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Michel Onfray : « Qui peut tordre le bras de Poutine ? Sûrement pas Macron »

Quentin Salinier/ABACAPRESS.COM

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Dans cet entretien sans langue de bois, le philosophe Michel Onfray évoque la crise existentielle de l’Occident, la guerre en Ukraine et le rôle d’Emmanuel Macron.

Tom Benoit : Michel Onfray, nous nous étions rencontrés il y a quelques semaines lors de l’enregistrement d’un numéro de Philoscopie (TV-5Monde) consacré à l’architecture et à l’urbanisme. Aujourd’hui, j’ai une question à vous poser à propos de la fin de l’hégémonie occidentale qui est tant redoutée. Lorsqu’on lit l’entretien que vous avez récemment mené avec Michel Houellebecq, l’issue semble en tout cas être fatale. Selon-vous, Michel Onfray, durant les années à venir, est-il plus envisageable que nous assistions à un regain de corrélation entre la richesse d’un Etat et la détention de ressources naturelles par ce même Etat, ou plutôt à l’élaboration d’un nouvel échiquier de domination ? Jusqu’à présent l’échiquier de domination nous portait vainqueurs. Qu’en sera-t-il demain ?

Michel Onfray : Vous avez parlé de l’Occident, il faut éclairer le concept. Parce que je pense qu’il y a deux Occidents. Il y a un Occident qui s’effondre. Il s’agit de la France et de l’Europe ; c’est un monde ancien. Mais il y a un autre Occident qui est le monde judéo-chrétien sur la totalité de la planète. Si on élargit cette Europe, on voit bien qu’on a beaucoup de choses en commun avec l’Australie, avec la Nouvelle-Zélande, avec les États-Unis, avec le Canada par exemple. Et si c’est fini pour nous – l’Europe -, ce que je pense, ce n’est pas fini pour les États-Unis.

Vous savez aussi que les États-Unis, c’est un mouvement de la côte Est vers la côte Ouest. C’est-à-dire que quand les migrants de l’époque pour ainsi dire, arrivent sur cette côte – y compris les Vikings quand ils arrivent il y a mille ans –, ils s’installent, et puis ils poussent les populations autochtones, ils détruisent les Indiens qui sont là ; et ils arrivent sur la côte Ouest, en puis après il n’y a plus rien… Et je pense que l’avenir de l’Occident est là-bas. C’est-à-dire sur la côte Ouest, à San Francisco, à Los Angeles ; il n’est plus à Paris, et il n’est sûrement pas en Europe.

« L’avenir de l’Europe est à San Francisco »

Quelque chose se passe là-bas, qu’on appelle le transhumanisme. Et puis nous sommes très à la traîne… J’entendais récemment Bruno Le Maire nous dire qu’il faudrait que nous soyons au point sur la question de l’ordinateur quantique. Pour être à la pointe du quantique, il faudrait déjà que l’on ait un ordinateur. On n’a pas d’ordinateur français. On n’a pas non plus un ordinateur européen.

Il en est de même pour les moteurs de recherche, qui ont du pouvoir. Vous savez par exemple que quelqu’un comme Obama s’est fait élire avec les algorithmes. Nous savons aussi qu’Emmanuel Macron s’est également fait élire avec les algorithmes. On cible des gens, on va chercher des gens… Alors on est parfois surpris d’entendre Macron dire une chose, puis dire autre chose. Sauf qu’il segmente, il s’adresse à des gens, et en- suite à d’autres ; in fine tout le monde a entendu ce qu’il devait entendre, et c’est ainsi qu’on récupère les voix. Donc on sait aujourd’hui que les GAFAM disposent d’un pouvoir sur les corps, les cœurs et les âmes. Évidemment, cela se passe sur la côte Ouest des États-Unis et pas en Europe occidentale.

Par rapport à l’Europe justement, vous précisiez dans ce dernier entretien que vous n’êtes pas farouchement opposé à l’idée de l’Europe…

Michel Onfray : Effectivement.

Naturellement, on ne peut pas être opposé à l’Europe comme territoire. Il y a évidemment deux Europes ; une Europe économique, et une Europe de civilisation – une Europe territoriale. Dans l’absolu, à quoi correspond l’Europe qui toucherait grâce à vos yeux – à votre esprit ?

Michel Onfray : Il y a un élément de langage qui est employé par ceux que j’appelle les maastrichtiens ; c’est-à-dire ceux qui ont voulu une Europe fédérale dans laquelle on dilue les nations pour fabriquer un nouvel État.

« Il y a un Occident qui s’effondre. Il s’agit de la France et de l’Europe. C’est un monde ancien »

Cette Europe est trop grande…

Michel Onfray : Non, cela aurait pu se faire aussi ainsi. Par contre, je ne pense pas que cette Europe ait nécessité la destruction de peuples, des langues, des cultures et des traditions. Donc je suis contre cette Europe maastrichtienne. Des gens usent d’un abus de langage en disant : « Si vous êtes contre l’Europe maastrichtienne, c’est que vous êtes contre l’Europe ». Non. Je ne connais personne qui soit contre l’Europe.

On peut être contre l’Europe de Maastricht, mais être – et je réponds directement à votre question – pour une Europe gaullienne ; une Europe de l’Atlantique à l’Oural. Gorbatchev a demandé une Europe de l’Atlantique à l’Oural. On lui a répondu : « trop petit mon ami, c’est terminé, tu t’es effondré… ». La suite, nous la connaissons, Eltsine, le FMI, et puis on a humilié la Russie jusqu’à ce qu’elle re- vienne ; retour du refoulé. On n’a jamais fait cette Europe-là, de l’Atlantique à l’Oural. On vous dit aujourd’hui : « Il y a une Europe maastrichtienne qui est formidable ». Alors l’Ukraine en veut.

L’Ukraine ne voulait pas de l’Europe il y a encore quelques années, en 2014…

Michel Onfray : Bien sûr. Alors que la Russie voulait de l’Europe. On oublie que Poutine a voulu faire partie de cette Europe-là.

D’ailleurs, à ce propos, j’aimerais avoir votre avis. Je me suis rendu en Ukraine il y a quelques semaines pour organiser une émission avec Volodymyr Zelensky. Après avoir discuté sur place avec des Ukrainiennes et des Ukrainiens, je peux attester qu’il apparaît évident qu’ils appartiennent à un peuple qui ne veut pas être affilié de près ou de loin à la Russie.

Pour autant, considérez-vous qu’il y a une once de légitimité dans les fondements du combat qui est mené par Vladimir Poutine ?

Michel Onfray : Je pense que les combats culturels peuvent se mener. Poutine a tort de mener ce combat, mais on a toujours raison de mener des combats culturels ; on ne le fait pas avec des missiles. On ne tire pas sur des civils. Rien ne peut justifier cela.

Que l’on soit Américain, Russe ou Français d’ailleurs…

Michel Onfray : Oui. Personnellement je suis souverainiste, et je le suis aussi pour les Ukrainiens. J’adore entendre les gens nous dire qu’il faut une Ukraine ukrainienne, une Ukraine avec un drapeau, une Ukraine avec un hymne, une Ukraine avec une monnaie, une Ukraine avec une identité… C’est formidable. C’est très exactement ce que je demande pour la France. C’est ce que je demande pour tous les pays. Moi, j’étais d’accord pour que Poutine puisse avoir un projet de politique générale et globale.

« Il va falloir arrêter de croire que nous sommes grands et puissants. »

Vous faites superbement de la géostratégie ; il fait de la géostratégie, nous n’en faisons plus. L’Iran en fait. La Turquie, la Russie, la Chine, les États-Unis font de la géostratégie. La France n’en fait plus. On se laisse balloter, on prend des avis à Bruxelles et Bruxelles prend des avis aux États-Unis. Alors qu’il fallait faire de la politique. Le général de Gaulle faisait de la politique. On fait de la politique aussi avec des gens que l’on n’aime pas. Cette guerre avec l’Ukraine a déjà plusieurs années.

Le conflit a démarré un peu avant les révolutions de Maïdan.

Michel Onfray : Oui.

Nous poursuivons de nombreux accords avec la Russie. Nous avons des projets dans le nucléaire qui se poursuivent avec les Russes. Du matériel a été livré à Marseille dans ce cadre-là il y a quelques semaines – donc, quoi que l’on en dise, nous continuons à collaborer avec la Russie.

Michel Onfray : Qui peut tordre le bras de Poutine ? Pas la France. Sûrement pas Macron. Pas Ursula Von Der Leyen. Éventuellement le président chinois. Arrivera un moment lors duquel les États-Unis et la Chine diront : « Il faut arrêter tout cela ». Et à ce moment-là, Poutine obéira.

Propos recueillis par Tom Benoit, directeur de la rédaction de Géostratégie magazine


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