Je m'abonne

Mélodies automnales dans les vignes de Château Brane-Cantenac

Ici, dans le Haut-Médoc, dans l’appellation Margaux, les vendanges sont terminées depuis plus d’un mois. Le millésime 2023 tiendra-t-il les mêmes promesses que celui de 2022, à l’heure où le Bordelais vit une crise sans précédent de sur-production ? Au domaine, les équipes sont fidèles depuis plus de 30 ans ; depuis que Lucien Lurton a passé la main à son fils Henri. Reportage aux couleurs automnales.

Photos Antoine Bordier

Afficher le sommaire Masquer le sommaire

L’arrivée sur la presqu’île du Médoc ressemble à une poésie. Vu du continent, le paysage change avec douceur, par petites touches picturales. Comme si ces 1889 km2 de bois, d’étangs, de lacs, de marais, de rivières et de vignes, avaient essayé de se détacher du continent pour s’émanciper, avancer au large vers le grand océan. Mais le continent ne le souhaitait pas. Ce-dernier l’en avait empêché en y plantant, justement, la vigne, à perte de vue ou presque. Reine Nature avait remis à l’homme et à la femme le soin de s’en occuper.

Et l’homme, sous l’Antiquité, avait commencé à travailler le terroir. Dans le Bas-Médoc (tout en haut de la pointe, à Lesparre, à Saint-Vivien et à Soulac-sur-Mer), le moine, sous son capuchon, avait posé la première pierre de son monastère. Il était un homme de Dieu, mais, aussi, de la vigne. Bacchus n’était pas loin, non plus. Tous, étaient des vignerons. Avant l’homme en noir (le moine), déjà, à certains endroits du Médoc, les Romains asséchèrent, plantèrent et vendangèrent. La vigne est une poésie qui traverse les âges.

Depuis cette époque, il est étonnant que, dans l’inconscient de la femme et de l’homme de la rue, les stéréotypes aient gardé la vie dure. Car, ils limitent, par exemple, les pauvres Gaulois à la production et à la consommation de bière, de la fameuse cervoise. Sans doute que René Goscinny et Albert Uderzo y sont pour quelque chose. Ils ont leur part de responsabilité dans l’affaire. Notre ignorance, également. Car, aux temps anciens, au premier des temps, l’homme était un vendangeur, un viticulteur, un vigneron. Et, la femme ? Egalement…

« Et Dieu vit que la vigne était bonne »

On pourrait, ainsi, paraphraser la Bible et ses premiers textes, ceux de la Genèse, qui campent la création de notre humanité, avec Adam et Eve, (nos ?) les premiers parents. Y avait-il de la vigne dans le Jardin d’Eden ? Aucun doute n’est permis. Et, Adam, était-il le premier vigneron ? C’est certain. Ce n’est pas Bacchus qui nous contredira.

Ce qui est plus que certain, c’est qu’en Aquitaine, dans le Bordelais, selon Pierre Sillières, un historien-écrivain qui fait référence en la matière, le vin coule à flot avec les… Romains. L’historien évoque, ainsi, le célèbre Columelle : Lucius Lunius Moderatus Columella. Cet Agronome romain du 1er siècle après Jésus-Christ, dont le nom est difficile à se souvenir, a écrit pas moins de 12 livres sur le sujet de l’agriculture, le De re rustica. Et, il a consacré trois volumes à la viticulture. Un passionné… passionnant.

Avec lui, le doute n’est plus permis : il y avait bien de la vigne dans le Bordelais au temps les plus anciens. Mais, qu’en est-il du Médoc ?

La presqu’île était une étendue d’eau, de marais et de marécages, par endroit asséchés. D’autres historiens, qui ont travaillé sur le célèbre Château Margaux, dont la famille Lurton sera l’un des principaux actionnaires entre 1925 et 1949, affirment qu’il n’y avait pas de vignes à Margaux avant le 12è siècle. D’autres, comme Théophile Malvezin, un historien et géographe du 19è siècle, poussent le bouchon plus loin et évoquent l’an 900. Pour les moines de l’abbaye de Soulac, ceux du 11è siècle, la production de vin aurait commencé à ce moment-là. Car, il fallait du vin pour les offices monastiques et leurs consommations personnelles. Face à l’histoire, il reste des zones d’ombre à éclaircir, afin qu’ils soient plus limpides.

Brane-Cantenac et ses couleurs automnales

Revenons à notre époque et à notre belle saison automnale, très pluvieuse cette année. Après les vendanges qui ont mobilisé toutes les équipes du domaine, le temps automnal s’est installé tout doucement. Le temps des vendanges lance cette période où le raisin regorge de promesse. Les vendanges, cette année ?

« Oui, le temps des vendanges a été intense cette année », répond Christophe Capdeville, le directeur d’exploitation, en souriant. Il fait partie des murs ou plutôt des pieds de vigne depuis… 30 ans. Certains ceps sont plus âgés que lui et datent des années 50, avant la gelée de 1956. « Comme vous le voyez, la vigne est en train de changer. Les feuilles changent de couleurs et revêtent celles de l’automne. Elles jaunissent et s’enrobent, selon les pieds de vigne, de la couleur pourpre et violette du vin. La sève est en train de redescendre dans les racines. Entre novembre et mars, nous parlons de la dormance de la vigne. Nous allons, d’ailleurs, commencer la taille avant la fin du mois. C’est une opération très technique. Elle est capitale pour le prochain millésime. »

Il se penche au pied d’un cep, dans l’une des parcelles (celle de Sarmentière située sur la terrasse 4) les plus emblématiques du domaine, qui fait face au château. « Regardez, il ne faut pas tailler trop court, ni trop long. C’est tout un art. Cela dépend de l’âge et du nombre d’yeux (NDLR : de bourgeons) sur les rameaux. C’est un travail manuel qui requière de l’expérience. La taille va durer jusqu’au mois de mars. Chaque vigneron ou vigneronne fait en moyenne une centaine de pieds par heure. Il ne faut pas aller trop vite. Il faut respecter le flux de la sève. » La vigne est tout un art. Le sécateur est pour le vigneron le pinceau du peintre.

Henri Lurton, le vigneron et son millésime 2022

Dans les allées de la parcelle, s’est accroupi un autre homme : Henri Lurton. Il représente la 4è génération de la famille qui a acquis Château Brane-Cantenac en 1925. Il y a presqu’un siècle. Cette famille est incroyable, mais vraie. Pensez : la première génération fut celle de Léonce Récapet, un inventeur de génie, un bouilleur de cru, qui innove à son époque en créant la « distillerie à la vapeur ». Le 19è siècle a été le siècle de la vapeur, les 20è et le 21è siècles seront ceux du précieux liquide, du di-vin breuvage, du vin tout court. Mais pas n’importe lequel. Avant le classement des Grands Crus du Médoc de 1855, Brane-Cantenac avait, déjà, reçu ses lettres de noblesse, grâce au Napoléon des Vignes, grâce à Jacques Maxime de Brane.

Henri, lui, est le numéro 5 d’une fratrie de 11 enfants. « Nous avons tous vécu à Brane », raconte-t-il alors qu’il marche en direction des chais, qui sont en pleine restauration. Dans la famille, Henri est le premier à s’être, véritablement, lancé dans le vin, après ses études d’œnologie et son DEA sur les sols et terroirs. Puis, en 1992, le papa, Lucien, décide de transmettre à ses 10 enfants (ils sont 11, mais Bernard le numéro deux est décédé en bas-âge), tous ses domaines. Henri, qui travaillait, déjà, au château Brane-Cantenac, en hérite. Il va, pendant 30 ans, avec son équipe rapprochée, Christophe, donc, Marie-Hélène Faurie, sa directrice commerciale, Pierre Auché, son chef de culture, et Florent Cillero, son maître de chai, innover sans cesse. C’est son leitmotiv : mettre à profit ses connaissances scientifiques et sa passion du terroir pour les approfondir. « C’est, d’abord, le terroir qui fait le bon vin… », aime-t-il à répéter.

Il évoque le millésime 2022 : « Il est pour moi un millésime absolument exceptionnel. » Marie-Hélène ajoute : « Oui, c’est une année inédite à bien des égards. » Christophe en explique l’une des raisons : « La climatologie a été, exceptionnellement, favorable. » Florent complète : « C’est un millésime très précoce. Nous avons eu le temps de vendanger parce que la météo a été propice. » Pierre, quant à lui, parle de « record ». Un millésime qui résonne de cep en cep, avec, en filigrane, le refrain du célèbre chanteur Obispo : « Tu es mon millésime, ma plus belle année… ». Un fils, un père, un grand-père, un arrière-grand-père…C’est ça ?

La poésie des ceps et des cépages

Sur les 90 hectares de Château Brane-Cantenac, 72 sont consacrés à la vigne. Les parcelles entourent les bâtiments du château comme autant de petits diamants sertissant une couronne. Les anciens, les Léonce Récapet, les François et Lucien Lurton (grand-père et père), avaient vu juste : les 30 hectares du plateau qui font face au château, une ancienne chartreuse surélevée au 20è siècle d’un étage, ressemblent à une belle croupe dont l’horizon épouse les couleurs du ciel. Les nuages automnaux y ont fait leur apparition, après que le vent du grand océan ait chassé la tempête pluvieuse de la veille. Dans le ciel sont tracées comme des ailes d’anges.

Henri aime les sols et son terroir. Il aime cette nappe phréatique qui se situe à quatre et cinq mètres. Généreuse en eau, les racines de ses vignes y plongent entre galets, sable et sol légèrement argileux. Celles qui ont plus de 50 ans peuvent dépasser les 5 mètres. Elles prennent, alors, l’apparence d’un grand chêne inversé. Un grand chêne, comme ceux du parc séculaire.

Les cépages y fleurissent à leur ombre. La centaine de vendangeurs de la belle époque, qui venaient d’Espagne, a laissé place, depuis quelques années, à une main d’œuvre moins importante et plus locale. Aujourd’hui, les cépages du vignoble sont composés de : 55% de cabernet-sauvignon, 40% de merlot, 4% de cabernet franc, 0,5 % de petit verdot et 0,5% de carménère. Il faudrait y ajouter les derniers arrivés : le castets et le malbec !

Dans la famille Brane-Cantenac demandez… les blancs ?

Ah, que de cépages pour un noble breuvage. Il faudrait en rajouter d’autres, des breuvages. Car, maintenant, le Château Brane-Cantenac produit cinq vins, trois rouges et deux blancs. Les derniers sont les petits nouveaux. « Nous avons des parcelles en appellation Médoc, qui n’étaient pas en appellation Margaux. Nous sommes sur un terroir entre deux terrasses de graves, qui sont sable sur argile », explique Henri. Il ajoute : « Nous avons voulu créer deux nouveaux vins. Cette aventure a commencé en 2017. Le premier millésime qui concerne Brane-Cantenac Blanc est né en 2019. Celui de Baron de Brane Blanc est sorti du terroir en 2021. Nous en sommes satisfaits. Notre négociant et nos distributeurs en sont ravis. En tout, ce sont 7 000 bouteilles qui sont distribuées en France et dans le monde entier, chaque année. » Marie-Hélène précise : « Elles sont vendues à l’export au Japon, aux Etats-Unis et en Europe. Les Japonais ont la culture des vins blancs et ils aiment vraiment notre histoire et nos vins. »

Ce n’est pas Akifumi Inuo, un médecin réputé de Tosu City, au Japon, qui dira le contraire. Pour la première fois, il est accueilli comme un VIP par les équipes de Brane-Cantenac, qui savent recevoir. « Oui, j’aime beaucoup ce vin blanc », sourit-il avant de déguster le millésime 2019 avec Henri. C’est cela, aussi, la magie de Brane : savoir recevoir !

Avant les deux blancs, il y a les trois autres vinsen appellation Margaux. Sur le podium, le numéro un est le Château Brane-Cantenac. C’est un vin d’orfèvre. Seuls les raisins issus de la célèbre terrasse emblématique n° IV constituent ce très grand vin. Après avoir dégusté plusieurs millésimes, on comprend mieux que ce vin à la fois racé et très élégant, légèrement tanique, remporte tous les suffrages, ceux de la noblesse et du temps. « Le grand vin de Château Brane-Cantenac est le résultat de siècles de travail minutieux », résume Henri Lurton, qui veut rendre hommage à ces générations de vignerons et de viticulteurs qui l’ont précédé depuis le… 15è siècle.

Reportage réalisé par Antoine Bordier


Vous aimez ? Partagez !


Entreprendre est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Offre spéciale Entreprendre

15% de réduction sur votre abonnement

Découvrez nos formules d'abonnement en version Papier & Digital pour retrouver le meilleur d'Entreprendre :

Le premier magazine des entrepreneurs depuis 1984

Une rédaction indépendante

Les secrets de réussite des meilleurs entrepreneurs

Profitez de cette offre exclusive

Je m'abonne