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Dans le Haut-Karabakh, que vaut la vie de 120 000 Arméniens ?

Entreprendre - Dans le Haut-Karabakh, que vaut la vie de 120 000 Arméniens ?

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier, auteur de Arthur, le petit prince d’Arménie (éd. Sigest)

Voilà déjà 4 jours, qu’ils ont dû quitter sous les bombes leur logement pour se réfugier dans la cave. Certains sont restés sur le bitume, des taches de sang auréolant leur silhouette devenue macabre. Deux jours après, à New-York, le Conseil de Sécurité se réunissait sur la question du Haut-Karabakh. En Azerbaïdjan, dans la tanière du loup, agresseur et victime parlaient de… paix le lendemain de l’agression. Aujourd’hui, les soldats azéris continuent leurs crimes de guerre contre l’humanité. Reportage dans les coulisses de la barbarie.

« Nous n’en pouvons plus, s’exprime Gayané, une mère de famille de 4 enfants. Mon mari est parti à la guerre, défendre la terre de nos ancêtres. Notre logement a été soufflé mardi, lors de la première pluie de missiles. Heureusement nous n’avons pas été blessé. Seules les vitres de notre balcon ont été soufflées. Depuis, nous vivons dans la peur. Nous survivons avec un peu de pain et d’eau. Mais nous ne mangeons plus à notre faim depuis plusieurs semaines, à cause du blocus de Latchine. Nous avons maigri. Nous sommes fatigués. Nous sommes au seuil de la mort. Est-ce que vous allez faire quelque chose pour nous, vous la France ? »

Nous sommes obligés de raccrocher, avec notre interprète arménien. La ligne est très mauvaise. Et, normalement, elle est impossible. Car, depuis, le 19 septembre, elles ont toutes été coupées. Internet ne fonctionne pas non plus. On n’est sans nouvelle, par exemple, de l’ancien ministre d’Etat et milliardaire Ruben Vardanyan. Ilham Aliev aurait-il ordonné son élimination ?

Pendant ce temps-là, à 4629 km, en France, Emmanuel Macron vient de prononcer une mise en garde en direction du pouvoir dictatorial autoritaire, fasciste disent certains, de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. En s’entretenant avec Nikol Pachinian, le Premier ministre de l’Arménie, dans un premier temps, il a « condamné avec la plus grande fermeté le recours à la force de l’Azerbaïdjan. » Puis, il a appelé Ilham Aliev pour lui demander de « cesser immédiatement l’offensive ». Des mots et des paroles sans actes, à quoi cela servent-ils ? Serait-ce une posture diplomatico-médiatique ? Sans les mesures de rétorsion, sans les sanctions économiques et financières, militaires, que la France et ses partenaires devraient prendre, ces condamnations sont des lettres… mortes.

De son côté, à l’ONU, le Conseil de sécurité s’est réuni dans l’urgence, le jeudi 21 septembre. Il a, également, appelé à la paix dans le Haut-Karabakh et à la sauvegarde des populations. Lors de ce conseil, la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna déclarait : « Ce n’est pas l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan qui est en jeu ici. (…) Ce qui est en jeu, c’est la possibilité pour les populations arméniennes du Haut-Karabakh de pouvoir continuer d’y vivre dans le respect de leurs droits, de leur histoire et de leur culture ». Les secondes passent… un silence de mort s’installe, dans les montagnes du Haut-Karabakh.

Des crimes en cours

Alors que les grands de ce monde se réunissent pour dénoncer cette nouvelle barbarie dans les grandes salles chauffées et feutrées de l’ONU, Poutine, qui a laissé faire son allié Ilham Aliev cette nouvelle guerre, demande que le droit des Arméniens du Haut-Karabakh soit respecté… C’est un comble. Il y a du pompier-pyromane dans cet homme à la poigne de fer ! Ce machiavélisme avait disparu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin de l’ex-URSS. Il fait son grand retour.

Sur place, à Stepanakert, dans la capitale de l’Artsakh et dans les autres villes : Agdam, Askeran, Badara, Garnakar, Khodjali, Martakert, etc, c’est le chaos. Selon Artush (nous avons changé son prénom) « toutes les principales villes sont encerclées par les soldats azéris ». De son côté Zoé, une collaboratrice d’un haut dirigeant du Haut-Karabakh, nous confirme, également, que des crimes, des exactions et des viols ont été commis sur des femmes. Que des soldats azéris ont démembré des jeunes femmes et qu’ils ont abattu en rigolant des civils sans défense. Les enfants ne sont pas épargnés.

Les informations qui nous parviennent en direct nous font craindre le pire. Les témoignages, les messages, les photos et vidéos, postés par les soldats azéris eux-mêmes nous montrent des maisons attaquées, pillées, criblées de balles. Les civils sont pourchassés dans la forêt.

Les ténèbres d’un nouveau génocide

« Tout est bloqué maintenant dans les villes et les villages. Les gens ne peuvent plus sortir de chez eux. Les informations s’amenuisent. Le gouvernement azéri a compris qu’il fallait qu’il mette un couvercle sur sa propre barbarie… », explique Aelita en contact avec sa belle-famille coincée dans ces montagnes du Haut-Karabakh. « Ce matin, je discutais avec une famille qui m’a expliqué qu’il y a beaucoup de morts, plusieurs centaines… ». Combien en faudra-t-il ?

1,5 million comme lors du génocide ? Comme entre 1915 et 1923 le monde se fige, alors qu’en coulisse un génocide est en cours. Selon nos informations, il y aurait, désormais, plus de 500 morts, et autant de blessés. Jean-Christophe Buisson, directeur-adjoint du Figaro suit cette tragédie heure par heure. « Ce matin, je vois des images de civils exécutés par les Azéris… » A l’aéroport de Stepanakert, la capitale de l’Artsakh, comme au temps du Vel d’Hiv, plus de 10 000 Arméniens sont parqués et dorment à même le sol. Direction la Shoah, sous les yeux des démocraties figées dans leur incapacité d’intervenir pour les sauver… Dans le ciel, les nuages s’assombrissent de plus en plus. C’est le temps des ténèbres. Les ténèbres d’un nouveau génocide.

A la minute où nous bouclons cet article, Ilham Aliev vient d’ordonner la réouverture du corridor de Latchine, permettant, ainsi, aux convois humanitaires de porter secours aux populations affamées. Une éclaircie ou une nouvelle tactique visant à endormir les démocraties ? Tragédie à suivre de près, de très près.

De notre envoyé spécial Antoine BORDIER


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