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Nouvelles influences politiques en Afrique : quelles conséquences pour la France ?

L'Afrique, qui est un continent dynamique, a été le théâtre de nombreuses évolutions socio-économiques au cours des dernières décennies. Ces changements politiques ont souvent été accompagnés d'une influence croissante de nouveaux acteurs, tant internes qu'externes avec des conséquences notoires sur les investissements et les partenariats commerciaux et le développement des régions et sous-régions du continent.

Photo Tomas Stevens/ABACAPRESS.COM

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La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

DOSSIER SPECIAL : Les nouveaux enjeux de l’Afrique

Les pays africains, nés de la décolonisation, héritiers d’une histoire ancienne et riches de nombreuses potentialités, sont en général très étendus, mais leurs territoires ne s’est pas formé, loin de là, autour d’une entité, d’une identité ethnique unique. Les hasards politiques, par exemple sur le golfe de Guinée, ont croisé les aspects géographiques avec les répartitions ethniques. Les États (Libéria, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigéria) tous ouverts sur l’océan, s’étagent depuis la bande côtière jusqu’aux régions désertiques, en passant par la forêt tropicale et la savane, tandis que les peuples, eux se répartissent horizontalement, en ethnies différentes qui vont et viennent sans tenir compte des frontières.

Et c’est, dans de nombreux pays d’Afrique, les mêmes caractéristiques qui font que sont agglomérées au sein d’entités politiques disparates mais se voulant uniques, des ethnies fort diverses, parfois inconciliables. La population du Congo, par exemple, en rassemble au moins quatre composantes au sein de populations appartenant au groupe « Bantou », lesquelles se subdivisent en des dizaines de sous-groupes, comme les sous-groupes Kongo et Mbochi, ainsi que des sous-groupes moins importants qui se divisent tous en des dizaines de peuples, parfois perdus dans l’intérieur des territoires, et souvent difficiles à identifier.

Tout cela pour préciser que l’idée de Nation a eu beaucoup de mal à se définir avec cette liste fort étendue d’ethnies. La multiplicité des ethnies et leurs différences fondamentales ont, de tout temps, complexifié les rapports internes, les alliances politiques et la stabilité des gouvernements, y compris après la vague d’indépendance des années soixante. Il en découle donc que les européens n’ont qu’une vision très approximative des réalités humaines africaines dont les ressorts leur demeurent souvent inconnus, ou pire, dont ils ne comprennent que très peu le fonctionnement.

Il n’est effectivement pas simple de comprendre les évolutions politiques des pays Africains !

On peut s’en approcher en se référant à quelques exemples récents comme ceux du Gabon, du Mali ou du Burkina-Faso. Le Gabon, avant de devenir un pays indépendant, a été connu dès la fin du XVe siècle pour ses comptoirs ouverts pour favoriser le commerce triangulaire, la traite des noirs en premier lieu, mais aussi le commerce de l’ivoire ou des bois rares. Un système qui fonctionnait, cela va de soi, avec la complicité des ethnies les plus puissantes vivant sur la côte et qui s’enrichissaient en vendant aux européens des esclaves venant d’ethnies originaires de l’intérieur du pays.

Jusqu’à la vague d’indépendances des années 1960, les pays colonisateurs ont poursuivi une stratégie similaire, ouverture de comptoirs, construction de forts pour se protéger les uns des autres, pillage des ressources naturelles locales et enrichissement considérable par le recours à l’esclavage.

Les Européens, en réalité, sont souvent demeurés sur les côtes, hormis quelques explorateurs aventureux et quelques missionnaires humanistes, et n’ont jamais trop cherché à occuper le pays.

D’ailleurs lorsque le Gabon cherchera à obtenir un statut de département français, on sait que c’est le général de Gaulle qui a poussé lui-même le futur président M’Ba à se libérer de la tutelle française. Ce dernier finira pour cause de maladie, par laisser sa place à son directeur de cabinet, Albert Bongo, avec l’appui soutenu de l’Élysée, moyennant quelques contreparties, comme l’accès libre à deux ressources stratégiques, le pétrole et l’uranium, exemple parlant de ce que l’on appelle désormais la Françafrique.

Après les événements du Mali en 2023 et que les troupes françaises ont dû quitter le pays, ce qu’il s’est passé au Burkina-Faso est révélateur d’un basculement des alliances en Afrique. Officiellement, les gouvernements, reprenant en cela les récriminations portées par les populations, demandent à la France de mettre fin à leur présence dans le pays, laquelle se justifiait, parfois depuis deux décennies, par la lutte internationale essentiellement assumée par nos forces armées contre le terrorisme sahélien, et tout particulièrement contre les attaques menées d’AQMI ou de l’EIGS.

En réalité, la France a sans doute raté une chance de réaffirmer sa capacité à tenir un rôle majeur en Afrique, puisque sa présence libératrice a fini par être interprétée comme une occupation qui ne dirait pas son nom. Tout cela est, bien sûr, totalement faux, et il faut dire clairement que les accusations dont font l’objet les soldats français sont le fruit d’une campagne de manipulations orchestrée par des agents d’influence étrangers comme le groupe mafieux Wagner qui œuvrent pour pousser la France hors de ses anciennes « colonies ».

Changements de gouvernement et alliances économiques

Les changements politiques sont donc provoqués par une manipulation des opinions publiques émanant de groupes de pression étrangers qui cherchent à réajuster à leur avantage les alliances économiques existant entre l’occident et l’Afrique. La Russie, la Chine et les pays du Golfe mais aussi les BRICS ont ainsi intensifié leurs investissements et commencé à conclu des accords commerciaux dans divers secteurs touchant aux ressources naturelles et énergétiques disponibles dans les riches sous-sols du continent africain.

Pour les Burkinabés, la reprise en mains de leur destin semblait ne pouvoir passer que par le départ des Français. Mais ce n’était un leurre. Le groupe Wagner, agissant pour son chef, ou en sous-main pour le Kremlin, n’était donc là que pour organiser la captation mafieuse des richesses du pays. On a les preuves que les deux superpuissances, Russie et Chine, tentent dans le monde entier, mais en tout premier lieu dans une Afrique caractérisée par la faiblesse de ses gouvernements, de s’approprier les ressources naturelles dont elles manquent.

La « philosophie » diplomatique de ces pays est la suivante. Ils repèrent les espaces « vides », c’est-à-dire non protégés par un pouvoir fort ou par des accords internationaux visibles et s’y installent. Ce qui les intéresse, ce sont les territoires désordonnés politiquement. Et de nombreux pays d’Afrique (mais c’est aussi le cas en Amérique latine), sont dans cette situation, généralement à cause de la corruption ambiante et de l’absence d’État de droit. Chinois et Russes, sous le prétexte de libérer les peuples, un peu « pour rendre service », comme de bons commerçants, ne sont motivés que par un unique objectif, trouver des débouchés pour leurs produits, pétrole et gaz pour les Russes, objets de consommation courante pour les Chinois.

Dans ses rapports avec les pays dotés de nouveaux gouvernements qui viennent d’être cités, la France a désormais une image dégradée. Elle a trop longtemps « dépouillé » elle-même ses anciennes colonies (c’est en tout cas le sentiment qui prédomine et qui est largement relayée par une presse avide de s’ériger en inquisiteur et en Robespierre), pour être crédible dans le rôle de celui qui, par son esprit entrepreneurial bienveillant, aiderait au développement des pays concernés. Et pourtant, il y aurait vraiment matière à se méfier des « promesses » russes ou chinoises et entrer dans des négociations avec Paris pour transformer les accords existants en des offres de coopération et de soutien aux économies locales.

C’est d’ailleurs actuellement en pure perte ! Car il semble que notre pays ait quelque peu oublié que la paix est la condition de base de la relance économique. Le Burkina Faso a demandé à l’armée française de quitter le pays dans un délai très court. Depuis plusieurs mois, les autorités du pays, déçues comme nombre de ses voisins, manifestaient leur volonté de diversifier leurs partenariats en écoutant les « sirènes » russes et chinoises qui promettent « l’or du Pérou ». La France a laissé passer ses chances pour le moment car elle n’a jamais voulu ou réussi à établir des relations normales, un partenariat sain et équilibré. Elle récolte donc ce qu’elle a semé et les intérêts des entreprises françaises, ou ce qu’il en reste, sont désormais « négociés » pour une « bouchée de pain », le fusil sur la tempe.

Influences politiques sur les stratégies économiques

Comme le pensent les analystes, en France comme en Afrique, la Russie ne se bat pas en Afrique, pour l’Afrique et sa population ! Elle se bat pour développer ses intérêts et sa zone d’influence sur le continent africain ! Désormais, les dés sont jetés et ils sont même pipés ! Le président de la République Française souhaitait « des clarifications » tandis que le gouvernement burkinabé dénonçait « l’accord de 2018 sur la présence des forces armées françaises sur son territoire». Après le coup d’État qui a porté le capitaine Traoré au pouvoir en septembre dernier, les relations se sont progressivement dégradées entre Paris et Ouagadougou, sous l’influence des manœuvres russes destinées à évincer la France de son ancien empire colonial.

Alors que l’armée française s’était implantée à Ouagadougou en 2008 du fait de la stabilité du pays, elle a assisté au lent effondrement économique et politique du Burkina Faso. Parallèlement à l’appauvrissement économique du pays, la situation sécuritaire s’est progressivement effondrée dans le nord du pays, la partie la plus pauvre du Burkina, une région désormais hors du contrôle des forces de sécurité gouvernementales. Rien de très nouveau, les militaires putschistes de septembre 2022, afin de garantir leur pouvoir, ont pris des accords avec la Russie qui n’attendait que cela pour continuer son implantation en Afrique centrale et affaiblir l’influence de la France en Afrique. Les mercenaires du groupe Wagner, présents au Mali, en Libye, au Soudan et en Centrafrique, ont œuvré à l’organisation de manifestations antifrançaises partout où c’était possible, dans les quartiers pauvres de la capitale, sur les marchés et sur les réseaux sociaux.

La Russie mène une offensive sournoise contre la France en Afrique. On sait que l’intervention de ces mercenaires connus pour leurs nombreuses exactions et des crimes contre l’humanité commis en Ukraine, est également connu en Afrique pour des faits de même nature. En réalité, Wagner n’intervient que rarement dans des combats. Il s’agit surtout d’une agence de diffusion de fausses informations. Certains de ses membres ont été démasqués alors qu’ils « fabriquaient » des reportages du de faux charniers, de façon à en accuser postérieurement l’armée française. La Russie se sert des technologies de l’information et de la communication pour manipuler les esprits occidentaux. Tout le monde garde en mémoire les interférences des médias russes et du groupe Wagner pour troubler les élections présidentielles françaises de 2022, et des menées de même nature ont été découvertes lors des élections américaines.

Il s’agit donc d’une guerre de communication de nature à bouleverser, en Afrique, des équilibres politiques et économiques qui, s’ils n’étaient pas parfaits, disposaient de réelles références aux valeurs démocratiques du vieux continent. Wagner, quoi que l’on croie, n’est pas une armée, le groupe est inorganisé et ne dispose pas de structures de commandement. Le groupe dispose de correspondants mais n’a pas actuellement de troupes au sol dans tous les pays d’Afrique subsaharienne. Wagner achète ou se procure des canaux de radio afin de pouvoir diffuser de fausses informations, des « fake news » concoctées par les usines à troll russes, dont le but est de dresser les populations locales contre « l’occupant » français, bouc émissaire idéal.

Avant son « exécution », selon toute vraisemblance par les services secrets russes, le milliardaire Prigojine disposait de nombreux atouts. Outre sa société de sécurité Wagner, il s’était diversifié dans le domaine militaro-industriel. Son entreprise de restauration, Evro Polis, basée à Moscou, a été recyclée dans l’exploitation minière et la production pétrolière et gazière. En 2016, il avait signé un contrat avec les autorités syriennes, lui assurant 25 % des revenus des champs de gaz et de pétrole repris par ses hommes de Wagner, au groupe jihadiste État islamique. Ces sources de revenus ne se sont pas éteintes pour tout le monde !

Ces nouvelles influences politiques en Afrique, souvent mensongères, conduisent de facto à des ajustements significatifs dans les politiques économiques des gouvernements. Les changements de leadership, qu’ils soient issus de processus démocratiques ou de mouvements politiques, ont souvent été suivis par des réformes économiques. Ces réformes peuvent aller de la libéralisation des marchés à la refonte des politiques fiscales et monétaires.

Un exemple notable est l’évolution politique au Nigeria, où l’alternance démocratique a entraîné des réformes économiques visant à diversifier l’économie au-delà du secteur pétrolier. Ces changements de cap ont entraîné des répercussions sur les investissements, l’emploi et la stabilité économique du pays.

Conséquences sur la croissance de l’insécurité politique et sur les équilibres économiques

Les nouvelles influences politiques en Afrique ont également façonné les relations économiques avec les partenaires étrangers. L’émergence de nouvelles alliances politiques a souvent entraîné des changements dans les flux d’investissements étrangers directs (IED). Certains pays africains ont attiré davantage d’investissements en développant des liens avec des puissances émergentes, tandis que d’autres ont renforcé leurs relations avec des partenaires traditionnels. C’est le cas des investissements chinois en Afrique qui ont ainsi connu une croissance spectaculaire, stimulés par des partenariats politiques solides, et dont l’impact a été significatif sur les infrastructures, les industries extractives et le commerce dans de nombreux pays africains, même s’ils ont également soulevé des questions sur la durabilité et la transparence.

Les nouvelles influences politiques en Afrique entraînent des conséquences profondes sur la croissance économique. Si certaines régions ont bénéficié de réformes positives, d’alliances stratégiques et d’investissements, d’autres ont été confrontées à des défis tels que l’instabilité politique, la corruption et la dépendance économique. La stabilité politique et la bonne gouvernance demeurent des facteurs clés pour assurer une croissance économique durable. Les pays qui parviennent à combiner des politiques économiques bien conçues avec des institutions fortes et une stabilité politique ont plus de chances de prospérer.

Les échecs rencontrés par les pays occidentaux, mais notamment par la France, tiennent au manque de clairvoyance dont ont fait preuve nos responsables politiques durant 20 ans. Notre pays, la France, seul et sans avoir pu trouver chez nos voisins européens, voire chez les américains, les alliés nécessaires pour une intervention de type « casques bleus », a pris, tout particulièrement après les attentats qui ont frappé Paris en 2015, la décision d’engager une lutte acharnée contre le terrorisme islamique en ciblant les groupes disséminés sur la bande Sahélienne. L’opération militaire Barkhane menée par l’armée française, avec une aide secondaire d’armées alliées locales, visait à lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes dans toute la région du sud Sahara et du Sahel. Lancée en 2014, elle remplaçait les opérations Serval et Épervier et s’inscrivait une stratégie englobant les différents États de la zone, mobilisant toujours plusieurs milliers de soldats des forces spéciales.

Chacun sait que les troupes considérées au départ comme libératrices, finissent, lorsque les routines s’installent, par devenir, dans l’esprit populaire, des troupes d’occupation, surtout lorsque les populations sont manipulées par des groupes de pression qui trouvent là un bon moyen de faire avancer leurs propres pions sur l’échiquier de leurs intérêts personnels.

De telles opérations, comme celles voulues par la France, auraient dues être limitées dans le temps. Cela a valeur de principe. Mais ce n’est pas forcément aisé d’y mettre fin, car les combats contre de petits groupes extrêmement mobiles et dispersés sur un territoire immense (une bande de 5.500 kilomètres de longueur sur 400 à 500 kilomètres de largeur), en entraînent d’autres, et c’est sans fin.

Dans le même temps, il faut faire face à de nouveaux modes d’action, un terrorisme lié directement à la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine, ou, et ce à l’échelon international, des opérations menées par des groupes comme « Wagner ». La France a quitté la zone subsaharienne, et depuis, les choses ne cessent d’empirer. Les terroristes s’en prennent de plus en plus aux militaires loyalistes, et agissent désormais ouvertement, y compris dans la capitale.

Comme le disait il y a quelques mois l’ancien président François Hollande : « Y a-t-il moins d’attentats et moins d’actions djihadistes depuis que les Français sont partis ? Non, c’est pire. Le djihadisme frappe même désormais au sud du Mali. Or Wagner, c’est un groupe privé qui vit des prédations qu’il opère. Les néocoloniaux, ce sont les hommes de Wagner ».

Conclusion

Les nouvelles influences politiques en Afrique ont des effets qui vont bien au-delà du continent et dessinent une ébauche de la cartographie socio-économique du monde de demain. Sans être devin, on doit craindre que l’impact des conflits militaires actuels ou futurs, ne débouche sur un monde se répartissant en trois ou quatre grands blocs, et que l’influence de la France dans la gouvernance de la planète ne se limite bientôt qu’aux seuls contours de l’hexagone.

Comment inverser la tendance alors que la Francophonie regroupe 700 Millions de personnes ! Un sursaut est indispensable ! La France n’appartient pas seulement aux Français. C’est là le seul levier qui pourrait nous permettre d’exister de nouveau sur cet échiquier à géométrie variable… et de jouer de nouveau un rôle de « grand frère » sur le continent Africain !

Bernard Chaussegros


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1 commentaires sur « Nouvelles influences politiques en Afrique : quelles conséquences pour la France ? »

  1. « Un rôle de grand frère » cette phrase a elle seule démontre toute l’arrogance et le paternalisme, reproché par les Africains…

    Répondre

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