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Dans la famille Djorkaeff, demandez Denis

Copyright des photos Antoine Bordier

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Youri Djorkaeff est le numéro 2 de la fratrie de 3 garçons, issue de l’union de Jean et de Marie. Le numéro un s’appelle Denis, et, le petit dernier Misha. Ce qui est incroyable dans cette famille où le ballon rond joue son rôle de premier plan, c’est que l’entente fraternelle n’a jamais manqué, comme le bon vin. Elle s’est même améliorée au fil du temps. Portrait de Denis Djorkaeff, l’aîné aux multiples vies.

Décines-Charpieu est une ville de 29 000 habitants, située dans le sillon de Lyon, plein est. Denis est là, dans son beau costume bleu. Il est assis sur un canapé rouge. Derrière-lui, des affiches de cinéma sont accrochées au mur. « Ici, nous nous trouvons à l’étage du Centre Culturel de Décines. Il y a une médiathèque, une salle de spectacle et un cinéma. Je suis adjoint au Maire, chargé de la Culture. C’est mon lieu de travail. » Dans cette agglomération située à 12 km de Lyon, le Groupama Stadium est, aussi, un des lieux privilégiés de Denis. C’est le stade de l’Olympique Lyonnais. « Décines est une très vieille commune, qui a un lien avec les Arméniens. Après la période du génocide (1917-1921), la ville a accueilli une importante communauté arménienne. Ils sont venus dans cette région parce qu’il y avait une usine de soie. » Denis connaît bien l’histoire de la communauté. Il en fait partie.

Ses parents, Jean et Marie, sont nés en France, à Décines. « Il y a plus de 90 ans que notre famille vit dans cette ville », explique-t-il. Son père est le premier à tutoyer le ballon rond et à devenir un joueur professionnel. Mais avant, il y a les grands-parents. Du côté de ses grands-parents maternels et de ses grands-parents paternels, les premiers ont fui le génocide arménien, et, les seconds ont battu en retraite, lors de la révolution russe de 1917. « Sur les papiers de mes grands-parents maternels, il était indiqué ‶Asie Mineure ″. Car, avant le génocide, ils vivaient dans la Grande Arménie, en Cilicie, à Bursa exactement. Du côté paternel, mon grand-père était cosaque du tsar Nicolas II. Il venait de Kalmouki. »

Dans le sang bleu et rouge des Djorkaeff coule cette genèse qui vient de Mongolie, de la Grande-Arménie, et, de Pologne. Ils appartiennent à ces grandes tragédies qui ont secoué l’Europe et, finalement, le monde entier. Impossible d’oublier une telle histoire familiale, qui, au fil des générations, se transformerait presque en mythe ou en légende. Ce qui est certain, c’est qu’en arrivant en France cette communauté arménienne s’est assimilée très facilement. « Je pense que mes grands-parents sont des exemples d’assimilation. Ils se devaient d’être reconnaissants vis-à-vis de la France qui les a accueillis. Et, mieux, ils se devaient de la remercier par leur amour, leur éducation, leur intégration et leur réussite. »

A l’heure où le sujet de l’assimilation revient sur le terrain de jeu politique, en raison de la prochaine élection présidentielle, mettre la lumière sur ce peuple arménien qui a tant souffert, dans son passé – encore aujourd’hui – et qui a su s’intégrer, est d’actualité. « Nous avons réussi à nous intégrer, car nous étions très soudés. Notre force, notre résilience, vient de la famille et de notre foi. » Son enfance en a été le creuset.

Un père et un ballon rond

Né le 17 janvier 1965 à Lyon, Denis verra arriver son petit-frère Youri, 3 ans plus tard, en 1968. Puis, la fratrie s’agrandit une nouvelle fois et termine sa première boucle de vie avec Misha, qui naîtra en 1974, près de Paris. Ils ont un air de famille, qui ne passe pas inaperçu. Mais, difficile de dire qui est le plus arménien, le plus cosaque, le plus polonais des 3. Ils ressemblent à leur père, avec leurs yeux noirs. Le père a fait de sa passion pour le ballon sa profession. Sélectionné plus d’une quarantaine de fois, il a commencé sa carrière à l’Olympique Lyonnais (l’OL), en 1958. En 1966, il signe avec l’Olympique de Marseille (l’OM). Il termine sa carrière avec le PSG, qui est renommé en 1972 « Paris Football Club », PFC. Il fera, aussi, partie de l’équipe de France, entre 1964 et 1972.

Son palmarès est, déjà, impressionnant. Il a porté plusieurs fois le brassard de capitaine de l’équipe de France. Il a été le premier capitaine du PSG. Il a remporté deux fois la coupe de France.

C’est dans son sillon que marchent ses fils. A commencer par Denis, qui vit une « heureuse insouciance. J’adorais aller à l’entraînement avec mon père. Je me souviens des jeux que l’on faisait avec Youri, dans les vestiaires des joueurs. On jouait à cache-cache. » Denis joue au football en 3è division, dans le club de St Priest, à côté de Décines. « Dans les années 1985, j’ai joué contre Youri, deux ou trois fois. Il vivait à Grenoble. Il était au centre de formation. »

Le grand-frère se souvient du talent naissant du petit. « Il était vraiment au-dessus de tous, et, en plus il travaillait beaucoup. Nous avions une passion commune, mais, lui était vraiment devant. »

Une vie professionnelle bien remplie

En 1983, son bac en poche, Denis travaille dans l’usine de textile de son oncle, à Lyon. En 1993, il quitte l’usine, pour s’occuper, avec sa maman, du bar que vient de racheter Youri, toujours à Lyon. « Cette période-là m’a passionné, car mon grand-père avait un bar, lui-aussi, à Décines. Même si on ne l’a pas connu, son bar. J’avais un attrait pour cette ambiance, pour cette vie sociale à la dimension d’un comptoir. » Denis est ému, il se souvient de ces soirées mi-familiales, mi-amicales, qui n’en finissaient pas. Ecoutant, discutant, servant, virevoltant entre la salle et le vieux comptoir en zinc. Comme si le monde s’était donné rendez-vous autour d’une bière, d’un café, d’un verre de vin de la vallée du Rhône. Rendez-vous pour refaire le monde à force de brèves de comptoir.

Denis s’amuse de cette période et se souvient d’anecdotes rigolotes qui dénotent de la volonté familiale : « Nous avons tourné dans beaucoup de rues de Lyon pour acquérir un bar. Ce bar n’était pas à vendre. Mais, avec Youri, rien n’est impossible. Il a réussi à convaincre le propriétaire de lui vendre son bar. Il a dit oui, tout de suite ! » Dans le deuxième arrondissement de Lyon, à côté de sa mère, Denis vit l’une de ses plus belles expériences. Il évoque cette belle, franche et riche « relation humaine, du cantonnier jusqu’à l’avocat. Et, le plus beau des moments, c’est quand vous arrivez à mélanger des personnalités si différentes autour d’un verre. »

En 1996, alors que Youri commence à tutoyer les étoiles du ballon rond, Denis met en location-gérance son bar, et, devient son agent, aux côtés de son père. Il apprend ce nouveau métier qui remplit sa vie, nuit et jour.

Agent, c’est un métier

Il gère les contacts et les contrats avec les clubs. Il s’occupe, aussi, de toutes les relations avec la presse. Les opportunités commerciales et publicitaires se multipliant avec l’arrivée de la Coupe du Monde de Football de 1998, il aiguille et sélectionne celles qui pourraient intéresser Youri. Ce-dernier, jeune trentenaire, se consacre à son entraînement. Il n’a pas le temps de répondre aux sollicitations qui montent en flèche et qui exploseront lorsqu’il deviendra champion du monde.

Pour gérer les activités et les droits de Youri, pour protéger son image qui devient une marque, une société familiale est créée. Denis sera son agent jusqu’en 2006, année de transition pour Youri. La nouvelle vie de ce champion du monde démarre l’année d’après. Aujourd’hui, pour devenir un agent de joueurs, il est nécessaire de passer des examens, au niveau du Comité Olympique, et, au niveau de la Fédération Française de Football.

Misha, le petit-frère, quant à lui, suit sa carrière, également, dans le football. A Rouen, il intègre la 2è division. Par la suite, ce sera Milan, puis, la Suisse.

Denis se souvient de ces années où il rencontre des présidents de clubs. Il en cite quelques-uns au passage : « Oui, j’ai rencontré Michel Denisot à Paris, puis, Pierre Lescure. » Il rigole presque quand il raconte la période des relations avec le club de Barcelone. « Avec mon père, je suis allé à Barcelone. Pendant la réunion, Youri a appelé et m’a dit : ‶Je veux aller à Milan ″. J’ai, donc, dû dire non au président. Il nous avait, alors, répondu : ‶ Ce sera le seul joueur qui dit non à Barcelone″. C’était en 1997. »

Du stade au champ de bataille humanitaire

Il y a une douzaine d’années, en 2009, Jacques Le Goff, un historien avait écrit un article au sujet des dérives et de la violence excessive dans le sport en titrant : « Un stade n’est pas un champ de bataille ». Dans le cocon familial des Djorkaeff la violence est absente. Seuls semblent présents l’amour de la famille, l’amour de la fratrie, et l’amour du ballon rond. Les trois frères, qui sont unis comme « les 3 mousquetaires » et qui ont pris pour devise ‶Un pour tous, tous pour un″, en ont vécu des victoires avec leurs parents et leurs proches. Notamment, celle du 12 juillet 1998. C’est, certainement, pour cela que la France l’emporte 3-0 face à l’équipe mythique du Brésil. Le cocorico était là, dans le beau Stade de France. Le soleil brillait de tous ses éclats. Il était à son zénith. Le monde se voilait de bleu-blanc-rouge. La France s’émerveillait. Et, Denis aussi.

Il avait soif d’engagements. Il a été exaucé. Lui, le croyant, se souvient de ses racines chrétiennes arméniennes. L’Arménie, il s’y rend de plus en plus. Il s’engage dans l’humanitaire, sa première action politique. Il met les pieds pour la première fois en Arménie, en 1996. Mais, en 1990, il avait, déjà, préparé le terrain en se mariant avec Jane, une franco-arménienne. De leur union sont nés David, Andreas, Lara et Vahé. C’est, certainement, pour cela qu’il a voulu renouer avec ses racines. A son tour, il devient passeur d’histoire et de vie. L’Arménie lui est chevillée au corps.

Au cours de ses dizaines de voyages dans ce pays du Caucase – première terre à embrasser le christianisme comme religion d’Etat en 301 – avec ses frères, sa propre famille, et, ses parents, il développe de nombreux projets. Tout récemment, le 29 octobre 2021, il a été nommé consul honoraire d’Arménie en France, par le Premier ministre, Nikol Pachinian. Ce-dernier a voulu honorer, ainsi, tous ses projets en faveur de la reconstruction de l’Arménie et du Haut-Karabakh meurtris par la guerre de 2020.

Ses engagements tricolores en 2022

Auparavant, en 2018, il est devenu l’emblématique ambassadeur de la marque FeedConstruct, une compagnie high-tech spécialisée dans le big-data du sport, qui appartient au premier employeur arménien, SoftConstruct, un groupe familial fondé par les frères Vahe et Vigen Badalyan. Son métier d’agent remonte, à ce moment-là, à la surface. Il se souvient « avoir persuadé Youri, de rencontrer Vigen, car l’histoire de cet entrepreneur, avec son frère, était incroyable. Conquis, Youri est devenu ambassadeur d’une autre marque. »

Les nouvelles vies de Denis se pavent aux couleurs de ses engagements. Ses engagements deviennent de plus en plus politiques, dans le sens noble du terme. En France, en avril 2014, aux élections municipales, il est devenu le 3è adjoint du Maire de Décines. Pour 2022, il se prépare, cette fois-ci, en ayant le soutien de plusieurs personnalités influentes, aux élections législatives.

Denis respire pleinement avec ses deux poumons : l’un arménien, l’autre français. Il aime, de plus en plus, paraphraser Charles Aznavour, qu’il a rencontré plusieurs fois : « Je suis 100% Français, et, 100% Arménien ! » C’est pour cela que remonte, également, à la surface le souvenir de ce mois de mai 2018, lorsqu’il participe, en tant que témoin, à la Révolution de Velours qui se vit en Arménie depuis quelques semaines. Une révolution douce, qui voit l’avènement d’un homme, Nikol Pachinian, et de toute une nouvelle génération. « Quand j’ai vu tous ces jeunes sur la place de la République d’Erevan (ndlr : la capitale du pays). J’ai dit : il faut faire quelque chose en Arménie, c’est le moment. Ce qui m’a impressionné, c’est la jeunesse qui se levait. »

Dorénavant, c’est ce qui le motive en France. Il souhaite y apporter l’espoir, lors des prochaines législatives.

Combien de vies a-t-il Denis ? « C’est ma 4è vie, répond-il en rigolant. » Conscient que la France est face à de nouveaux enjeux démocratiques, il a décidé, à sa mesure, de s’engager un peu plus pour son pays, sur ce terrain législatif.

« Oui, je suis conscient qu’il y a de plus en plus de causes à défendre, sur notre propre sol, en France. J’ai connu la politique sur le tard. Mais, je sens un appel à faire le bien commun dans nos territoires, mais, aussi, sur le plan national. Il faut redonner goût aux gens de s’intéresser à la politique. J’aime dire les choses. Et, j’aime trouver des solutions pour le plus grand nombre, pour le bien de tous. »

Denis n’a pas oublié pour autant son amour pour le football. En Arménie, il conseille Armen Meliqbekyan, le président de la Fédération Arménienne de Football, notamment, sur les questions internationales, les échanges, et, les besoins en termes d’infrastructure. De son côté, Youri est devenu le président de la Fondation de la FIFA. Et, Misha, est l’entraîneur de l’ES La Ciotat.

L’entretien se termine. Dehors, Denis prend la pose devant un père Noël géant. Il est resté un enfant. Il va retrouver son cocon familial. Pour lui, la famille c’est sacré. Comme la foi, le football, la France et l’Arménie.

Antoine BORDIER


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