Je m'abonne

On n’a pas fini d’entendre parler de Vincent Bolloré !

Photo Daniel Derajinski / ABACAPRESS.COM

Plus qu’un symbole, son parcours extraordinaire résonne comme une épopée sans limite dans le petit monde feutré du capitalisme tricolore par trop cloisonné !

La cession de la branche transports de Bolloré Logistics à CMA-CGM n’est-elle que l’arbre qui cache la forêt ? Au-delà de ce vaste recentrage, une stratégie mûrement calculée pour pouvoir peser encore plus dans le monde des médias, de l’audiovisuel et de l’édition.

Vincent Bolloré reste décidément à 71 ans un maître tacticien en matière de rachat et de cession d’affaires. Dans les années 1981, repreneur de la papeterie familiale en quasi faillite OCB en Finistère (fondée en 1822) et racheté 4 € ; il en s’en sera fait une spécialité après un bref séjour passé à la Compagnie financière de Rothschild pour parfaire ses connaissances financières de banquier d’affaires. Le moins que l’on puisse dire est que c’est réussi ! Au-delà des OPA réalisées sur SCAC, Delmas-Vieljeux, la banque Rivaud, ou Havas ; on se souvient de certaines plus-values acquises (son aller-retour sur 9% de Bouygues lui a rapporté en 1998 231 millions d’euros. Idem pour Pathé, où son raid manqué lui fait gagner en un an 120 millions d’euros.)

Surnommé, dès cette époque, « petit prince du cash flow » par la presse économique et notamment le magazine « Entreprendre » (numéro 13) qui le révélera au grand public en couverture dès le mois de mars 1987, le Petit Prince s’est transformé en empereur et son territoire fait aujourd’hui partie des 500 plus groupes mondiaux, avec un chiffre d’affaires consolidé de 20,6 milliards d’euros en 2022 pour 56 000 salariés dans le monde. Une performance exceptionnelle pour une saga familiale hors-pair dont notre pays ferait bien de s’enorgueillir.

Pour le rachat de Bolloré Logistics, les clans Saadé et Bolloré étaient entrés en négociation exclusive dès le 18 avril dernier. L’affaire n’a pas traîné, même pas un mois ! Cela fait deux ans que le marseillais Rodolphe Saadé convoitait l’affaire de 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour 13 000 collaborateurs. Le PDG du groupe Bolloré, Cyrille, fils aîné de Vincent, entretient de bonnes relations avec le président de CMA CGM. Avec ses 25 milliards d’euros de résultats nets en 2022, l’armateur marseillais paye 5 milliards pour conforter son statut de poids lourd de la logistique mondiale. Un bon choix !

La façon détestable dont est traité, en revanche, le conquistador breton par toute une partie de la presse correspond davantage à un parti-pris idéologique qu’à une analyse objective de la montée en puissance d’un groupe français qui compte et qui a bien l’intention de continuer à peser dans le secteur si stratégique des médias en proie à une domination sans partage des majors américaines. Nos observateurs avisés n’hésitant pas à qualifier Vincent Bolloré d' »ogre » oublient un peu vite qu’il ne reste qu’un poids léger francophone à l’échelle planétaire face aux divisions lourdes des armadas mondiales des groupes média Netflix, ViacomCBS, Disney, Fox, Discovery. Et sans même parler d’Internet et des fameux GAFAM : Google, Meta, Twitter ou Amazon.

Fait-on payer au patron de la Financière de l’Odet (qui détient 75% des droits de vote du groupe Bolloré) ses prises de positions courageuses au plan politique (Zemmour, Sarkozy… voire Pascal Praud ou Cyril Hanouna) qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Notre microcosme médiatico-politique est-il à ce point sevré à la vulgate de l’ultra-gauche ou de LFI pour ne plus supporter le moindre grain de sable droitier dans ce savant dispositif jusque-là bien établi ? Nous en sommes là.

Et notre pays étonnamment se surprend de ne pas pouvoir entreprendre les réformes courageuses qui ont déjà été opérées chez nos principaux partenaires ou compétiteurs. Ne cherchez pas l’erreur. Le ver est dans le fruit. Nos médias dans leur grande majorité ne sont guère enclins à encourager les décisions difficiles voire impopulaires dont le pays a tant besoin.

Vincent Bolloré lui aura osé franchir le Rubicon (et ce n’était pas facile dans un pays où le conformisme du grand patronat reste une seconde nature. Vous avez entendu un grand patron dans le débat sur les retraites ?). Cette posture de l’entrepreneur breton fera date. Grâce lui en soit rendue. D’ailleurs, certaines informations actuelles font penser qu’il ne restera pas le seul… en la matière.

Aux dernières nouvelles, un certain Bernard Arnault ne décolérerait pas de voir l’évolution et la dégradation de la situation française, de son climat, de ses blocages et de ses violences. Et il réfléchirait à accroître encore notablement ses positions dans les médias afin justement de mieux pouvoir contribuer au redressement du pays. Qui pourrait l’en blâmer ? Ce serait même à porter à son crédit.

Il ne serait d’ailleurs pas le seul ces derniers temps à vouloir le faire. De Rodolphe Saadé à Xavier Niel voire Daniel Kretinsky ; ils sont nombreux nos grands capitaines d’industries à vouloir davantage peser dans le débat public. Et ce n’est pas uniquement pour faire prospérer leurs propres positions même si cet aspect est bien entendu également présent.

Vincent Bolloré, pionnier du courage en matière d’investissement média, voit plus loin tant il n’ignore pas combien les médias deviennent prégnants dans l’évolution de nos sociétés. À ce titre, il est bien décidé à continuer à y tenir toute sa place.

Ne serait-ce qu’au plan de la défense de la langue française ou de la culture latine, Vivendi n’a jamais ainsi caché sa volonté de constituer une alternative audiovisuelle de poids apte à résister au raz-de-marée des séries et de l’audiovisuel anglo-saxon. Malgré ses difficultés en Italie avec Telecom Italia ou Mediaset/Berlusconi, Vivendi n’a pas renoncé pour autant à ses ambitions. Au-delà des Pyrénées, il vient d’annoncer une prise de participation de 15 % dans le capital du puissant groupe espagnol Prisa, éditeur du quotidien El Pais. En attendant sans doute mieux ?

Autant de raisons qui ne peuvent que pousser, dans les mois qui viennent, le propriétaire de Canal, Prisma et Lagardère à consolider encore ses positions au sein même du groupe Vivendi. Outre son trésor de guerre actuel (1,6 milliard d’euros issu de la cession fin 2022 de Bolloré Africa Logistics au géant italo-suisse MSC – vendu au total 5,7 milliards d’euros) ; il faut y rajouter le montant de 5 milliards tiré de la vente de Bolloré Logistics à CMA-CGM. Un pactole qui ne sera pas de trop pour prendre la majorité du principal groupe média français. À ce jour, le groupe Bolloré, qui ne détient que 30 % de Vivendi, serait tenté d’en prendre le contrôle (60 %), quitte à lancer ensuite une OPA sur le solde des actions. D’autant que Vivendi, qui est coté sur Euronext, constituerait une opportunité de choix assez idéale pour les nouveaux raiders sans limite que sont devenus les Kretinsky, Saadé, Niel ou Arnault.

On n’a donc pas fini de parler de ces grandes manœuvres ni de Vincent Bolloré. Son exceptionnel parcours dans le petit monde feutré du capitalisme hexagonal devrait inspirer d’autres grands entrepreneurs en mal d’épopée. Notre pays a tant besoin de ces nouveaux corsaires. Et peu importe qu’ils soient Bretons ou Provençaux…

Robert Lafont


Vous aimez ? Partagez !


Entreprendre est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Offre spéciale Entreprendre

15% de réduction sur votre abonnement

Découvrez nos formules d'abonnement en version Papier & Digital pour retrouver le meilleur d'Entreprendre :

Le premier magazine des entrepreneurs depuis 1984

Une rédaction indépendante

Les secrets de réussite des meilleurs entrepreneurs

Profitez de cette offre exclusive

Je m'abonne