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Davy Dao : « Acheter un jean made in France est un acte militant »

Entreprendre - Davy Dao : « Acheter un jean made in France est un acte militant »

L’entrepreneur nancéien de 35 ans a lancé la marque Dao il y a dix ans. Davy Dao est aujourd’hui l’une des figures de proue du jean « made in France ».

Une fois son bac en poche, Davy Dao a travaillé durant six ans en boutique en tant que vendeur pour des marques de jean. À 25 ans, en 2012, il décide d’entreprendre et de réaliser son rêve en lançant Dao à Nancy. « J’ai eu la chance de savoir très tôt ce que je voulais faire dans la vie. Dès l’âge de 12-13 ans, je savais que je voulais créer des choses. Plus tard, j’ai su que je voulais créer des vêtements et des jeans. Ce rêve d’ado ne m’a jamais quitté. »

Dix ans plus tard, Dao s’est imposé dans le paysage du jean fabriqué en France. Depuis son site de production de 500 m² à Nancy, l’entreprise produit entre 400 et 600 pièces par mois. Davy Dao vise 1,2 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année et espère multiplier par deux la production d’ici 2024 pour soutenir la croissance de la demande.

Vous êtes devenu entrepreneur à 25 ans. Quel a été le déclic ?

Davy Dao : Il est intervenu lors de mon expatriation d’un an au Vietnam. Étant totalement autodidacte, j’ai appris le métier au contact des « ateliers du monde » vietnamiens. Je suis passé d’atelier en atelier. En travaillant dans ces ateliers, j’ai réalisé que les choses n’allaient pas dans le bon sens. Selon moi, le bon sens est de fabriquer soi-même ses produits.

Durant votre expérience au Vietnam, un élément en particulier a-t-il déclenché votre prise de conscience ?

Au Vietnam, j’étais au contact de tous les types de sous-traitants. Il y a trois strates de sous-traitants. Les premiers sont des entreprises qui ont pignon sur rue. Elles travaillent avec les grandes marques à l’export comme Levi’s ou Zara. Ces entreprises sous-traitent à d’autres sous-traitants qui eux-mêmes sous-traitent. Au troisième échelon, vous êtes sous-traitant du sous-traitant. C’est ce qu’il y a de pire pour une entreprise. Vous travaillez pour un sous-traitant pressurisé par les sociétés qui ont pignon sur rue. Du coup, ils font n’importe quoi.

C’est-à-dire ?

Cela concerne surtout les femmes et les enfants. Je l’ai vu de mes propres yeux. J’ai également ressenti la chaleur étouffante de ces ateliers, les machines à repasser qui chauffent… J’ai vu des gens attablés 8 à 10 heures par jour sur des machines à coudre.

Et puis, j’ai eu une révélation. J’ai refusé de faire comme toutes ces grandes marques. J’avais une autre histoire à raconter. J’ai arrêté mon apprentissage au Vietnam. Dès lors, la seule chose que je pouvais faire, c’était de lancer mon entreprise.

Avec quels moyens avez-vous lancé Dao en 2012 ?

Grâce à l’expérience accumulée au Vietnam, j’ai pu fabriquer moi-même mes propres jeans. J’ai commencé dans mon appartement d’étudiant de 21 m², et j’ai parcouru toute la France pour pouvoir récupérer des machines, qui sont les vestiges du passé industriel français.

Etiez-vous confiant quant à la réussite du projet ?

Nous possèdons à peu près huit pantalons dans nos armoires. Je suis parti du principe que si j’arrivais à vendre un pantalon à chaque personne et à éviter qu’ils achètent des produits fabriqués en Asie, ce serait déjà une première victoire.

Vous avez créé une marque « made in France » dans un secteur dominé par les productions à grande échelle en Asie. Quel fut le plus grand défi auquel vous avez été confronté durant le lancement de Dao ?

La première difficulté fut de gagner la confiance de la filière et des tisseurs français situés dans les Alpes et les Vosges. Au début de l’aventure, je ne parvenais pas à me fournir en tissu en France. En 2012, le « made in France » n’était pas encore entré dans les mœurs. J’ai donc dû démarrer avec des tisseurs espagnols et japonais.

Le deuxième écueil fut pédagogique. Il fallait absolument démonter les préjugés sur la fabrication française. Un peu à l’image de ce qu’a subi le secteur automobile français à une époque. Les mêmes critiques revenaient : les voitures françaises ne sont pas très belles, pas très fiables… De mon côté, il a fallu plusieurs années de pédagogie et de bouche-à-oreille. Petit à petit, la filière a compris que j’étais sérieux et que mon ambition était de faire de beaux produits.

Quel était le profil de vos premiers clients ?

Nos clients étaient exclusivement composés de militants. Ils y croyaient. Et au-delà du look, ils voulaient des produits fabriqués de manière responsable.

Votre combat pour imposer le jean « made in France » est-il gagné ?

On en est encore très loin. D’après les dernières statistiques, les produits textile fabriqués en France représentent 2 et 3% de la consommation globale. La marge de progression est immense. Mais ce n’est pas gagné. Dans le secteur du jean français, beaucoup de confrères sont en train de trouver leur équilibre. En dix ans, nous ne pouvons pas inverser la vapeur et corriger un processus de désindustrialisation datant des années 70-80.

Qu’aimeriez-vous dire aux consommateurs adeptes des grandes enseignes de prêt-à-porter et de la « fast fashion » ?

Il ne faut pas leur jeter la pierre. Il faut leur montrer qu’un autre modèle est possible, et les convaincre en faisant de la mode responsable, des produits désirables et de qualité. Cela demande de la pédagogie, une excellente direction artistique et des prix adaptés.

Du point de vue du consommateur, le revers de la médaille des produits fabriqués en France est le prix. Comment appréhendez-vous cette réalité ? Peut-elle évoluer ?

La démocratisation de la fabrication française est nécessaire. Des marques de grandes enseignes arrivent aujourd’hui à sortir des produits « made in France » aux alentours de 70-80 euros, ce qui me semble relativement accessible.

Il est certain que nous ne pourrons jamais rivaliser avec H&M et Zara qui proposent des produits à 20 ou 30 euros. Etant donné notre positionnement milieu-haut de gamme, nous sommes en concurrence avec des marques comme Levi’s, G-Star ou APC.

Le combat face à ces géants semble démesuré…

Il faut faire preuve de pédagogie vis-à-vis de la clientèle. Cela dépend toujours de ce que recherchent les clients. Certains ne regardent que le prix. Sur cette clientèle-là, nous aurons du mal à lutter. En dessous de 60-70 euros, il me paraît impossible d’avoir un produit fabriqué en France qui tienne la route. Je ne sais pas faire des produits à 60 euros.

D’autres clients veulent se payer un jean Dao pour des raisons très précises, comme l’histoire de la marque, l’engagement… En 2023, acheter un jean Dao made in France à 140 euros, fabriquée par une marque bien implantée dans l’écosystème « made in France » mais inconnue en dehors, est encore un acte militant.

Se lancer sur le créneau du jean fabriqué en France aujourd’hui est-il aussi risqué qu’à votre époque ?

Même s’il est moins risqué qu’il y a dix ans, fabriquer du jean « made in France » reste encore un pari. Nous avons l’antériorité, des clients et une surface financière, mais l’équilibre est encore à construire.

Lorsqu’on voit Camaieu et Cop.Copine mettre la clé sous la porte, ou Kaporal en redressement, il y a de quoi être inquiet pour le textile… Certaines niches comme la notre s’en sortent mieux, mais c’est encore fragile. Il faudra patienter une bonne décennie avant de disposer d’un outil industriel complet pour faire du jean en France et arriver à l’équilibre.

Quels sont les leviers pour rendre le « made in France » plus accessible ?

Le paiement en plusieurs fois pour alléger le budget des clients est l’une des manières de démocratiser la fabrication française. Nous avons aussi développé une offre seconde main à partir de jeans récupérés auprès de nos clients.

Vous proposez également des jeans en lin. Ce lin est-il 100 % français ?

La culture et le tissage sont réalisés en France, mais pas la filature qui est effectuée à l’étranger (Pologne et Italie, Ndlr). C’est la dernière étape qui nous manque pour avoir du lin 100 % français. Nous allons pour objectif de refiler en France en 2024. Lorsqu’on a lancé le jean en lin en 2018, il n’existait rien en France pour le fabriquer. On a créé cette référence. Depuis 2018, deux ou trois filateurs se sont lancés.

Comment s’organise votre réseau de distribution ?

Une bonne partie de nos produits sont vendus sur notre site. Nous vendons également dans notre boutique à Nancy et chez nos 27 revendeurs disséminés un peu partout en France.

Où se situe Dao par rapport à la concurrence sur le secteur du jean « made in France » ?

C’est un petit milieu. Nous sommes 6 ou 7 fabricants de jeans. Tous n’ont pas forcément du lin dans leurs jeans. Sur le jean « made in France », Dao est troisième derrière 1083 et Atelier Tuffery. Sur le lin, nous sommes en concurrence avec Le Gaulois Jeans et Sème.

Quelle sont vos objectifs pour les cinq prochaines années ?

J’aimerais qu’on intègre un nouveau bâtiment pour la fabrication et qu’on ouvre un magasin d’atelier à Nancy. L’objectif est d’atteindre 60 points de vente en France avec une implantation directe à Paris.

Et à l’export ?

J’ai une sensibilité particulière pour l’export. J’aimerais que le chiffre d’affaires de Dao ne soit pas exclusivement réalisé en France. On a déjà commencé à prospecter dans certains pays. On va franchir le pas cet hiver. Nos produits seront distribués dans plusieurs boutiques en Allemagne.

Pourquoi l’Allemagne ?

A Nancy, nous sommes plus proche de Stuttgart que de Paris  L’Allemagne est le premier marché européen. En 2022, il s’est vendu 70 millions de jeans en France et 100 millions en Allemagne. Certains chefs d’entreprise veulent aller tout de suite aux États-Unis ou au Japon, mais je préfère rester pragmatique.


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