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Malentendu entre la France et le Maroc

Emmanuel Macron et de Mohammed VI, roi du Maroc (Photo par Eliot Blondet/ABACAPRESS.COM)

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La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

Les relations franco-marocaines remonteraient, dit-on à l’époque de Charlemagne. Mais cette histoire commune a d’abord été caractérisée par les invasions omeyyades en France et qui se sont arrêtées à Poitiers en 732, comme on l’apprenait à l’Ecole primaire. Par la suite, la France sera plusieurs fois menacée par les appétits de l’Empire Almoravide qui lancera ses conquêtes depuis Marrakech aux XIe et XIIe siècles.

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Plus tard, aux XVIe et XVIIe siècle, ce sera le temps des premières relations diplomatiques, notamment mises en œuvre par le truchement de consuls et de médecins, sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV qui finiront par aboutir à des traités de paix successifs, même à l’époque de l’Empire de Napoléon 1er, et verront l’instauration de relations privilégiées entre les deux pays.

Il ne faut toutefois pas sous-estimer l’impact des guerres franco-marocaines, dont la seconde, provoquée par Berlin, qui suscitera des tensions en Europe et s’achèvera sur le traité de Fès (1912) instaurant à Rabat un protectorat Français, sans toutefois priver le Maroc de son statut d’État souverain. C’est en 1955 que le roi Mohammed V négociera, dans un cadre d’interdépendance franco-marocaine, la restauration de l’indépendance marocaine qui deviendra effective le 2 mars 1956. Sur ces bases politiques, les rois marocains successifs chercheront à reconstituer le « Grand Maroc ».

Hassan II, qui succèdera à son père en 1973, nationalisa les terres et les entreprises encore détenues par les colons français au Maroc, mais la France restera l’un des premiers partenaires commerciaux et le principal créancier et investisseur étranger du Maroc. Mohammed VI, sur le trône depuis 1999, entretient avec les présidents français des relations considérées comme « très amicales », et qui sont principalement basées sur le commerce et le tourisme.

La coopération bilatérale entre Paris et Rabat a été à son zénith sous la présidence de Jacques Chirac, et maintenue par Nicolas Sarkozy, mais elle connaîtra quelques errements à partir de la présidence de François Hollande. Depuis les « révélations » de la presse internationale d’une éventuelle utilisation par le Maroc du logiciel espion Pegasus, qui n’a cependant jamais été prouvée, les relations entre les deux pays se sont rafraichies.
Elles se sont même compliquées (relations suspectes avec les « frères musulmans » et l’Islam politique, trop grande proximité de Paris avec les milieux algériens, et enfin, crise liée à la diminution par la France du nombre de visas délivrés aux ressortissants marocains). On peut également citer l’affaire « Rachid M’Barki » qui a largement choqué l’opinion publique marocaine. Cet ancien présentateur de BFMTV, licencié après des soupçons d’ingérence étrangère dans son travail, a, en effet, clamé son innocence et estimé être la cible « d’accusations injustes ».

Des sujets qui fâchent

Dernièrement, toutefois, ces incompréhensions semblent avoir été levées, et la France, après plusieurs mois de brouilles avec Rabat, vient à nouveau d’autoriser les demandes de visa sans contrainte. Selon une récente déclaration de la ministre des Affaires étrangères française, leur nombre devrait pouvoir augmenter de 80 % dès cette 2023, une annonce attendue par des dizaines de milliers de personnes qui devrait réchauffer les relations franco-marocaines.

Parmi les sujets qui « fâchent » toujours, il faut citer la question du Sahara « marocain ». La France a toujours été partagée entre ses amitiés fragiles avec l’Algérie (qui soutient le Front Polisario) et sa volonté de fidélité au Maroc (qui revendique les territoires du Sahara « marocain » comme faisant partie du Royaume Chérifien). Cette affaire tient à la position historiquement ambigüe de l’exécutif français dans les relations qu’il souhaite entretenir avec ses anciennes « colonies », d’Afrique noire comme du Maghreb.

Depuis de nombreuses décennies, la France navigue trop souvent « en zig-zag » afin de ménager les susceptibilités de chacun, ce qui est souvent mal interprété par les pays concernés.

 En 2022, lors de la fête du Trône, le Roi a clairement affirmé que le Maroc poursuivra les relations diplomatiques et économiques qu’avec les pays qui reconnaissent son intégrité territoriale, dès lors, l’Espagne et l’Allemagne en particulier, mais d’autres également, se sont alignés sur cette exigence, le cas de l’Espagne est éloquent.

Paris fait sans cesse référence à ses valeurs de tolérance, d’humanisme et de respect de l’autre, ce qui l’empêche de prendre résolument parti. C’est dans le même esprit que sont gérées les relations antinomiques avec Israël et ses voisins.

Après le terrible séisme qui a frappé le Maroc le 9 septembre dernier, la France avait immédiatement offert de participer aux opérations de secours en envoyant des équipes spécialisées. Dans l’instant, le Maroc n’avait pas souhaité répondre positivement à cette offre d’aide réitérée plusieurs fois par le président Macron. Il faut dire que l’intervention de ce dernier était particulièrement maladroite, puisqu’il s’était exprimé directement à l’intention du peuple marocain, alors que seul le Roi dispose constitutionnellement de ce privilège. On peut interpréter cette absence de réponse comme un signal traduisant les relations tendues, entre la France et le Maroc depuis déjà quelques années, mais il serait plus réaliste d’évoquer plutôt les relations tendues entre le roi du Maroc et le président français !

Comme je l’ai relevé plus haut, la position française sur la question du Sahara « marocain » ne facilite pas les choses ! Si les USA ont décidé de reconnaître la suprématie du Maroc sur ce territoire, la France a décidé, pour le moment, de ne pas le faire, essentiellement parce que le président essaie de renouer aussi un lien avec l’Algérie, avec laquelle les relations se sont aussi distendues.

Certes, officiellement, s’agissant de l’aide proposée après le séisme de septembre dernier, le Maroc affirme devoir faire un état des lieux préalablement à toute sollicitation d’aide supplémentaire. Officieusement on peut comprendre que la position de repli du souverain chérifien tient à des enjeux d’ordre géopolitique.

Le cas particulier des relations franco-marocaines illustre le cas plus général de la dégradation des relations diplomatiques, politiques et commerciales, voire culturelles, de la France avec un certain nombre de pays amis. C’est une vision nouvelle de la France dans ses rapports de politique internationale, tant avec ses voisins européens, qu’avec les pays en développement comme ses anciennes colonies d’Afrique noire et d’Afrique du Nord. C’est donc avec un esprit relativement critique qu’il faut évoquer l’évolution des comportements de nos plus récents présidents envers ces pays proches, frères ou amis, anciennes colonies souvent, nouveaux ennemis parfois. Cela étant dit, il me paraît important est de bien dissocier ce qui ressort d’une attitude globale des Français vis-à-vis des ressortissants de ces pays et ce qui découle seulement du comportement de son ou de ses représentants pris en la personne du chef de l’État. Il convient de noter que, depuis octobre 2023, preuve de sa bonne volonté, le Maroc a nommé son ambassadeur en France, poste qui était vacant depuis janvier 2023.

Gouvernance croisée

Tout est donc une question de gouvernance. Le temps donne son rythme aux destins humains. Il est toujours fondamentalement aussi régulier et vouloir s’en détacher n’apporterait que des désillusions. Avant cette ère nouvelle que nous connaissons, avec les excès de l’industrialisation et les pollutions qu’elle a provoquées, avant que ne soient bouleversés les équilibres mondiaux naturels, les saisons bien marquées pouvaient accompagner les activités humaines avec rigueur et pondération, dans le suivi des chaînes de production, comme dans le cours de la vie publique. On peut analyser aujourd’hui tout ce désordre provoqué par l’activité humaines et il faut s’en inquiéter !

Le temps de la machine industrielle n’est pas le temps humain. Il faut donc dissocier les projets à développer dans nos relations avec nos partenaires économiques africains et maghrébins, des moyens des mentalités à adopter vis-à-vis d’eux !

La définition des projets, les analyses et les études qu’on leur consacre, et enfin la connotation humaine par laquelle on en assure la gouvernance, toutes ces étapes prennent un temps dont elles ont réellement besoin et qui diffèrent selon les cultures ! On peut les parfaire ou les améliorer, on ne doit pas en faire abstraction ou les supprimer ! Et sous prétexte que les outils sont désormais plus performants, on doit tenir compte de l’humain.

Ce parallèle est à faire entre le temps de l’entrepreneuriat et le temps politique, et ce, quel que soit le pays dans lequel il est exercé ! Nouer des relations de confiance en Afrique ne se fait pas à l’aune des contingences parisiennes ! Il faut prendre des distances avec l’esprit français qui se targue d’être plus évolué qu’ailleurs, par son histoire et de ses technologies, il faut savoir s’adapter aux évolutions des pays que la France a, autrefois, colonisé, et qui ont évolué considérablement, notamment sous l’influence de grandes puissances qui entendent accaparer les richesses naturelles de nos plus vieux amis.

Le président de la République, qui n’est pas parvenu à affirmer une vision stratégique pour notre pays, alerte aujourd’hui l’opinion sur les difficultés qu’il rencontre à obtenir le plein emploi. Il explique en réalité le fait évident qu’un État capitaliste qui a fondé sa politique sur le principe de la maximisation des profits privés, ne peut finalement pas maîtriser la mécanique économique. Il démontre assurément que les administrations d’État ne peuvent pas réellement agir sur les grands agrégats de l’économie, et que ce sont bien les entreprises privées qui peuvent réellement agir.

Il se trouve que la gouvernance des relations avec nos voisins suit le même principe. Contrairement à ce que l’on met en place depuis des décennies, en tous cas depuis les indépendances de nos anciennes « colonies », l’avenir n’est ni au pillage des ressources naturelles des pays du continent africain, ni à la poursuite de ces politiques perverses qualifiées de « Françafrique », et tout particulièrement celle inhérente au contrôle de la monnaie.

Il faut revenir aux fondamentaux de notre République, pour le bien du pays, mais aussi pour mieux cimenter ses relations aux autres, et tout particulièrement des pays comme le Maroc. Comme on le sait, les fondements de notre République sont, le contrat social et le principe de « sécurité », le triptyque « Liberté, Égalité et Fraternité » et, par-dessus tout, la « Laïcité », base essentielle de la compréhension entre les peuples. La laïcité, ce n’est pas la négation des religions, c’est le principe républicain qui prône le respect de toutes les croyances et l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion !

C’est sur cette base philosophique fondamentale que doivent se construire, en France et chez nos voisins, les bases du développement commun et harmonieux, d’autant plus dans une période trouble où fleurissent les anathèmes et les dénonciations racistes.

Le Maroc en exemple

Si le Maroc est un royaume, c’est aussi une véritable démocratie, qui offre le maximum d’égalité des chances à toutes les composantes de la société et qui combat l’intolérance et l’exclusion. On y peut également faire le constat d’une répartition équilibrée de la population et des activités économiques sur l’ensemble du territoire, ce qui permet d’éviter ainsi l’écueil d’une trop forte concentration des populations actives sur des régions limitées.

Le niveau de la formation, qui a fortement progressé durant les dernières décennies, permet au Maroc de disposer de ressources humaines qualifiées qui répondent aux exigences du développement socio-économique attendues d’un tel pays. La France doit y prendre sa part. Il convient, d’ailleurs, de noter l’excellence des relations, sur le plan douanier, dans les échanges avec l’Europe comme avec les États-Unis, y compris dans les secteurs de l’agriculture et des services, ce qui facilite une coopération adaptée avec l’Union Européenne.

La population globale s’élève désormais à un peu moins de 40 millions d’habitants, dont les deux tiers sont citadins. L’accès aux infrastructures et aux services sociaux de base est d’un excellent niveau (éducation, santé, accès à l’eau, à l’électricité et au logement). Les indicateurs sanitaires sont très proches de ceux des pays dits développés, particulièrement pour ce qui concerne la mortalité maternelle et infanto-juvénile.

Le niveau de formation des étudiants inscrits dans les cycles supérieurs est excellent et le pays consacre près de 5 % aux activités de recherche et de développement. Il en ressort que le taux de chômage est désormais proche du résiduel (autour de 5 %), ce qui réduit considérablement la précarité et les risques d’exclusion. De ce fait, la participation des femmes à l’activité économique est de l’ordre de 36 %.

La compétition internationale dans le cadre de la mondialisation, doit être humanisée, afin de réduire autant faire se peut les inégalités entre pays et à l’intérieur des pays. À défaut, cela pourrait constituer une menace pour la stabilité de la planète. La question de l’emploi se posera avec acuité aussi bien dans les pays industrialisés (pénurie de main d’œuvre due au vieillissement démographique) que dans les pays en développement (problème du chômage lié à une croissance rapide de la population active), et de grands enjeux pèsent, comme on le sait, sur les questions environnementales, dont le réchauffement climatique, et les ressources naturelles comme l’eau. Ces questions pourraient être à l’origine des principaux conflits du XXIe siècle. Il est assez évident que l’énergie sera de plus en plus rare et donc de plus en plus chère. Dans un monde qui a fondamentalement changé depuis le 11 septembre 2001, les risques inhérents à la montée du terrorisme pourraient « dessiner » les contours d’une « planète poudrière », notamment si les conflits régionaux, comme celui du Sahara « espagnol » ne sont pas réglés.

Les gestions exemplaires de la crise de la Covid ainsi que celle du séisme qui a frappé récemment le Maroc n’ont fait que renforcer la capacité du royaume à répondre aux difficultés du monde actuel. Mais le pays a su gérer avec ses propres moyens la réponse humanitaire qui était nécessaire et mettre en place un plan de développement rationnel afin de venir en aide aux régions les plus touchées. Il a fallu, en effet, répondre aux conséquences humaines et matérielles démesurées du séisme, notamment dans les provinces les plus isolées, mais le pays a su faire face. En dépit de cet événement dévastateur, le Maroc a, malgré tout, poursuivi son développement économique qui sera renforcé par les projets structurants qui vont accompagner l’organisation de la CAN 2025 et la Coupe du Monde 2030, notamment en sachant répondre à une demande extérieure, demeurée robuste, pour les biens et services du pays, et ce dans un contexte mondial pourtant difficile. Les investissements étrangers ont continué d’évoluer de façon positive dans le secteur manufacturier, tandis que l’État se maintenait solidement face aux marchés financiers internationaux.

Comme partout dans le monde, l’année 2022 a été marquée par un ralentissement de l’activité qui s’explique par la survenance du conflit en Ukraine et par la hausse des prix des matières premières, mais les projections pour 2023 traduisent clairement le retour de la croissance économique, laquelle devrait continuer à se renforcer à moyen terme.

Il faut d’ailleurs remarquer qu’à l’inverse de bien des pays européens, l’inflation, même si elle reste préoccupante pour les produits alimentaires, semble avoir été mieux jugulée.

Le Maroc démontre donc, en État moderne, une capacité réelle à surmonter les chocs, notamment en ayant planifié un cycle de réformes ambitieuses destinées à stimuler la prospérité, à améliorer le capital humain et à encourager l’investissement privé. Ces réformes devront être accompagnées de mesures réglementaires et institutionnelles afin de soutenir les entreprises et les secteurs les plus productifs. On sait que des efforts importants ont également porté sur l’indispensable accès des femmes marocaines aux activités économiques, preuve de la modernité du pays (mobilité, inclusion financière et digitale, amélioration des conditions de travail, et évolution des normes sociales traditionnelles).

Bernard Chaussegros

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