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Pierre Gattaz sort du silence

Piette Gattaz, l'industriel du groupe familial Radiall et ancien patron du Medef, prend sa plume dans un livre plaidoyer pour pousser la nouvelle génération à avancer et à s'impliquer. Entretien avec un chef d'entreprise qui fait et qui y croit.

Pierre Gattaz (Photo ELIOT BLONDET/ABACAPRESS.COM)

« Enthousiasmez-vous ! » est-il une réplique à l’« Indignez-vous » de Stéphane Hessel ?

Pierre Gattaz : En quelque sorte. Il est plus facile de s’indigner, de protester que de s’enthousiasmer. La France est un pays dont la population est assez pessimiste, voire triste, ce que l’on retrouve dans les classements mondiaux. Un phénomène anormal lorsque l’on pense à notre patrimoine historique, littéraire, scientifique, sans oublier une économie dont le taux de chômage est en baisse et où les jeunes veulent plutôt devenir aujourd’hui entrepreneurs que fonctionnaires.

Nous sommes sur la route du plein emploi, l’image de la France a changé auprès de nos voisins européens, car des réformes courageuses ont été faites. Cela me rend optimiste et enthousiaste pour le pays. Je souhaitais partager cela avec nos compatriotes et notre jeunesse, car l’environnement global est difficile, avec des guerres, des taux d’intérêt qui grimpent, un monde difficile et nerveux. C’est hélas le lot de l’humanité quel que soit le siècle. Mon ouvrage est à rebours de cela, c’est une ode à l’optimisme, à la France, aux réformes, à l’entrepreneuriat.

Le « patron » est aujourd’hui remplacé par « l’entrepreneur ». Ce changement de vocabulaire est-il significatif ?

Pierre Gattaz : C’est une évolution très intéressante, même Jean-Claude Mailly de FO se revendique entrepreneur. L’entrepreneuriat est à présent pour beaucoup la voie permettant de faire quelque chose de sa vie, de prendre des risques, de passer à l’action professionnellement et personnellement. Le statut d’autoentrepreneur est en cela une belle avancée, un sas utile qui permet de se lancer pour mettre à l’épreuve ses motivations, se tester, vérifier que l’on a les qualités requises pour aller plus loin ou tout simplement revenir au salariat.

Que prônez-vous concrètement en matière de simplification, de baisse de la fiscalité sur le travail ? Votre père, Yvon Gattaz disait « l’entreprise n’a pas besoin d’aides, elle a besoin d’air ».

Pierre Gattaz : Cette phrase est toujours valable. Trois sujets restent des défis, même si Manuel Valls et Emmanuel Macron ont accompli des réformes fiscales importantes. Il y a eu la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, le processus de simplification avec la flat tax, la transformation de l’ISF, un impôt politique, en IFI, les lois prudhommales. Toutes sont des réformes courageuses, qui ont permis au taux de chômage de passer de 10% à 7% et de restaurer la confiance des patrons. Et la confiance équivaut à 50% de la croissance, pour plagier un ministre allemand. Il convient de poursuivre la réduction des dépenses publiques, qui sont à 57% du PIB, un décalage énorme par rapport à l’Allemagne ou la Suisse par exemple. Or, nos entreprises évoluent au sein d’une concurrence internationale. Xavier Fontanet (Essilor) disait que l’on ne peut faire gagner son cheval avec un jockey obèse. Un de vos chevaux de bataille principaux semble être la nécessaire réforme de l’État…

Oui, c’est le premier sujet que je souhaite mettre en avant, qui est la révolution nécessaire du management dans la sphère publique, l’intégration de méthodes modernes et participatives, du type qualité totale. Car pour modifier et rentabiliser le secteur public, il faut le faire AVEC les fonctionnaires, et non sans eux. Il convient de les impliquer, les motiver, les récompenser pour trouver les solutions. Le second sujet est celui de la simplification. Nous sommes des fous furieux de la complexité. Or, le génie est au contraire de simplifier la complexité. Steve Jobs a créé un smartphone très complexe techniquement et utilisable par un enfant de cinq ans. Faisons la même chose de l’administration française, cessons de multiplier les lois. Tout cela nous asphyxie, coûte cher à la collectivité et aux entreprises. Il y a par exemple la règle du « 1 in, 2 out » chez les Anglais, les Canadiens ont inventé les lois à durée déterminée, les Allemands disposent de concepts d’évaluation ante et post-loi afin d’en valider les bienfaits, ou pas. Il nous faut aller jusqu’au bout du processus de simplification engagé sous François Hollande avec Guillaume Poitrinal, pour y parvenir, le Président de la République doit s’impliquer personnellement. Ce n’est pas une affaire politique, car les fonctionnaires sont aussi les victimes de ce système, des personnes engagées que le système broie.

Comment redonner du pouvoir d’achat à nos salariés sans perdre en compétitivité ?

Pierre Gattaz : Il faut baisser les charges sociales et patronales. 100 euros de salaire équivalent à 184 euros chargés. Il faudrait tendre vers la moyenne européenne qui se situe à 150/160 euros. L’idée est que les 2/3 ou les . de cette économie se retrouvent ensuite dans les salaires nets. Évidemment, cela signifie une révision des dépenses de la Sécurité sociale et de la prévoyance principalement, des secteurs dont la gestion n’est pas exemplaire. Il y a ainsi 35% de gestionnaires dans l’hôpital (25% en Allemagne), et la tendance se poursuit.

Il convient de trouver le courage pour modifier cette situation, et réintégrer de la récompense dans le système, avec des primes, des bonus pour les fonctionnaires. Remettre de l’humain dans une administration que l’on a progressivement déshumanisée, démotivée en pensant que le management moderne était une simple gestion ou réduction des coûts. Ces trois idées un peu révolutionnaires sont essentielles pour l’Entreprise France.

La France doit-elle être gérée comme une entreprise ?

Pierre Gattaz : J’aimerais que les étudiants de l’ENA aient l’obligation d’aller dans des PME pendant deux ans, cela leur serait bénéfique. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, les pays qui réussissent le font grâce et avec l’entreprise. Y compris en Chine où l’ancien dirigeant a sorti 600 millions de Chinois de l’extrême pauvreté en favorisant la création d’entreprises.

Mon livre est aussi un « coup de gueule » envers la politisation du sujet. L’entreprise crée de la richesse, de l’emploi, de la vie, la redistribution doit passer par elle. Nous sommes seulement 28ème dans le classement de la richesse individuelle par Français. Il faut progresser sur ce point et ne pas parler que du PIB dans son ensemble qui permet de tout payer sans instaurer des devoirs face à des droits.

Vous souhaitez que le Président « nettoie les écuries d’Augias » dans un pays qui adore ajouter des lois aux lois, croyez-vous sincèrement au changement ?

Pierre Gattaz : Je suis optimiste et enthousiaste, notamment parce que c’est un gouvernement socialiste qui a fait des réformes entrepreneuriales. Il a compris que l’entreprise n’est ni à gauche, ni à droite. Chez nos voisins aussi, il a fallu prendre le risque de l’impopularité pour parvenir au « miracle économique allemand ». C’est M. Schroeder qui a subi des problèmes de grève pendant trois ans avant que les résultats de cette politique fassent l’unanimité. Ainsi, nous devons donc continuer.

La France doit être plus compétitive et productive, ces qualificatifs ne sont pas des mots indécents. Je suis convaincu que l’entrepreneur peut embarquer les Français dans une réussite profondément humaine et environnementale.

Un mot sur la valeur travail face à la valeur vie privée dans l’entreprise d’aujourd’hui ?

Pierre Gattaz : La révolution Covid est passée par là. Pendant quelques mois, les citoyens se sont habitués à gagner de l’argent alors que l’économie était quasiment à l’arrêt. Ce fut le moment de se poser des questions telles que : Est-ce la vie que je veux ? Ces changements induits sont plutôt conjoncturels que structurels. Plus nous avançons vers le plein emploi, plus le rapport de force va s’équilibrer. Car chacun va voir qu’il est indispensable de prêter une grande attention à ses salariés en période de plein emploi.

Être un bon manager sera encore plus important pour que les salariés soient et restent heureux dans l’entreprise, publique ou privée. L’équilibre de vie est nécessaire, avoir plusieurs activités, sportives ou autres, participe également à l’enrichissement global du travail. Cela est d’autant plus essentiel que lorsque l’équipage est bien traité, il reste à vos côtés dans les orages violents, et il y en a. Chez Radiall, il y a eu plusieurs crises graves qu’il a fallu traverser ensemble.

Le plein emploi est un objectif extraordinaire, car si un chômeur coûte à la collectivité, un salarié heureux peut s’enrichir lui-même et enrichir l’économie dans un cercle vertueux. Dans ce contexte, il peut choisir parmi les entreprises, les secteurs d’activité, c’est donc à nous, les patrons, d’être suffisamment bons pour l’attirer et le garder.

Un mot sur votre investissement dans un domaine viticole en Luberon…

Pierre Gattaz : Oui, j’en parle dans mon livre, car j’ai souhaité partager l’expérience et les expériences acquises et vécues, les anecdotes amusantes, en toute humilité, car je ne suis ni philosophe ni économiste. J’évoque la Provence, et le Château de Sannes, où 8 à 9 personnes travaillent, et où rien n’est évident, car pour un entrepreneur, gérer une TPE peut s’avérer presque plus compliqué que de gérer Radiall ! Je recommande d’ailleurs aux ministres et députés de créer leur TPE, d’embaucher au moins une personne et de faire le travail. Ils verront alors ce qu’est vraiment la gestion, dans tous les sens du terme.

Propos recueillis par Anne Florin

À lire :
Pierre Gattaz, Enthousiasmez-vous, aux éditions du Rocher.

Sur Entreprendre.fr :
Économies et réforme de l’Etat : et si Pierre Gattaz avait raison ?
Pierre Gattaz demande aux chefs d’entreprises « d’arrêter de baisser la tête ! »


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