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Diplomatie : à quoi joue Emmanuel Macron ?

Photo Jacques Witt/Pool/ABACAPRESS.COM

Par Henri de Grossouvre*

À l’initiative du président français, un « sommet pour un nouveau pacte financier mondial » a eu lieu à Paris les 22 et 23 juin derniers pour réformer la finance mondiale, avec les pays du Sud, en répondant aux enjeux du réchauffement climatique mais sans mettre de côté la lutte contre la pauvreté. La visibilité et les commentaires n’ont pas été à la hauteur des enjeux d’un sommet ayant rassemblé 40 chefs d’État et de gouvernement et 120 délégations d’États et d’organisations internationales. Au-delà des décisions concrètes sur lesquelles nous reviendrons, l’ambition était de « poser les fondements d’un nouveau Bretton Woods » (Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies) et ce sommet, à cet égard, est certainement le signe du début d’une nouvelle ère, voire d’un nouvel ordre mondial. L’enjeu n’est rien de moins pour les pays occidentaux que d’accompagner une nécessaire réforme susceptible de se faire sinon sans nous.

En 1944, seulement 44 pays signent les accords de Bretton-Woods et dessinent le système financier international avec la Banque Mondiale et le FMI. Aujourd’hui, 190 pays en sont membres, la plupart n’existaient pas en 1944. En novembre 2022, lors du sommet du G20 en Indonésie, le président Macron annonce la tenue du sommet de Paris, situé juste avant plusieurs échéances clés : le G20 en Inde, les réunions de la Banque mondiale et du FMI en octobre à Marrakech et la COP28 à la fin de l’année aux Émirats arabes unis. Le sommet des 22 et 23 juin souligne la responsabilité des pays du Nord vis-à-vis des pays du Sud et se demande comment mobiliser plus de ressources publiques avec des institutions obsolètes et lentes, tout en donnant un rôle indispensable aux acteurs privés. Cette conférence s’inscrit dans la lignée de l’initiative de Bridgetown, mais ses objectifs vont au-delà de la question climatique, comme l’accès à la santé et la lutte contre la pauvreté, sous forme de « nouveau contrat entre le Nord et le Sud » (Catherine Colonna), afin que « jamais aucun décideur, aucun pays ne doive avoir à choisir entre la réduction de la pauvreté et la protection de la planète » (E. Macron, 22 juin, discours d’ouverture).

Les principaux organisateurs, avec la France, sont l’Inde et la Barbade. Mia Mottley, premier ministre de la Barbade, porte depuis la COP26 une initiative de financement de l’action pour le climat, la crise climatique touchant plus particulièrement les pays du Sud global et les États insulaires : « l’initiative de Bridgetown », lancée en septembre 2022 pour un soutien financier plus important aux pays pauvres avec le transfert de 100 milliards de dollars par les États membres de l’ONU sous forme de « droits de tirage spéciaux » pour financer les programmes de résilience des pays en développement face aux crises climatiques, mesure dont il a été question au « sommet de Macron ».

Le « Sud global » était bien et largement représenté, alors que le G7 n’était représenté que par deux chefs d’État, Macron et Scholz. Les États-Unis étaient représentés par la secrétaire d’État au Trésor, Janet Yellen, et le Japon par son ministre des Affaires étrangères. Le représentant chinois, Li Qiang, Premier ministre, arrivait d’ailleurs de Berlin où venait d’avoir lieu le 7e cycle de consultations sino-allemandes. Ces deux visites représentaient son premier déplacement à l’étranger depuis sa prise de fonction en mars ! MBS, Premier ministre depuis septembre 2022 et prince héritier d’Arabie saoudite, a participé, aux côtés notamment d’Ursula von der Leyen, Charles Michel, Ali Bongo (Gabon), Macky Sall (Sénégal), Denis Sassou Nguesso (Congo), Patrice Talon (Bénin), du président cubain et du président du Nigéria, ainsi que de dirigeants du secteur privé comme Lionel Zinsou, Thierry Déau (Meridiam), Thomas Buberl (Axa Group) ou Jay Collins (Citygroup).

L’implication du secteur privé est primordiale, le principal levier sur la finance est fiscal et les États, contrairement aux entreprises, ne produisent pas de richesses. Il est donc indispensable de responsabiliser les entreprises pour résoudre les crises nationales, comme le propose par exemple Seth David Radwell1, chef d’entreprise et essayiste new-yorkais avec qui je me suis entretenu lors de son récent passage à Paris. Les interventions du nouveau président de la Banque Mondiale, Ajay Bang, américain d’origine indienne, ont été particulièrement remarquées et appréciées tant par les représentants des pays occidentaux que par ceux des pays émergents ou en développement.

Il y a eu de nombreuses mesures concrètes en faveur notamment du Ghana, de la Zambie, de la Côte d’Ivoire… mais d’une manière générale, on peut dire que le sommet a permis de :

  • Développer une vision renouvelée et ambitieuse des banques multilatérales de développement pour intégrer la préservation des biens publics mondiaux (santé, climat) sans pénaliser la lutte contre la pauvreté.
  • Engager des pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, les États-Unis et le Canada à insérer dans leurs prêts des clauses de suspension en cas de catastrophe climatique.
  • Faciliter des discussions ouvertes permettant d’avancer sur la possibilité d’une taxe internationale sur l’émission du carbone, notamment pour les compagnies de transport, afin d’aider les pays à faibles revenus.

Cela dit, au-delà de mesures de court terme utiles et nécessaires, l’enjeu global est celui d’un nouvel ordre international dont les grandes tendances ont été accélérées par les dernières crises : financière en 2008, sanitaire en 2020 et 2021, et guerre en Ukraine depuis février 2022. Les discussions des nombreux événements parallèles du sommet de Paris avec des représentants d’ONG, de think tanks, d’experts et de dirigeants du privé ont souvent été riches d’enseignements. J’ai organisé une soirée avec Nicolas Buchoud, un des coordinateurs du T20, les think tanks du G20, et une délégation internationale composée notamment de dirigeants de l’Institut indien RIS, de Fourth Sector (Washington), de l’agence allemande de coopération GIZ pour évoquer le sommet de Paris et les priorités du sommet du G20 de New Delhi au mois de septembre prochain.

Face à la rivalité sino-américaine, les Indiens jouent habilement un rôle clé en discutant avec toutes les parties prenantes. Nous nous devons de mettre en perspective le sommet de Paris avec celui de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS) tenu le 4 juillet à New Delhi. Il y a également été question de réorganisation du système financier mondial et aussi de dédollarisation, avec de nombreux participants au sommet de Paris, mais cette fois, sans les Occidentaux. Aux côtés des membres actuels de l’OCS, Chine, Inde, Russie, Pakistan, les quatre pays d’Asie centrale ont accueilli comme membre permanent la République islamique d’Iran. Le Premier ministre indien Modi, d’ailleurs présent aux côtés du président Macron à Paris pour le défilé du 14 juillet, a déclaré que l’OCS serait aussi importante que l’ONU. Cela me rappelle une confidence de mon voisin de table, membre de la délégation indienne à Paris, la veille du sommet : « Vous avez raison d’accompagner la transformation du système financier international. Si vous ne le faites pas, elle se fera sans vous ! ».

L’écart entre les discours aux accents gaulliens et la déclinaison opérationnelle de la politique étrangère du président Macron est parfois important et pose des problèmes de lisibilité. En revanche, la séquence autonomie stratégique européenne, accords franco-chinois au retour de la visite du président français en Chine, demande de participation au sommet des BRICS, sommet de Paris sur la finance, et relation privilégiée avec l’Inde me semble au contraire cohérente et prometteuse. Rendez-vous pour la phase 2 du sommet à Paris dans deux ans.

*Henri de Grossouvre
Henri de Grossouvre est essayiste. Auteur de plusieurs ouvrages traitant de géopolitique, il est par ailleurs l’un des fils de François de Grossouvre, ce très proche conseiller de François Mitterrand.


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