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Tom Benoit : « Le renflouement des caisses de l’État russe par l’affaiblissement du rouble »

Le président russe Vladimir Poutine (Photo Alexey Maishev/Sputnik/ABACAPRESS.COM)

Vladimir Poutine tire-t-il profit de l’affaiblissement du rouble ? Analyse de Tom Benoit, directeur de la rédaction de Géostratégie magazine et producteur pour TV5MONDE.

Pourquoi la Russie s’accommode-t-elle de l’affaiblissement du rouble ?

Le conflit en Ukraine induit naturellement une quantité considérable de dépenses pour Moscou. Aussi, la Russie, dont le schéma des finances publiques repose peu sur le mécanisme d’endettement, a vu sa dette nationale légèrement augmenter au cours de cette dernière année pour arriver aux alentours de 20 % du PIB du pays.

D’autre part, il y a un calcul que nombre d’analystes semblent omettre. Celui-ci consiste à prendre en compte le renflouement des caisses de l’État russe par l’affaiblissement du rouble. En effet, bien que les conséquences favorables d’une telle situation soiet relativement éphémères, la chute de sa devise nationale à un niveau abyssal permet à la Russie, en contrepartie de chaque dollar ou euro acquis, de disposer de davantage de roubles permettant de couvrir les dépenses intérieures liées à la guerre.

Les perspectives d’évolution pour l’économie russe...

Ces jours-ci, le rouble s’échangeait environ à plus de 100 pour 1 dollar et 110 pour 1 euro. Cette perte de force de la monnaie nationale russe, qui conduit évidemment vers un accroissement de l’inflation à l’intérieur de la fédération, est la suite logique de la baisse des revenus amenés par l’exportation d’hydrocarbures.

Il est important de préciser ici qu’il s’agit bien d’une baisse des revenus liés à la vente d’hydrocarbures, et non d’une diminution de la demande d’énergie provenant du sol russe. L’ampleur du désaccord qui oppose fermement l’Ukraine et la Russie depuis 2014 ayant pris l’année passée une dimension tout aussi brutale que les sanctions occidentales visant à affaiblir l’économie russe, il convient de considérer que la diminution pour la Russie de la rentabilité de l’exportation d’hydrocarbures est principalement la suite logique d’une période de restructuration du commerce concerné.

En réalité, depuis le printemps 2022, l’ostracisation occidentale envers la Russie a effectivement empêché celle-ci d’adapter ses stratégies économiques comme elle l’aurait fait dans une période moins troublée. Nous avons bien pu conclure ces dernières semaines en observant les échanges entre Ryad et Moscou, que les deux puissances pétrolières de l’OPEP+  n’étaient pas tout à fait sur la même longueur d’onde. Bien entendu, l’Arabie Saoudite et la Russie ne disposent pas chacune d’autant de poids au sein de l’alliance réunissant les grands pays exportateurs de pétrole.

Il est incontestable qu’au sein de l’OPEP+, l’Arabie Saoudite occupe la place de meneur, et la Russie celle de colosse au pied d’argile.

Premièrement, la Russie n’a été intégrée à l’organisation intergouvernementale qu’en 2016, lors d’une réorganisation expansionniste de celle-ci (précédemment OPEP). D’autre part, jusqu’ici, et depuis l’après-guerre et la mise en place moderne de la finance et des relations internationales, l’Arabie Saoudite entretenait des échanges diplomatiques cordiaux avec les USA, que l’on peut considérer comme la grande puissance de laquelle émane l’essentiel de la volonté qui agit sur l’évolution du monde. Les récents différends entre Joe Biden et Mohammed ben Salmane marquent évidemment la fin de la relative entente rapprochant les USA et l’Arabie Saoudite.

Pour autant, afin de comprendre la situation, il ne faut pas oublier d’apprécier le fait que, concernant Ryad, c’est bien le prince héritier qui a assumé une attitude catégorique à l’égard des États-Unis, alors que pour ce qui est de Moscou, c’est le camp occidental dont les USA représentent les leaders, qui a décidé de bannir partiellement la Russie.

Souvenons-nous que durant les années 2000, alors que les dirigeants américains laissaient entendre qu’une éventuelle intégration de la Russie dans une « organisation de sécurité européenne » ne leur déplairait pas, Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev tentaient à cette période de jouer les bons élèves auprès des chefs d’État occidentaux.

C’est là un élément fondamental qui contribue à amener la Russie à laisser l’Arabie Saoudite décider des grandes lignes de la trajectoire que l’OPEP+ doit instaurer. L’Arabie Saoudite a prolongé au début du mois de juillet dernier, la réduction de son quota d’un million de barils par jour pour toute la durée du mois d’août en cours, afin de stimuler les prix en berne. Immédiatement, Moscou a fait savoir que la Russie réduirait elle aussi ses exportations de brut, les faisant chuter à 500 000 barils par jour. La Russie sort donc la carte de l’harmonie quant à ses rapports avec l’Arabie Saoudite. Ces deux pays sont aujourd’hui comptés parmi les trois plus grandes puissances pétrolières, mais n’ont pour des raisons que chacun comprendra, certainement pas les mêmes nécessités ni les mêmes objectifs.

Moscou ne peut pas se permettre de réduire conjoncturellement d’une façon trop drastique ses revenus provenant de l’exportation de pétrole. Il est à ce jour de notoriété publique que l’Inde ne se prive d’ailleurs pas de profiter de la situation délicate dans laquelle se trouve la Russie. Au mois de mai dernier, alors qu’elle venait de se hisser au rang de pays le plus peuplé au monde, l’Inde, qui dépend à 80 % de l’étranger pour ses besoins pétroliers, importait 1,96 million de barils provenant de Russie. Sur les douze mois qui ont suivi l’invasion en Ukraine, les économies de New Delhi profitant d’un marché russe désaxé, sont estimées à 3,3 milliards de dollars. Cependant, n’allons pas croire que l’Inde pille la Russie. Il s’agit simplement d’une relation commerciale basée sur des intérêts opposés et complémentaires. Le “Financial Times” informait au printemps que pour acheminer ces quantités importantes de pétrole vers l’Inde, une société baptisée Gatik, sur laquelle le géant du pétrole Rosneft lui-même contrôlé par le Kremlin aurait la main, s’est procuré une cinquantaine de tankers en seulement une année. La Russie, au sommet de son administration, accepte donc bel et bien les conditions indiennes.

Pour conclure, même si ça n’est pas son intérêt immédiat, la Russie a admis de réduire quelque peu ses exportations journalières de pétrole comme cela a été souhaité par l’Arabie Saoudite. Cette manœuvre correspond au postulat de l’OPEP+, qui représente en quelque sorte la banque centrale des intérêts des pays exportateurs de pétrole. L’objectif principal de l’OPEP+ est de garantir la stabilité du marché du pétrole, tout comme, en théorie, la mission d’une banque centrale est de garantir la stabilité de la monnaie dont elle est à la tête.

D’autre part, sur un terrain purement monétaire, il faut selon moi s’attendre à ce que la Banque centrale de Russie n’augmente que d’une manière très progressive son taux directeur déjà monté à 8,5 % le 21 juillet. Il ne me semble pas à l’avantage immédiat de la Russie de lutter avec acharnement contre une inflation se situant aux alentours de quatre ou cinq pour cent, alors qu’elle l’avait vue flamber au début du conflit jusqu’à plus de 17 %.

La principale décision prise par Moscou à ce stade est la suspension annoncée cette semaine jusqu’à la fin de l’année, des achats de devises étrangères sur le marché national des changes. Ce qu’il faut comprendre de cette politique que je considère comme étant transitive, au-delà du simple fait qu’elle montre un espoir de juguler la chute du rouble, est qu’elle représente le prélude vers une disposition russe à organiser des échanges en yuan plutôt qu’en dollar ou en euro. En janvier 2023, la Russie faisait savoir qu’elle envisageait de dédollariser son économie en prévoyant d’échanger principalement en yuan, afin de réduire sa dépendance à des États-Unis occupant dorénavant pour Moscou la place de rivaux.

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Géostratégie numéro 3 : « Le dollar est-il fini ? ».

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