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Au Liban, le Patriarche Raï lance son appel pour la Paix et le Vivre Ensemble

Copyright des photos A. Bordier et M. Akl

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De notre envoyé spécial au Liban, Antoine Bordier

Alors que le sud du Liban est de nouveau bombardé, le Patriarche des Maronites, qui représente plus de 30% des Libanais, lance son nouvel appel à la Paix et au Vivre Ensemble. En pleine Semaine Sainte, c’est l’occasion de zoomer sur l’une des plus vieilles communautés chrétiennes du Liban et sur les institutions libanaises qui font une large place aux confessions. Eclairage lors d’un tête-à-tête exceptionnel.

A 84 ans, l’homme a gardé l’esprit, la mémoire et l’œil vifs. Pétri de prières et de relations internationales au plus haut niveau de ses rencontres, est-il pour autant, à mesure qu’il avance en âge, écouté par les grands de ce monde ? Le 15 mars dernier, alors qu’il fêtait les 13 ans de son élection comme Patriarche des Maronites d’Antioche et de tout l’Orient, il lançait de nouveau son appel pour la Paix et le Vivre Ensemble. Il ne s’en lasse pas : « Il faut toujours répéter et appeler à la paix… » En pleine Semaine Sainte, c’est ce qu’il vient de re-faire…

Les Maronites ? Pensez : la communauté des Maronites qu’il représente est répandue sur les cinq continents. Son rôle de médiateur continue à être pris au sérieux, dans un contexte national, régional et international où tout se dégrade. Combien sont-ils aujourd’hui ces Libanais de confession maronite ? Le patriarche répond : « Nous sommes plusieurs millions ». Impossible d’en connaître le chiffre exact, mais ils seraient entre 1 et 1,3 million au Liban ; et, dans le reste du monde leur nombre avoisinerait les 8 ou 9 millions, selon certaines sources. Une dizaine de millions au total qui ne pourraient pas se retrouver dans la petite bergerie de Bkerké…faute de place.

Qui connaît Bkerké, où se situe le patriarcat ? « Tous les Libanais connaissent Bkerké », répond Elie, le chauffeur qui essaye de se faufiler entre les voitures. En temps normal, depuis la place des Martyrs, à Beyrouth, il faut mettre une demi-heure pour se rendre sur la sainte colline qui domine la Méditerranée, le port de Jounieh et celui de Kaslik, au nord de Beyrouth. Mais ce jour-là, la circulation se transforme vite en accordéon, avec ces bouchons qui s’égrènent comme les perles d’un chapelet. Vous quittez la place des Martyrs, où l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, repose. Assassiné le 14 février 2005, sa tombe se situe exactement au pied de la mosquée sunnite Mohammad Al-Amine, alias Mosquée Bleue. Juste à côté de la mosquée, qui a été construite à la suite d’une donation de feu Hariri, se trouve la cathédrale Saint-Georges des Maronites. Ainsi, chrétiens et musulmans vivent épaule contre épaule depuis la nuit des temps.

Le Liban : une mosaïque de 18 confessions

Qui s’aventure au Liban sans savoir que ce pays est d’abord une mosaïque, un puzzle de confessions, se trompe de destination. « Le Liban sans ses 18 confessions ne serait pas le Liban », introduit le patriarche qui vient de s’asseoir dans l’un des fauteuils du petit salon de son bureau. Sur les meubles et les murs, des croix, des icônes, des photos, des souvenirs, des cadeaux, des documents, des livres et des lettres tapissent l’atmosphère de cette pièce où il passe une partie de son temps. L’homme est un travailleur au service de sa communauté et du Liban.

Les Maronites ? Ils sont des chrétiens catholiques orientaux. Séparés un temps de Rome, ils sont revenus dans le juron du Vatican en 1182. Le Vatican, le patriarche s’y rend souvent. Il connaît par cœur. Et, les papes sont devenus ses amis. Sur ses petits guéridons trônent des photos de lui avec : Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et François. Les papes aiment les Maronites, depuis longtemps. Le patriarche évoque, pour commencer, les origines de leur présence. « Cela peut surprendre, mais nous ne sommes pas nés au Liban, nous sommes nés en Syrie au Vè siècle. Maronite dérive du nom de saint Maron, qui a vécu vers l’an 350. Il est mort en 410. C’est un ermite qui vivait entre Antioche et Alep. Il n’a pas fondé l’Eglise maronite. Mais, il a eu des disciples. Ce sont eux les fondateurs. En 686, le premier Patriarche maronite a été élu par les évêques maronites, parce qu’il n’y avait plus de Patriarche catholique à Antioche uni à Rome… » C’est ainsi que commence la longue histoire des maronites. Au 9è siècle, lors des persécutions arabes, ils se réfugient au Liban.

Le Patriarche Béchara Boutros Raï est le 77è patriarche. Il a des amis dans toutes ces confessions religieuses : parmi les alaouites, les chiites, les druzes, les ismaéliens, les sunnites, et la petite communauté juive. A ces 6 confessions il faut rajouter ces 12 autres : arménienne apostolique et catholique, assyrienne, chaldéenne, copte orthodoxe, grec orthodoxe et catholique (ou melkite), maronite, syrienne orthodoxe et catholique, l’église latine et l’église protestante. Le compte est bon : il y a bien 18 confessions qui coexistent au Liban. Une coexistence unique au monde !

Une Constitution basée sur les confessions

« Aujourd’hui, au Liban, nous avons deux cultures majeures différentes : la culture musulmane et la culture chrétienne (NDLR : il ne resterait plus que 1000 juifs au Liban). Les musulmans tendent vers l’islamisation, qui ne sépare pas la religion et l’Etat. Les chrétiens, eux, tendent vers la christianisation. Les deux communautés se sont entendues pour vivre ensemble… Au Liban, la religion d’Etat n’existe pas. » Le décor confessionnel est planté.

Le patriarche parle, ensuite, de la Constitution de 1926 (née sous le mandat français, qui va durer de 1920 à 1943), de l’Indépendance libanaise de 1943 et des accords de Taëf de 1989, qui ont mis fin aux guerres du Liban. La vie institutionnelle politique libanaise est, ainsi, fortement marquée par le confessionnalisme : la présidence de la République est confiée à un Maronite élu par les députés (au nombre de 128), les fonctions du Premier ministre à un sunnite, et celles du Président du Parlement à un chiite. « Ce fonctionnement de nos institutions politiques est, toujours, actuel. » La Constitution libanaise est sacrée, pourrait-on dire. Ce qui est certain, c’est qu’elle ressemble à une mosaïque.

Aujourd’hui, les musulmans au Liban, qui sont devenus majoritaires dans les années 1990-2000, représentent plus de 60% de la population, et les chrétiens moins de 40%.

Un fonctionnement confessionnel ?

Loin des standards occidentaux, le Liban, seule démocratie parlementaire de la région (en dehors d’Israël), fait fonctionner le suffrage universel pour l’élection de ses 128 députés. Ces derniers sont répartis de la façon suivante : avec les 27 députés sunnites, les 27 chiites, les 8 druzes et les 2 alaouites qui représentent 50% des sièges, il faut ajouter les 35 maronites, les 14 grec-orthodoxes, les 8 grec-catholiques, les 5 arméniens orthodoxes, 1 protestant et 1 minorité chrétienne. Le compte est bon.

La conversation s’immerge un peu plus dans la constitution libanaise que le Patriarche connaît par cœur, notamment son article 9 : “ La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’Etat respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux.

En France, en écho, c’est le principe de laïcité qui prévaut : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (…) ” Une laïcité qui aurait permis une certaine paix civile. La paix ?  Elle est difficile au Moyen-Orient. 

Un appel pour la Paix

Alors que, de nouveau, les bombardements de Tsahal frappent des villages au Liban-sud, n’épargnant pas les civils, le patriarche a relancé son appel pour la Paix : « Oui, cessez le feu. Le Liban ne doit pas être entraîné dans cette guerre. Les crimes horribles d’Israël commis à Gaza doivent cesser immédiatement. C’est honteux. Que de souffrances. Et, le Hamas doit déposer les armes. Au nom de quoi, cette nouvelle guerre ? De Dieu ? Certainement pas. » Au Liban-sud, les bombardements de Tsahal, depuis le 7 octobre dernier, ont fait plus de 1200 victimes, dont plus de 300 morts, selon le dernier bilan officiel. Dernièrement, ils ont touché principalement les villages suivants, poussant les populations à se réfugier plus au nord : Hebbariyé, Jabal Blat, Marwahine et Khiam ainsi que la périphérie de Yater.

« Que fait la FINUL ? », se demandent certains. La Force intérimaire des Nations-Unies au Liban qui a été déployée en mars 1978, et dont l’objectif était d’accompagner le retrait des troupes israéliennes qui avaient occupé le pays pendant les guerres du Liban (1975-1990), est, aujourd’hui, composée de 9 000 militaires. Concrètement, depuis les premières frappes du Hezbollah dans le nord d’Israël, et la réponse de Tsahal, les environs du QG de la FINUL, à Naqoura, dans le sud-ouest du pays, à moins de 4 km de la frontière, sont régulièrement bombardés par… l’armée Israélienne en toute impunité, comme si l’ONU était l’ennemi. Pour Kandice Ardiel, la porte-parole adjointe de la FINUL : « Oui, nous avons été touchés plusieurs fois. Mais, nous n’avons pas eu de blessés…»

Alors oui, l’appel pour la paix du Patriarche Raï est bien d’actualité. Il y a urgence, à l’heure où Netanyahu et son gouvernement vivent de plus en plus comme des hors-la-loi méprisant le droit international et la dernière résolution de l’ONU, de son Conseil de Sécurité, appelant à un cessez-le-feu immédiat.

Vivre Ensemble ?

Dans son bureau baigné de lumière, la conversation reprend sur le vivre ensemble. Le patriarche, dans quelques minutes, interrompra la conversation pour se rendre dans sa chapelle, où il présidera l’office du chemin de croix. Oui, c’est bien un chemin de croix que vit le Liban depuis près de 50 ans. Tout le Moyen-Orient n’est pas épargné. Les Chrétiens d’Orient sont les premiers touchés par ces conflits, ces crises et ces guerres successives, qui opposent un peuple à un autre, une religion à l’autre ; et, qui se transforment, parfois, en guerres fratricides. Le Liban, cela peut paraître paradoxal, reste une exception dans un Orient qui a vu sa population chrétienne être divisée par 5 et 10 (en fonction des pays).

« Attention, ici, nous ne sommes pas en Occident. Nous sommes en Orient, précise le Patriarche. Tous les pays alentours disent que la religion d’Etat est l’Islam. Nous, les chrétiens, nous sommes devenus un petit peuple. Mais, là où il y a un chrétien, il y a du vivre ensemble entre les communautés. » Après avoir visité les communautés maronites du monde entier, il connaît bien son sujet du Vivre Ensemble. Il serait même devenu son principal cheval de bataille avec la recherche incessante de la paix. Son nouveau Credo.

La Francophonie et de Gaulle

Ce francophone aime citer le général de Gaulle. Il aime rendre hommage au grand homme et à la France : « Moi, quand j’étais jeune, dans ma maison, je trouvais, toujours, une photo de de Gaulle. La France de de Gaulle est notre mère. La France nous a, toujours, aidé. Elle continue à aider nos écoles. Elle travaille, aussi, pour que nous élisions un nouveau président de la République. Elle travaille pour la paix et le vivre ensemble. Chirac, aussi, aimait le Liban. Une fois, il était venu, ici à Bkerké, visiter le patriarche de l’époque. A un moment, son aide de camp est venu lui dire : Monsieur le président, c’est l’heure de repartir. Et, le président de lui répondre : Quand on est à Bkerké, le temps s’arrête ! ”

Le Patriarche Béchara Boutros Raï conclut sur le Vivre Ensemble en développant sa pensée sur le mariage et l’avortement : « Le parlement libanais ne légifère rien qui soit contre la foi chrétienne et la foi musulmane. Par exemple, il ne légifère pas sur l’avortement, comme en France. Je dis, toujours, à ce sujet : le Liban a séparé l’Etat des religions, mais, il n’a pas séparé l’Etat de Dieu… » Sur un autre sujet, comme le mariage homosexuel, il répond : « Jamais de la vie. » Au Liban, le mariage civil n’est pas reconnu, seuls les mariages religieux, chrétiens et musulmans, sont autorisés. Ceci explique cela.

Tout en se levant de son fauteuil à la couleur pourpre, il répète de nouveau l’article 9 de la Constitution, comme une litanie. Puis, il se change et se revêt de son habit liturgique. Il sort de son bureau et emprunte le long couloir parsemé d’icônes et de peintures religieuses. Il descend l’escalier et ouvre la porte de sa chapelle. L’office du chemin de croix peut commencer.

La conversation s’arrête-là. Les Musulmans vivent le Ramadan, pendant que les Chrétiens vivent le Carême. L’entrée dans le temps de la Semaine Sainte pavoise le Liban et la grande majorité des Libanais aux signes de Dieu et des vieilles traditions. Pâques approche à grands pas. Le patriarche ne forme qu’un seul vœu : « Qu’Israël fasse la paix… »

De Gaulle et le Liban

Le lendemain de son arrivée à Beyrouth, le 27 juillet 1941, de Gaulle déclarait :

Si nous sommes heureux de prendre de nouveau, depuis hier, contact avec le Liban, c’est d’abord, évidemment, parce que dans tout cœur de Français digne de ce nom, je puis dire que le nom seul du Liban fait remuer quelque chose de très particulier, et j’ajoute que c’est d’autant plus justifié que les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple dans l’histoire du monde, à travers les siècles, quels qu’aient été les péripéties, les malheurs, les bonheurs, les destins, le seul peuple dont jamais le cœur n’a cessé de battre au rythme du cœur de la France.

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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