Je m'abonne

Entre l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh, une guerre qui n’en finit pas

Photo A Bordier

Afficher le sommaire Masquer le sommaire

Ils se sont donné rendez-vous à Yerablur, le cimetière militaire d’Erevan, la capitale de l’Arménie, où, en novembre 2020, 4 000 nouvelles tombes avaient été creusées. Là, Sevak Manoukian et la famille de Gore se recueillent devant la tombe de ce jeune soldat-volontaire mort au combat. La guerre de l’Azerbaïdjan démarre le 27 septembre 2020. Elle va durer 44 jours. Eclairage mortifère sur cette guerre sans fin, qui a repris le 19 septembre dernier et qui s’est muée en ethnocide sous le regard des démocraties médusées, ou complices ?

La grand-mère, le frère et la petite nièce de Gore Hambartsoumyan sont là. Sevak Manoukian le répète sans cesse, en entourant la famille de son camarade de combat : « J’aurais dû partir à sa place. Il était marié et il avait un garçon… J’aurais dû partir à sa place… » Les sanglots sont trop forts, ils ponctuent sa phrase. Sevak regarde autour de lui. Il aperçoit le mont Ararat, au loin, entouré de sa couronne de nuages blancs, qui s’assombrissent au fil des longues minutes. Ces-dernières deviennent pesantes. Difficile d’être-là, à côté de ces gens qui ont perdu un membre de leur famille dans d’atroces conditions.

Ils ont mis deux ans, avant d’accepter que les os identifiés soient les siens. La puissance de feu du drone qui s’est abattue sur lui a dû être terrible. Une véritable boucherie cette guerre, à laquelle les Arméniens d’Arménie et ceux du Haut-Karabakh n’étaient pas préparés. Une guerre technologique à haute-intensité du côté de l’Azerbaïdjan, alliée à la Turquie (deuxième arme de l’OTAN), au Pakistan, avec le soutien de djihadistes syrien envoyé par leur patron turc, contre une défense traditionnelle, dépassée, du côté des Arméniens.

La maman de Gore est venue avec son portrait qu’elle pose à même la tombe, qui ressemble à une fosse recouverte d’une dalle bétonnée. Elle est toute simple, épurée, sans couronne et sans marbre. Sa maman est digne et forte. Elle ne pleure pas. Elle pose un bouquet de roses dans un vase prévu à cet effet. Le frère de Gore, Arsen, allume des rondelles de charbon et faire brûler de l’encens. La fumée s’élève comme une prière, parfumant les environs. Sa petite nièce, Liana, ajoute un sourire d’innocence à cet instant de recueillement douloureux. Un rayon de soleil perce les nuages qui s’épaississent. Et vient éclairer le portrait du jeune soldat. Il est beau ce portrait. Le vent se lève. Les drapeaux entourant chaque tombe du cimetière militaire se mettent en mouvement, comme s’il s’agissait d’une parade orchestrée par le vent. Certains claquent. La famille et Sevak se signent et prient pendant que l’encens continue à monter vers le ciel. Le temps est suspendu…

Le 27 septembre 2020

Dans la voiture qui nous emmène au domicile de la famille, Sevak raconte : « Je suis arrivé la veille, le 26 septembre, en Arménie. J’étais venu, en tant, qu’ingénieur-oenologue, accompagner les premières vendanges dans la région d’Areni. Et, le lendemain, j’ai appris la mauvaise nouvelle. Je me suis, alors, engagé comme volontaire. » Ce 27 septembre 2020, Ilham Aliev surprend tout le monde ou presque, car les Russes savaient, les Etats-Unis, également. La France d’Emmanuel Macron semble surprise. Pourtant, tous ont vu ces milliers de mercenaires, des terroristes pour la plupart, venant de Syrie, être recrutés par la Turquie et rejoindre les rangs des soldats azéris qui se sont amassés, prêts à bondir, le long de la frontière avec le Haut-Karabakh.

Troisième exportateur d’armes au monde, la France n’a pas d’état d’âme à livrer des armes au dictateur Aliev. Lui, a les moyens de payer. Si la manne pétrolière s’étiole, la rente gazière est en croissance rapide. Elle coule à flot. Mais, ce sont, surtout, Israël et la Turquie qui ont musclé l’appareil militaire azéri. La Turquie a équipé l’Azerbaïdjan de ses drones Bayraktar TB2, qui enfoncent toutes les positions militaires en détruisant les défenses anti-aériennes. L’Azerbaïdjan s’est, également, dotée d’armes à sous-munitions qui font des ravages et des bombes au phosphore blanc qui font pleuvoir la mort sur Stepanakert et ses environs.

Les Arméniens sont surpris de cette intensité, et dès ce premier jour de guerre, les experts voient poindre à l’horizon la défaite arménienne. Du côté du gouvernement, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, annonce officiellement que « l’Azerbaïdjan a déclaré la guerre » à l’Arménie. Il décrète la mobilisation générale et instaure la loi martiale. C’est l’escalade.  Le président Ilham Aliev décrète à son tour la loi martiale et déclare : « L’armée azerbaïdjanaise combat aujourd’hui sur son territoire, défend son intégrité territoriale, porte des coups dévastateurs à l’ennemi. Notre cause est juste et nous allons vaincre ».

De leurs côtés, Gore et Sevak, comme des milliers de volontaires arméniens vont rejoindre au début du mois d’octobre les rangs des militaires. Ils se rendent en convoi sur la ligne de front.

Quelques jours plus tard, alors que les troupes du dictateur-autocrate Aliev avancent et que l’Arménie perd du terrain, les présidents Poutine, Macron et Trump appellent le 1er octobre dans un communiqué commun à « la cessation immédiate des hostilités ». Il faudra attendre le 10 novembre pour que la guerre cesse.

Un conflit commencé en… 1921

Il faudrait même remonter avant selon l’historien Maxime Yevadian : « Oui, c’est vrai. Il faudrait remonter à l’époque du génocide. Avant le génocide, le Haut-Karabakh est sous-tutelle tsariste avec une large autonomie. Au 19è siècle, en 1828, quand le pouvoir tsariste s’installe dans cette région, après sa conquête sur l’Iran, les Arméniens ont joué un rôle important : ils ont participé à cette reconquête. Le tsar Nicolas Ier met, alors, en place une province arménienne. Mais le Haut-Karabakh ne fait pas partie de cette province. Il fait partie de celle de la Caspienne. Au moment du génocide de 1915 et après l’effondrement de 1917, les 500 000 soldats russes qui étaient présents dans cette région se retirent. L’Arménie, avec ses 32 000 soldats, doit se défendre seule face à l’armée ottomane. En 1918, la dernière offensive d’ampleur des troupes allemande et ottomane a pour objectif la mainmise sur le pétrole de Bakou. Son échec précipita la défaite des empires centraux. Au moment du traité de l’armée ottomane, les Arméniens de la plaine du Karabakh sont alors victimes de massacres. Il ne reste plus que les Arméniens du Haut-Karabakh qui sont, ensuite, intégrés fin 1918 à la République d’Arménie, constituée le 28 mai 1918. Le 30 octobre 1918, lors de l’armistice de Moudros, l’empire ottoman vaincu signe sa reddition et reconnait l’existence de la République d’Arménie, qui comprend, alors, le Haut-Karabakh. Dans les années 1920-1921, les cartes géopolitiques de la région du Caucase sont, une nouvelle fois, rebattues. Les pouvoirs kémaliste et soviétique se rapprochent l’un de l’autre, aux dépends de l’Arménie. Deux mouvements parallèles s’observent : un mouvement de soutien et de renforcement de l’état azerbaïdjanais juste créé en 1918, et un mouvement de démantèlement de l’Arménie. L’objectif est double : pour les kémalistes, il s’agit d’assurer leur expansion future définie par leur idéologie panturquiste, et du côté bolchévique, il y a la volonté d’utiliser son nouvel allié pour la diffusion du communisme dans les pays musulmans. De plus, localement les bolcheviques souhaitent assurer l’approvisionnement du pétrole de Bakou. »

L’histoire se répète-t-elle ?

En 1921, Staline arbitre et attribue toute la zone du Haut-Karabakh (jusqu’à l’Araxe) à l’Azerbaïdjan, qui dans les années qui suivent, selon un découpage administratif opportuniste va réduire l’assise territoriale de la région autonome (oblast) du Haut-Karabakh, jusqu’à effacer toute continuité territoriale avec l’Arménie. Le 2 septembre 1991, le Haut-Karabakh proclame son indépendance de l’URSS, comme de l’Azerbaïdjan, en prenant le nom de République du Haut-Karabakh. Ce processus est conforme à la loi sur les sécessions du 3 avril 1990 qui définit les conditions de sécession de l’URSS. Par référendum, cet État non reconnu prend le nom de République d’Artsakh le 20 février 2017.

De fait, jusqu’à ce jour, jamais un état azéri indépendant n’a eu en son sein le Haut-Karabakh. Les 4 guerres azéries contre les Arméniens du Haut-Karabakh, les deux agressions contre la République d’Arménie et la politique du fait accompli et du nettoyage ethnique ne changera rien à cette réalité.

« Force est de constater, ajoute Maxime Yevadian, que les Turcs et leur allié azéri poursuivent depuis plus d’un siècle une politique expansionniste dont les Arméniens sont les victimes immédiates mais dont les Européens ne resteraient pas indemnes si aucun frein ne lui était appliqué. »

Un siècle plus tard, l’histoire et ses tragédies se répètent… toujours aux dépends des Arméniens. Le monde des démocraties est bancal et penche du côté des… dictatures. Qui rétablira la balance : Churchill, de Gaulle ?

Une guerre de 44 jours et la suite…

En 2020, cette nouvelle guerre se termine le 9 novembre, par une défaite de l’Arménie et du Haut-Karabakh, de la République d’Artsakh. Un cessez-le-feu est signé le lendemain. Les troupes d’Ilham Aliev s’arrêtent à Chouchi, la capitale culturelle arménienne, à quelques kilomètres au sud de la capitale de l’Artsakh, Stepanakert.

Le 12 décembre 2022, poursuivant avec la Turquie leur projet de panturquisme, l’Azerbaïdjan décide d’affamer toute la population du Haut-Karabakh, en bloquant le corridor de Latchine, la seule route d’accès qui la relie à l’extérieur. Les 120 000 Arméniens sont pris au piège.

Le mardi 19 septembre 2023, Ilham Aliev lance sa dernière offensive militaire contre les 70% restants de l’ancienne région autonome du Haut-Karabakh. L’histoire va de répétition en répétition, avec des variantes liées aux technologies qui se sont invitées sur le champ de bataille. Elle est funeste et mortifère, barbare et ténébreuse. Le monde des démocraties, de l’ONU, de la France, de l’Union Européenne et du Vatican, réagit du bout des lèvres en renvoyant dos-à-dos les 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh terrés dans leurs caves et les troupes assoiffées de sang d’Aliev. En 24h00, la messe est dite ou presque. Les morts et les blessés approcheraient le chiffre de 1 000, du côté des Arméniens. Avec des femmes violées, des enfants abattus, des adultes assassinés et de nombreux disparus.

Le dimanche 24 septembre Aliev décide de rouvrir le corridor de Latchine. Un ethnocide est en cours, avec l’exil de plus de 15 000 réfugiés dénombrés. L’Arménie serait prête à « accueillir 40 000 familles » sur son sol encore souverain, selon le Premier ministre Nikol Pachinian. Les associations, elles, à Goris, sont, déjà, débordées.

Et, demain ? Le sud de l’Arménie pourrait faire l’objet, très prochainement, d’une attaque-éclair turco-azérie, afin d’ouvrir le corridor du Zanguezour. Ce qui permettrait de relier les deux pays, qui réaliseraient, ainsi, leur grand rêve panturquiste. Que ferait, alors, la Russie ? Rien ? Et les démocraties ? De son côté, l’Iran entrerait, à son tour, en guerre. Cette-dernière s’étendrait, par conséquent, à tout le Caucase, et au-delà. On se rapprocherait, malheureusement, vers une Troisième Guerre mondiale… La dernière ?

De notre envoyé spécial Antoine BORDIER


Vous aimez ? Partagez !


Entreprendre est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Offre spéciale Entreprendre

15% de réduction sur votre abonnement

Découvrez nos formules d'abonnement en version Papier & Digital pour retrouver le meilleur d'Entreprendre :

Le premier magazine des entrepreneurs depuis 1984

Une rédaction indépendante

Les secrets de réussite des meilleurs entrepreneurs

Profitez de cette offre exclusive

Je m'abonne