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Recrutement : la nouvelle guerre des employeurs

La pénurie de main d’œuvre et les vagues de démissions créent une tension extrême sur le marché du recrutement. Devenues la seconde priorité du gouvernement et le cauchemar des employeurs, les difficultés de recrutement ont des répercussions sur l’activité des entreprises

Entreprendre - Recrutement : la nouvelle guerre des employeurs

Par Lucie Mendes, Fondatrice du cabinet de recrutement Scalliance

Tribune. La pénurie de main d’œuvre et les vagues de démissions créent une tension extrême sur le marché du recrutement. Devenues la seconde priorité du gouvernement et le cauchemar des employeurs, les difficultés de recrutement ont des répercussions sur l’activité des entreprises : elles freinent leur développement et affecte leur capacité à négocier la crise de l’énergie et les pénuries de matières premières. Depuis plus d’un an, les services de recrutement tournent à plein régime : les investissements en sourcing et en marque employeur atteignent des sommets pour tenter d’alimenter en candidatures des offres d’emploi en ligne toujours plus nombreuses. Mais les recruteurs ne peuvent que constater que les candidatures n’arrivent plus en nombre suffisant pour pourvoir leurs postes.

Comme en 2021, de nombreux projets de recrutement seront abandonnés en 2022 faute de candidats. On parle de 300 000 échecs de recrutement cette année encore. Car tel est le paradoxe du contexte économique que nous traversons : malgré la crise et les incertitudes, les créations d’emploi atteignent des niveaux records et le chômage est au plus bas depuis 40 ans. Pour compléter le tableau, le niveau des démissions explose depuis 2021, même si contrairement aux Etats-Unis, nous serions en France plutôt dans une dynamique de « grande rotation » que de « grande démission ». Concrètement, les salariés, avantagés par un marché de l’emploi dynamique et un rapport de force favorable avec les employeurs, n’hésitent plus à démissionner pour trouver mieux. Pour les employeurs confrontés à une augmentation constante de leur turn-over, le résultat est le même : ils doivent désormais autant se battre pour conserver leurs salariés que pour en recruter de nouveaux.

C’est d’ailleurs sur le terrain de la rétention des salariés que les entreprises se montrent les plus innovantes et les plus offensives aujourd’hui. L’équation est simple : pour se dispenser d’avoir à aller chercher des candidats sur un marché des talents plus tendu que jamais, il faut commencer par conserver ses salariés. Les GAFAM, Google, Microsoft et Apple en tête, ont annoncé des augmentations de salaire et des primes spectaculaires pour leurs salariés clés. En France, les entreprises ont également actionné le levier des augmentations de salaires pour compenser la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation et s’ajuster aux prétentions croissantes de candidats sur- sollicités : +3,5% en moyenne en 2022, et jusqu’à 16% pour des secteurs d’activité en désaffection, comme l’Hôtellerie-Restauration.

Mais le salaire ne suffit pas ; il faut proposer une meilleure expérience de travail. En clair, c’est désormais au travail de s’adapter à la vie privée. Des start-ups expérimentent de nouvelles formes de flexibilité, comme la semaine des 4 jours payés 5 ou les congés payés illimités. Même de grands groupes se lancent dans des expérimentations audacieuses, comme les congés sabbatiques rémunérés chez Orange et Accenture. Globalement, la réflexion sur l’expérience collaborateur s’impose à tous les employeurs. Pour retenir leurs collaborateurs clés tentés par les sirènes du marché, certaines entreprises développent même des politiques plus ciblées de rétention, depuis des entretiens préventifs (hors contexte d’entretiens annuels) ou des primes de fidélité, jusqu’à de véritables protocoles de contre-propositions pour certaines catégories de salariés démissionnaires.

Sur le terrain du recrutement, les entreprises ne sont pas en reste. Les difficultés de recrutement ne sont pas nouvelles et les politiques de marque employeur et de sourcing sont déjà bien affutées. Il devient cependant nécessaire de passer à une approche plus active du recrutement : les employeurs doivent désormais cibler tous les salariés en poste, qu’ils soient ou non à l’écoute du marché, en les sollicitant plus ou moins directement, que ce soit via la communication ciblée d’opportunités via du marketing digital ou par l’approche directe de candidats potentiels via Linkedin ou les CVthèques en ligne.

Le budget des cabinets de chasseurs de têtes pour les postes clés est également en constante augmentation. Mais ce ne sera pas suffisant ; il faudra aussi se montrer plus accommodant avec les candidats. Que ce soit en ouvrant les critères de sélection, quitte à consentir à développer soi-même des compétences manquantes à la prise de poste, ou dans la manière de les traiter, depuis les premiers contacts jusqu’au suivi individualisé tout au long du processus de recrutement. Les candidats, en position de force sur le marché, se comportent désormais comme des clients ; ils peuvent se permettre de choisir leur employeur au-delà d’un poste. Pour les entreprises les plus résolues, la prime d’embauche, autrefois réservés aux cadres dirigeants (le fameux « welcome bonus »), se généralise sur le marché pour emporter la décision de candidats hésitant entre plusieurs propositions. Une fois en poste, rien n’est plus gagné. Les ruptures de période d’essai deviennent plus fréquentes, les embauchés réclament de plus en plus souvent son renouvellement en cas de doute. En tout cas, l’accueil des embauchés fait l’objet de davantage d’attention et de suivi de la part des employeurs.

Bien sûr, nous avions déjà connu des contextes de guerre des talents par le passé, mais cette conjonction de facteurs et leur ampleur inédite nous fait basculer dans un nouveau phénomène qui ressemble davantage à une guerre des employeurs. Car la première conséquence d’une pénurie de candidats n’est pas tant qu’il devient impossible de trouver des candidats, c’est juste qu’il n’y en plus assez pour tout le monde. C’est donc chez les employeurs concurrents qu’il faut désormais aller chercher les candidats et cette concurrence ne se limite plus à un secteur d’activité ou une profession. De plus, c’est par rapport à d’autres entreprises que l’on optimise son expérience candidat ou son expérience collaborateur, et contre des employeurs concurrents qu’on se bat pour faire venir des candidats. Et lorsque que les entreprises s’efforcent de fidéliser ou de retenir leurs salariés sur le départ, c’est aussi pour contrer les opportunités proposées par d’autres entreprises. Cette situation inédite nous rappelle que plus nous nous rapprocherons du plein emploi et plus nous prendrons conscience que la compétition entre entreprises s’étend au marché des talents et qu’elle n’est pas moins déterminante pour leur survie.

Lucie Mendes
Fondatrice du cabinet de recrutement Scalliance


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