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Crash-test d’autorité de l’État : l’heure n’est pas à comprendre mais à gagner

Photo Florian Poitout/ABACAPRESS.COM

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Par François Bert*

Tribune. Allons donc, le pays a été mis à sac partout, dans ses symboles représentatifs et aléatoirement, avec une violence inouïe. Ses représentants, policiers, gendarmes ou maires, visés avec une intention criminelle, des bandes incontrôlées et massives ont semé le chaos. Des dégâts incommensurables, de près d’un milliard d’euros, ont été causés sur du mobilier public et chez des commerçants…

Et l’on voudrait nous dire seulement que le « pic de violence est désormais passé » et qu’un diagnostic est en cours pour comprendre « les causes profondes »? Y a-t-il quelqu’un au sommet de l’État capable de prendre la mesure du signal envoyé, de saisir l’extrême gravité du moment où nous sommes?

Prend-on conscience que s’est opéré un test géant de l’exercice de l’autorité de l’État, qu’il a fallu le dévouement exceptionnel des forces de l’ordre pour que nous nous en sortions, sur le fil du rasoir, et que cette provocation appelle une réponse d’une fermeté totale et proactive sans quoi le pays pourrait bien craquer à la prochaine vague? Peut-on enfin espérer que l’État ait une stratégie de recouvrement de son ascendant et, pour commencer, une volonté?

Mise à l’épreuve de la police, échec de l’État

Regardons les choses en face : si la police et la gendarmerie ont, au prix d’efforts considérables et d’un professionnalisme sans faille, su contenir le déchaînement de la violence sans qu’elle s’embrase davantage, l’État est en flagrant délit d’échec.

Échec à protéger ses citoyens et ses représentants : mairies, écoles, supermarchés, commerces, commissariats, casernes, mobilier urbain, bus, voitures, etc., ont été dévastés sans avoir, en face, un dispositif capable de les en empêcher et, pire, de les en dissuader. Et c’est bien là le problème : des années d’impunité ont créé dans l’esprit de la population délinquante et, par percolation, d’une part de son entourage (que nous avons notamment vu basculer dans le pillage), le sentiment d’une absence de danger réel à commettre certains délits.

Échec à renverser la mécanique de la peur : la plupart des citoyens vivent quant à eux un sentiment de grand danger dans certaines zones et au contact des délinquants ; ils se disent que non seulement ils vont subir une violence disproportionnée, qu’illustre tragiquement un nombre incalculable de faits divers, mais aussi que leurs auteurs, très souvent impunis ou pas assez, vont venir se venger sur eux et leurs familles, et qu’en voulant se défendre légitimement, ils s’exposent à des tracas considérables. Quelle pitié de voir un peuple se laisser bafouer par des bandes abruties sans oser coaliser ses forces et se défendre ! Le renfort spontané offert aux policiers à Lorient, vraisemblablement par des commandos marines, a aussitôt fait l’objet d’une enquête (Le Parisien du 05 juillet 2023). On peut comprendre que leur statut les appelle à ne pas agir en force constituée sans mandat, mais n’y a-t-il pas dans ce geste spontané un comportement de courage que l’on pourrait attendre de tout citoyen français ? Si chacun pouvait se sentir investi d’une protection mutuelle en cas de danger, n’y aurait-il pas, en termes de rapports de force, au vu de la masse considérable de citoyens souhaitant vivre paisiblement, un effet net sur la sécurité du quotidien ? Les armes en moins, la solidarité et l’engagement du peuple corse nous en donnent une illustration intéressante.

Échec à appuyer sa police dans son travail quotidien. Les forces de l’ordre vivent dans une double contrainte permanente : d’un côté, l’ordre leur est donné de tout faire pour mettre fin aux actes délictueux sans cesse en croissance, et de l’autre, une triple chape de plomb, politique, médiatique et judiciaire pèse sur eux au moindre faux pas, avec la perspective d’être lâchés en rase campagne, voire sacrifiés, comme ce fut le cas, sur la seule base des images ou de l’émotion suscitée. Ils sont en outre sujets à un parti pris de nombreux médias, alimenté par une partie de la classe politique en

manque de visibilité, qui consiste à leur attribuer par principe une intention mauvaise, pire que celle des délinquants eux-mêmes. Or, même aux temps les plus primitifs de la féodalité, nous n’avions point vu un contrat de pouvoir aussi déséquilibré : le vassal accepte de s’en remettre à l’autorité du suzerain contre un engagement absolu de protection, qui, s’il est rompu, amène son retrait immédiat du contrat. À partir de quand a-t-on donc pu commencer à admettre que le politique puisse employer et exposer ses forces de police sans leur garantir une protection a priori (ce qui n’enlève rien au travail nécessaire d’enquête des services de contrôle), sans appuyer, avec le calme propre au temps long de l’État, leur action quotidienne au contact des malfaisants ? Il est absolument surréaliste qu’un chef d’État désavoue, qui plus est avec des adjectifs au présent quand le travail de l’enquête aurait a minima requis le conditionnel, un de ses policiers pris dans une situation compliquée, aux conséquences certes dramatiques et regrettables, mais dans une configuration où un acteur délictueux et dangereux pour autrui s’est lui-même témérairement exposé ? Quel est donc ce pays où le refus d’obtempérer devient quotidien, avec des morts causées au sein de nos forces, et où l’on s’émeut seulement du fait qu’il puisse causer du tort à celui qui le pratique ?

Échec de l’État à faire régner la justice. « En France, la loi s’applique pour ceux qui la respectent » : cette phrase entendue souvent dit beaucoup sur la réalité de notre pays. D’un côté, il y a les gens solvables et citoyens, qui subissent chaque jour l’écrasant poids des réglementations françaises et européennes, et de l’autre, des bandes et des cités entières qui ont choisi leur propre loi, vivent de l’argent des trafics et des aides publiques, et échappent à la République. La fragilité de la justice met du reste régulièrement les forces de l’ordre, si souvent désavouées à la fin de la chaîne pénale, en position limite pour maintenir l’autorité.

La justice doit vivre au rythme de l’État

Le premier point bloquant à dénouer réside dans le fonctionnement de la justice elle-même. D’innombrables analyses ont été faites sur le sujet, et nous ne doutons pas de la bonne volonté de la grande majorité des magistrats à faire avancer le pays dans le bon sens. Cela étant posé, reste une triple paralysie du fonctionnement de notre justice : le rapport à la peine, le rapport au temps et le processus décisionnel.

Par abondance d’affaires et par formation très cérébrale, la justice a tendance à travailler ligne à ligne, comme décalée de la vie de l’État et des citoyens. Il semble lui manquer la prise en compte d’un contexte dans lequel pourtant sans cesse son action s’inscrit et avec lequel elle se doit de prendre ses décisions. Comment peut-on, comme ce fut le cas, relâcher au cœur des émeutes un individu pris en flagrant délit de relevé les plaques personnelles de policiers aux abords des commissariats, ainsi qu’un groupe d’hommes stationnés dans une voiture à proximité, munis d’une batte de baseball, d’outils type tournevis et de bidons d’essence, alors que partout des règlements de compte hors service ont lieu ? (CNEWS du 02 juillet 2023) N’y a-t-il pas moyen d’intégrer en cette circonstance précise le danger de mort que l’on fait courir à ces derniers en relâchant les prévenus et de décider en conséquence ? Combien d’outrages à agents dépositaires de l’autorité publique et d’attaques de pompiers en service ont-ils été traités par-dessus la jambe, comme une faute marginale dont il ne fallait pas embarrasser les tribunaux, alors qu’ils représentent précisément le seuil non négociable à faire respecter pour que l’autorité s’impose ? Est-il possible de comprendre qu’un certain nombre de crimes et délits sont la conséquence directe d’une accoutumance générale au non-respect de l’autorité, et qu’il est attendu d’un juge de l’apprécier dans chaque contexte de ses décisions plutôt que de se rassurer par la seule conformité au code ? L’indépendance de la justice se comprend quand elle exprime le refus de se laisser influencer par les intérêts particuliers de ceux qui exercent le pouvoir, mais quelle vertu a-t-elle quand elle veut vivre séparée des besoins de l’État et prospérer sur la seule bonne conscience de l’application de la loi ? Est-il possible d’envisager, comme le proposent de nombreux magistrats éclairés, une stratégie concertée de la justice afin de traiter les priorités sans se laisser contaminer par les poussées médiatiques sur des sujets secondaires et de se mettre en convergence d’objectifs avec la force publique ?

Par ailleurs, par manque de moyens, la justice n’est pas en capacité de produire une réponse rapide à ceux qui pourtant mériteraient d’en avoir une. Autant certains dossiers demandent des enquêtes longues, autant une multiplicité de faits doivent être tranchés et traduits le plus rapidement possible en sentences capables d’avoir l’effet dissuasif attendu à la fois sur le délinquant et sur son entourage. Comment un casseur peut-il être stoppé net s’il n’y a ni comparution immédiate, ni mandat de dépôt ? Et que dire du labyrinthe juridique européen et français, notamment au sujet des mineurs, qui démultiplie les fautes de procédures pour le bonheur de certains avocats et n’arrête pas d’atténuer la peine ?

Reste enfin la peine en tant que telle : non seulement les places en prison posent un vrai casse-tête, ce qui amène beaucoup de juges à renoncer au mandat de dépôt, voire à la peine de prison ferme par manque de capacité, mais surtout la prison elle-même ne remplit pas ou pas assez son rôle de réinsertion, en dépit du dévouement et du professionnalisme de ceux qui y travaillent. Il manque une notion clé au travail de la prison : la rédemption. Il y a une profonde condescendance de toute une partie de la classe politique, qui se croit humaniste en ne voulant rien exiger d’un détenu, autant qu’en lui trouvant des excuses à chaque fois qu’il agit mal. Cette pseudo-bienveillance est un profond mépris, car elle acte de fait qu’une part de la population ne serait pas éligible, par le rachat de ses fautes, à une citoyenneté recouvrée et, sous prétexte de la ménager, la condamne en réalité à faire partie d’une humanité parallèle, structurellement récidiviste et sans possibilité de croissance. Autant que le service militaire pouvait donner à toute une partie de la population une instruction minimale, le goût de l’effort, le sens du collectif et parfois même la découverte de l’hygiène, de l’estime de soi, autant les prisons pourraient permettre une réelle élévation individuelle et collective par la discipline et le dépassement, à l’instar de ce que la Légion étrangère sait faire pour les détenus qui rejoignent ses rangs. Un détenu devrait pouvoir quitter une prison avec autant de soulagement que de fierté pour ce qu’il est devenu, et non s’enorgueillir d’y arriver sans autre mérite que le méfait et s’y encanailler.

Dispositif d’exception et travail d’éducation

Pour revenir à la situation présente, si des signaux forts de sanction ne sont pas envoyés à la communauté nationale au sujet de l’ensemble des acteurs de violence dont nous avons vu les méfaits, un double danger s’établira : la récidive démultipliée des bandes délinquantes à la première occasion et le décrochage d’une partie de la population, voire de certains fonctionnaires, dans leur loyauté à l’État. Il faut relire là-dessus David Galula et sa théorie de la contre-insurrection : l’idée des forces de division internes ou externes est toujours de décrédibiliser les forces loyalistes de l’État dans leur action face à des victimes supposées, et d’amener une majorité de la population à chercher ailleurs sa protection. Ces signaux doivent notamment consister en des sentences réelles et immédiates (ce qui semble mal parti, puisque sur 3625 casseurs interpellés, dont 1124 mineurs, seuls 990 ont été déférés, parmi lesquels seulement 380 ont été incarcérés – Les Echos du 06 juillet 2023).

La fermeté de l’État doit ensuite se manifester par un travail offensif de démantèlement des zones de danger. Nous l’avons vu, des territoires échappent complètement à l’autorité de l’État et pourraient devenir une poudrière, au sens propre et figuré, en cas de conflit prolongé. Nos gouvernants doivent réinvestir le dispositif légal français et européen qui permet l’exercice de l’autorité. Trop de lois, notamment européennes, rendent impossible la traduction réelle dans les faits de ce qui est, par ailleurs, martialement mais vainement déclaré. Ainsi, les Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) sont quasiment jamais exécutées en raison du nombre de contraintes légales et diplomatiques qu’elles rencontrent.

En gardant actif le rôle indispensable de l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) et de l’IGGN (Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale), l’État doit massivement soutenir sa police dans son travail de rétablissement de l’ordre, et ce, jusqu’à ce que disparaisse le sentiment d’impunité et la pratique de l’irrespect qui règnent dans une partie de la population vis-à-vis de l’autorité publique. Une part de la représentation nationale et certains de leurs chefs non élus n’ont délibérément pas appelé au calme au cœur des émeutes. Tout ce qui pourrait amener à les accuser légalement devrait être entrepris.

Au moment où nous parlons, l’urgence est la justice. À terme, l’important est l’éducation, tant parentale que scolaire. Notre pays se perd à ne pas savoir exiger assez de ses élèves, pourtant remplis de potentialités, et passe son temps à se flageller sur son passé plutôt qu’à révéler les trésors qu’il renferme. Nous n’intégrerons pas des populations étrangères toujours plus nombreuses si nous ne parvenons pas à faire adhérer et vibrer au roman national, comme nous avons si bien su le faire à chaque siècle et à chaque nouvelle vague d’immigration. La sauvagerie, c’est la jachère du savoir et de la volonté, la violence de l’impuissance, le retour à l’animalité faute de passion, de rêve ou d’aventure partagés. L’Éducation nationale a les moyens de revenir aux fondamentaux, de redonner à chaque citoyen son plus grand trésor : le pouvoir d’acquérir par l’effort une autonomie de pensée et de contribution, le sentiment d’utilité, l’appartenance au vaisseau des Français debout plutôt qu’une position de dérive impuissante dans les courants de la violence et de l’esprit victimaire, devenu presque une priorité scolaire.

Tous, nous avons notre place dans cet édifice. Puisse l’État entendre notre appel et chacun pouvoir produire l’impact qui lui est possible dans son espace de talent et de pouvoir.

  • * François Bert
    Saint-Cyrien, ancien officier parachutiste à la Légion étrangère et créateur en 2011 d’Edelweiss RH, François BERT accompagne les dirigeants publics et privés dans leurs décisions humaines et stratégiques. Il a fondé en 2019 l’Ecole du discernement.
    Il est notamment l’auteur de l’essai Le temps des chefs est venu (Edelweiss, 2016) et Le discernement à l’usage de ceux qui croient qu’être intelligent suffit pour décider (Artège, septembre 2023)

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