagne zappé sitôt l’élection passée, c’est fini. Nous tenons scrupuleusement les engagements pris devant les Français. La légitimité démocratique est le plus formidable carburant pour agir. Il faut remonter à l’après-guerre pour observer de telles transformations dans un temps si court. 

Que répondez-vous à ceux qui affirment que le Président Macron est « le Président des riches ou des très riches » ?

Gabriel Attal : C’est la grosse ficelle que nos oppositions ont trouvée. Qu’elles soient de gauche, de droite ou des extrêmes, elles s’y accrochent avec d’autant plus de force qu’elles partagent un même bilan : 9 millions de pauvres dont des millions d’enfants, et 3 millions de chômeurs. Il y a une vraie indécence à oser donner des leçons après n’avoir montré qu’impuissance et reniements ces 30 dernières années. La réalité, c’est que nous avons changé de paradigme, parce que nous considérons que la France souffre davantage d’inégalités de destins que d’inégalités de revenus. Et que c’est en réglant les premières que les secondes s’effaceront. C’est à cela que nous nous attaquons, en doublant le nombre de profs en CP et en CE1 dans les territoires difficiles, en créant des emplois francs, en instaurant une police du sécurité du quotidien, c’est à ceux qui ont le moins que l’on s’adresse. 

Est-ce que trop de réformes en un temps record ne finit pas par engendrer une politique peu lisible par l’opinion publique ?

Gabriel Attal : Si les Français n’attendaient pas que ça bouge, Emmanuel Macron ne serait pas Président de la République et je ne serais pas en train de répondre à cette interview car ils ne lui auraient pas donné de majorité. L’enjeu n’est pas de « réformer » – des réformes, il y en a eu ces dernières décennies – mais de « transformer », c’est à dire s’attaquer à la racine des problèmes et poursuivre des objectifs clairs. C’est ce que nous faisons : nous nous attaquons à tous les blocages qui isolent et assignent à résidence, pour permettre à chacun de s’émanciper, d’évoluer dans son travail, de bouger sur le territoire. 

Estimez-vous que Laurent Wauquiez puisse réduire l’influence électorale du Front National ?

Gabriel Attal : La seule influence que Laurent Wauquiez s’est montré capable de réduire à ce stade, c’est celle des Républicains dans le débat public. Il se lève le matin en se demandant comment justifier de s’opposer à notre action pragmatique, et se couche le soir en ayant appauvri le débat public. Ça n’est pas qu’un problème pour son Parti, c’en est aussi un pour la démocratie qui a besoin de partis républicains qui se tiennent debout, prêts à être force de proposition. 

Comment jugez vous les méthodes et les propositions de la France insoumise ? 

Gabriel Attal : Des propositions ? Quelles propositions ? Depuis 1 an, nous n’avons reçu de leur part qu‘invectives, obstructions et caricatures sur chacun des textes de lois examinés. Brandir un pot de sauce tomate ou porter un maillot de foot dans l’hémicycle, c’est bien. Nous dire comment ils remettraient en route notre économie s’ils étaient en situation de gouverner, ce serait mieux. Il m’est arrivé plusieurs fois de croiser des gens qui m’ont dit : « On a voté pour Mélenchon, mais heureusement qu’il n’a pas gagné. Vous au moins vous travaillez ». Tout est dit. 

Pensez-vous que La République En Marche s’adresse suffisamment à l’électorat populaire et avec quels projets précis ?

Gabriel Attal : L’enjeu, ça n’est pas de « s’adresser » à l’électorat populaire. Des incantations, des belles promesses, ils en ont eu beaucoup et depuis longtemps. L’enjeu c’est d’agir. Je redis que quand on met le paquet sur l’éducation dans les quartiers difficiles, quand on transforme la formation professionnelle qui bénéficie 10 fois plus aux cadres supérieurs qu’aux ouvriers et employés qui en ont pourtant 10 fois plus besoin, quand on valorise financièrement le travail en supprimant les cotisations salariales, on ne « s’adresse pas » aux milieux populaires : on agit pour changer leur destin. 

Est-ce que le groupe La République En Marche ne manque pas encore de professionnalisme ?

Gabriel Attal : Si par « professionnalisme » vous entendez formatage politicien, je vous confirme que notre groupe en manque et c’est tant mieux ! Ce dont la France avait besoin, c’est d’une Assemblée nationale à son image, à la hauteur de ses talents et de la diversité de ses parcours. Il y a 1 an, les députés qui sont assis à côté de moi dans l’hémicycle étaient patron de PME, sapeur-pompier, pilote de ligne, DRH d’un grand groupe, opératrice en call center… J’étais pour ma part déjà engagé en politique. Ce que nous nous apportons mutuellement est d’une richesse incroyable. L’Assemblée nationale n’a jamais autant travaillé et, surtout , ne s’est jamais autant appuyée sur le terrain pour agir. 

En tant que porte-parole de LREM, jouissez-vous d’une véritable liberté d’expression ou n’êtes-vous pas condamné à la langue de bois ? 

Gabriel Attal : Christophe Castaner m’a choisi pour devenir le porte-parole de La République en Marche. La confiance qui nous lie est absolue et me donne une très grande liberté. Je crois montrer dans mes interventions et interviews que la langue de bois, ça n’est pas trop mon truc…

Que préconisez-vous en matière de politique d’immigration et pensez-vous que le gouvernement est efficace dans ce domaine ?

Gabriel Attal : Les flux migratoires ne se décrètent pas, ne se refusent pas, ils sont là. Conflits au Moyen-Orient, ouverture des frontières, libéralisation des échanges et, bien sûr, changements climatiques. La question est : comment s’organise la France, pays aux valeurs de tolérance et d’ouverture historiques mais qui n’a pas développé une réelle politique d’accueil et d’intégration ? Jusqu’à aujourd’hui, notre pays a montré sa capacité à échouer à tous les niveaux : les personnes qui n’ont pas vocation à rester sur notre territoire sont condamnées à l’errance et celles qui sont accueillies ne sont pas intégrées. 

Gabriel Attal : La loi que nous avons adoptée le 22 avril donne à la France les moyens de devenir une véritable terre d’asile, pour ceux qui fuient la guerre et la persécution, en développant l’orientation professionnelle, l’accompagnement et l’apprentissage du Français des réfugiés. Elle fixe un cadre clair pour ceux qui sont déboutés de l’asile, parce qu’il est profondément hypocrite de faire croire que nous pouvons accueillir tout le monde. Ma conviction, c’est que ce sujet ne pourra trouver une vraie réponse qu’au niveau européen : en développant une véritable solidarité entre les pays membres dans l’accueil des étrangers et en luttant résolument contre le changement climatique, à l’origine de plus en plus de migrations. Sur ces deux chantiers, le Président de la République agit avec une détermination totale. 

Estimez-vous que l’islam a du mal à s’adapter aux lois de la république et que préconisez-vous dans ce domaine ? 

Gabriel Attal : Comme toutes les religions, l’islam a sa place dans la République et comme toutes les religions, nous lui demandons d’en respecter les règles. Si j’ai rejoint Emmanuel Macron, c’est notamment pour sa capacité à aborder la laïcité de façon dépassionnée et de ne jamais céder aux postures et au rejet de l’autre, à l’hystérisation. La loi de 1905 est d’une clarté absolue : elle garantit la liberté de chacun de pouvoir exercer son culte, dans le respect du cadre républicain. L’écrasante majorité des musulmans s’inscrit dans ce cadre, et je comprends leur lassitude à devoir en permanence se justifier du fait des salafistes, des extrémistes et des prêcheurs de haine qui, eux, ne le respectent pas. Pour ces derniers, la main de la République ne doit pas trembler et nous démontrons depuis 1 an notre détermination en la matière. 

Qu’est-ce qui va et qu’est-ce qui ne va pas dans l’audiovisuel public, un secteur qui vous intéresse particulièrement puisque vous êtes membre d’un groupe de parlementaires réfléchissant sur ce domaine ?

Gabriel Attal : Avec le digital, les usages ont totalement changé. Si notre audiovisuel public ne s’y adapte pas pleinement, les Français ne consentiront plus à le financer. Le montant de la redevance revient, mensuellement, à ce que coûte un abonnement à Netflix. Un jeune sait qu’en s’abonnant à Netflix, il a accès à un service qui, au delà de la qualité des contenus, lui donne la maîtrise du temps et de l’espace dans leur consommation. Force est de constater qu’il n’a pas les mêmes garanties aujourd’hui dans l’audiovisuel public. Il faut créer un champion de l’audiovisuel public dans le digital en direction des jeunes. Il faut construire un vrai média global des territoires, de l’info de proximité, en faisant travailler ensemble les talents de France 3 et de France Bleu. Il faut être plus efficace dans la dépense et garantir davantage de recettes aux sociétés publiques. C’est sur ce chemin que nous avançons. 

La France est-elle menacée par un antisémitisme de plus en plus violent et quel message pouvez-vous adressez aux citoyens français juifs qui ont peur ?

Gabriel Attal : Il y a bientôt un an, Emmanuel Macron évoquait un antisémitisme « réinventé ». Cette année encore ce fléau a frappé de la plus horrible des manières avec la dégradation de la tombe d’Ilan Halimi et plus récemment l’assassinat de Mireille Knoll. Aucun crime antisémite ne sera toléré en France et tout auteur sera poursuivi et sévèrement puni. Il faut aussi prévenir : par l’éducation, et par une meilleure responsabilisation des plateformes sur le web. Le Premier ministre a annoncé un plan en ce sens. Aux juifs de France qui ont peur, je veux dire l’intransigeance et la détermination de l’État à les protéger. 

Regrettez-vous votre phrase sur « la gréviculture » et pourquoi avoir utilisé ce terme ?

Je la regrette d’autant moins que je sais dans quel contexte elle a été prononcée : un journaliste me demandait s’il fallait revenir sur le droit de grève. J’ai répondu qu’il n’en était pas question, parce que ce droit constitutionnel a permis des avancées sociales majeures et reste un outil de lutte contre l’injustice, comme l’ont récemment montré les salariés de Whirlpool. En revanche – et je l’assume – j’estime que certains syndicats sont enferrés dans une culture de l’affrontement dont la stérilité nuit au dialogue social.

Quels souvenirs gardez-vous des années passées au PS et au sein d’un cabinet ministériel ?

Je viens de la gauche, une gauche réformiste et progressiste en prise avec les réalités d’une France au cœur de la mondialisation. J’ai quitté le Parti socialiste car il n’a pas su s’adapter aux changements du XXIème siècle : transition numérique, changement climatique, lutte contre le terrorisme ou encore redéfinition des flux migratoires. Je garde de cette expérience le développement d’un esprit critique, une capacité à défendre des positions de bon sens face à la logique contestataire de certains militants côtoyés au sein de ce parti, et bien sûr, de belles rencontres ! Mes cinq années passées au côté de Marisol Touraine au ministère de la Santé ont par ailleurs forgé ma connaissance de l’appareil d’État  avec ses forces comme ses faiblesses. Depuis l’autre côté de la séparation des pouvoirs, cette expérience de l’intérieur est particulièrement utile ! 

Pour terminer et comme nous le faisons avec chacun de nos invités politiques, si vous deviez définir en quelques mots le principal trait de caractère de ces personnalités politiques, que diriez-vous ?

Emmanuel Macron : déterminé, disruptif
Edouard Philippe : loyal, ambitieux  
Laurent Wauquiez : duplice, menteur 
Marine Le Pen : dangereuse, inconstante 
Olivier Faure : inaudible, sympa
Jean-Luc Mélenchon : éloquent, irresponsable 
François Ruffin : surprenant, capricieux
Nicolas Dupont-Aignan : constant, pas crédible 
Olivier Besancenot : fatigué, fatiguant 
François Hollande : honnête homme, frustré

Propos recueillis par René Chiche / Juin 2018


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