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Une Europe souveraine est-elle souhaitable ?

Alors qu’approchent les élections européennes, certains partis s’affichent résolument en faveur d’un transfert à l’Europe de la souveraineté des nations. La souveraineté, c’est le pouvoir de dernier recours dans les domaines constitutifs de l’indépendance d’un peuple sur son territoire. Mais déjà l’Europe est devenue envahissante et multiplie les normes sociales, environnementales, financières… qui augmentent les coûts de production et réduisent la productivité au risque d’affaiblir durablement la croissance qui décroche par rapport à celle des Etats-Unis.

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Au commencement, la souveraineté de chaque nation membre était respectée par la Communauté Economique Européenne dont les compétences, limitées et essentiellement économiques, étaient clairement définies (articles 2 et 3 du Traité de Rome) et toutes les autres restaient acquises à ses Etats membres. La fiscalité directe restait du ressort exclusif de chaque pays membre.
Mais depuis Maastricht et le Traité de Lisbonne, l’Union européenne se prévaut, de pouvoir intervenir, prioritairement sur les Etats, dans tous les domaines de l’action publique en renversant le sens de la subsidiarité qui aurait dû s’imposer selon les textes. Et désormais, elle cherche à s’approprier, insidieusement, la maitrise ultime des ressources publiques.

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Le motif a d’abord été de mieux faire jouer la concurrence dans les années 1990. Pour neutraliser fiscalement les rapports financiers (dividendes, intérêts…) entre entreprises européennes et les rapprochements de celles-ci, elle a édicté des règles fiscales non prévues par les traités. Puis aux prétextes de crises successives, elle a été un acteur majeur dans la régulation de la finance et la fiscalité internationales.
Ces directives qui naviguent hors des compétences explicites de l’UE tentent de s’y raccrocher en invoquant le bon fonctionnement du marché. En fait l’Europe espère profiter de ces meures pour augmenter son pouvoir et s’emparer de la fiscalité qui lui échappe pour maîtriser ses ressources.

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Elle a ainsi utilisé la Covid, qu’elle a mal gérée, l’inflation, qu’elle a créée, et la guerre en Ukraine dans laquelle elle trouve peut-être son utilité, pour multiplier les plans de financement des Etats, du plan de relance (Covid) de 750 milliards d’euros au Chips Act en passant par RePowerEU pour aider notamment à la transition énergétique. Les aides d’Etat qui étaient exceptionnelles sinon interdites sont devenues monnaie courante dans des domaines de plus en plus larges.
Le mot souveraineté y suffit de sésame. Et comme l’Europe n’aura pas les moyens de rembourser l’argent qu’elle emprunte à tout va pour prêter aux Etats, elle s’oblige ainsi à élargir naturellement son ressort pour lever bientôt elle-même des impôts que déjà elle initie. Elle s’est appropriée des taxes sur les déchets, sur le carbone, elle réclame une augmentation de ses prélèvements sur le Revenu national brut, RNB, des États membres et une part de 15% de l’impôt, «pilier un», mondial à redistribuer tantôt aux pays de production… Enfin, le 20 juin 2023, la Commission a exposé son intention de percevoir une contribution nationale calculée fictivement sur les bénéfices des entreprises à hauteur de 0,5 % en attendant d’instituer un impôt sur les sociétés européens dans le futur cadre européen pour l’imposition des revenus «Entreprises en Europe» (BEFIT).

Le dernier rempart de la souveraineté nationale repose sur la fiscalité et il est en cours de démolition pierre par pierre avant de s’écrouler. En normant la fiscalité des Etats membres, l’Europe leur ôte le pouvoir de la gérer. En finançant les Etats pour des montants très significatifs, l’UE se donne des moyens de les contrôler, de les rendre dépendants, voire de les faire chanter. Elle octroie ses financement sous réserve de conditions qui lui permettent d’imposer aux nations des politiques dans lesquelles elle ne devrait pas intervenir (cf. son attitude vis-à-vis de la Pologne et de la Hongrie).  

En disposant de la maitrise des compétences et des ressources fiscales, l’Union risque de devenir hégémonique et de tarir la richesse de notre Occident. Le partage de l’exercice de la souveraineté est une garantie contre la tyrannie et favorise le respect des citoyens et de leurs libertés, ne serait-ce que pour éviter qu’ils votent avec leurs pieds. La diversité des nations est source d’émulation et, par-là, favorise la dynamique et la créativité des peuples. Ce qui fait des Etats-Unis et de la Suisse des nations parmi les plus riches tient sans doute, du moins en large partie, au partage de souveraineté qu’imposent leurs constitutions fédérale et confédérale. Le pouvoir y arrête le pouvoir dans le respect d’un vrai principe de subsidiarité qui concoure certainement à la prospérité de ces pays en diffusant les responsabilités aux meilleurs niveaux.

L’Europe n’a d’ailleurs jamais été souveraine. Sa force s’est nourrie de ses oppositions comme de ses alliances. Il y eut des empires, des ligues, des traités, des union monétaires… pour rassembler les nations, mais jamais de souveraineté unique suppléant celles des pays réunis. Le pouvoir de l’empereur du Saint-Empire romain germanique, successeur supposé des empereurs romains, était modeste. La division des pouvoirs y a entretenu la liberté dans une hétérogénéité partageant des valeurs communes autour d’ambitions ennemies. Méfions-nous de toute utopie qui prétendrait construire une unité réduite à une uniformité, de toute harmonie transformée en monotonie et capable d’engendrer de nouvelles tyrannies dont est « gros » tout pouvoir unique.

Jean-Philippe Delsol
Avocat, président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF


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