Souvent, ceux qui parlent ne sont que des théoriciens. Et ceux qui agissent, ne prennent pas le temps de témoigner. Le patron d’InVivo réussit à cumuler les deux.
On le présente souvent comme « l’homme le plus puissant de l’agriculture française ». L’air de rien, Thierry Blandinières est en train de transformer et de consolider l’émergence d’un groupe assez essentiel pour beaucoup de nos filières agroalimentaires.
Quel parcours pour ce Corrézien de 63 ans, pragmatique et enthousiaste (il a gardé un peu de son accent du Sud-Ouest), que j’ai connu il y a 20 ans, quand jeune cadre marketing, passé par Procter, il avait été propulsé à la tête de Delpeyrat-Comtesse du Barry par les adhérents de la coopérative Maisadour. En quelques années, il a transformé la belle endormie de Mont-de-Marsan (Landes), de 130 ans d’âge, en ETI conquérante du foie gras à l’international, y compris en Chine, réussissant à tripler le chiffre d’affaires en 10 ans !
Aujourd’hui, je reçois au siège d’Entreprendre à Boulogne-Billancourt (92) un homme qui n’a pas changé, et qui, en 10 ans, est en train de transformer le premier groupe coopératif agricole français en véritable machine de guerre de l’agroalimentaire tricolore (avec 12,4 milliards de chiffre d’affaires et quelques 15 000 collaborateurs), déjà devenu numéro deux européen de la distribution de produits agricoles derrière l’allemand BayWa. Et nous en avons besoin. Selon ses propres termes de l’entretien qu’il a accordé à EntreprendreTV : « La France doit retrouver son leadership agricole, celui qu’elle a perdu au profit de l’Allemagne. Une des solutions consiste à imposer une norme européenne commune unique et à exiger des clauses miroirs dans tous les accords internationaux, tout en conjuguant compétitivité et croissance qui doivent rester les maîtres mots de toute politique. » Dans le secteur du blé, en reprenant in extremis la maison de négoce de céréales Soufflet de Nogent-sur-Seine dans l’Aube (leader européen et français qui devait être racheté par un groupe américain), InVivo a conforté dans le giron national un acteur essentiel de la meunerie et du négoce international des céréales.
Une activité qu’il est en train de transformer en misant sur l’intégration d’une filière industrielle autonome avec la boulangerie (Neuhauser ou Louise). En 2023, sous sa coupe, InVivo est également devenu, à la faveur du rachat du leader du groupe australien United Malt Group par les Malteries Soufflet, un champion mondial du malt. Ce n’est pas négligeable sur un marché porteur tiré par l’essor des ventes de bières dans le monde et aussi du whisky. Idem dans le secteur viticole, où, sous sa houlette, InVivo a pu racheter Val d’Orbieu en Languedoc et devenir en quelques années l’un des leaders français (310 millions d’euros de chiffre d’affaires) avec le Bordelais Cordier, tout juste après le groupe familial Castel.
Blandinières reste convaincu qu’il faut continuer à se regrouper et faire grandir l’équipe de France du vin. Un appel du pied lancé à Advini, Grands Chais de France, Latour, Thiénot ou Castel ? À voir dans les mois qui suivent si la consolidation se poursuit. En attendant, pas question pour lui de chercher à diminuer les volumes de production comme on commence à l’entendre : « Si nous le faisons, d’autres prendront la place et les marchés. La France doit être et rester numéro un du vin dans le monde en production et en distribution. » Le cap est affiché, difficile d’être plus clair pour ce dirigeant qui garde les pieds sur terre tout en regardant haut dans le ciel. Dans le digital, InVivo vise avec Aladin.farm à constituer le Amazon de l’agriculture dans le monde. Également leader dans le secteur des jardineries (Gamm Vert, Jardiland…), il aurait été intéressant de voir ce qu’aurait donné Teract (le véhicule financier monté par InVivo avec Matthieu Pigasse, Xavier Niel et Moez Alexandre Zouari) s’il avait pu devenir l’opérateur choisi pour reprendre Casino, finalement repris par l’homme d’affaires Daniel Kretinsky. Et puis cette confidence : « Jean-Charles Naouri n’aurait pas supporté de devoir céder la main à un groupe dans lequel figurait en bonne place l’un de ses anciens franchisés (Moez Zaouri). » Ainsi va l’égo des hommes ; il prend parfois plus de place qu’on ne le dit et que bien des raisonnements rationnels.
Ce n’est pas le cas chez notre patron enraciné, et il est somme toute rassurant de voir que de tels dirigeants peuvent être ainsi à la manœuvre à la tête d’activités si stratégiques. On devrait s’attacher davantage d’écoute à ce profil de dirigeants, qui ont de vrais résultats sur le terrain. Notre magazine l’a placé en une de couverture. Et ce n’est pas usurpé ! Alors quand Thierry Blandinières explique que « le blé est en train de devenir une arme géopolitique d’importance. Que les Russes sont en train de devenir sous la férule de Poutine l’un des principaux producteurs de blé dans le monde. Que l’Algérie n’achète plus de blé français parce que Moscou applique une décote de 20 €, et que l’Afrique commence à suivre… Ne sous-estimons pas le poids de la géopolitique de l’alimentation »; on se dit qu’il y a urgence et qu’indéniablement, ce type d’arguments mérite d’être entendu.
Blandinières, qui vient de reprendre la présidence du club de rugby du CA Brive (plus gros budget de Pro D2 avec au conseil d’administration : Daniel Derichebourg, Frédéric Gervoson- Andros -, ou le financier anglais Ian Osborne -fonds Hedosophia-), a l’esprit de compétition et l’esprit d’équipe chevillés au corps. Son modèle de développement se calque sur celui du club du Stade Rochelais qui, sous la houlette de Vincent Merling (président des cafés Merling, 63 M€ de chiffre d’affaires avec 530 collaborateurs), a su associer les PME de la région à commencer par Léa Nature. Il est sur tous les fronts. Écoutez l’entretien qu’il a accordé à EntreprendreTV. C’est simple et ambitieux. Exactement ce dont nous avons besoin aujourd’hui !
Robert Lafont
