Je m'abonne

L’incompréhension entre la France et le Maroc

Entreprendre - L’incompréhension entre la France et le Maroc

Afficher le sommaire Masquer le sommaire

La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

En décembre 2022, après avoir restreint l’octroi de visas pour les ressortissants Tunisiens, Marocains et Algériens, dans le but d’inciter ces trois pays du Maghreb à lutter davantage contre l’immigration illégale, la mesure a été prise avec défiance par le Maroc. Et même si, début 2023, le président de la République qualifie d’amicales ses relations avec le roi Mohammed VI, il semble que le gouvernement marocain affirme au contraire que « les relations ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée ». Dans le même temps, le roi a mis fin, sans lui désigner de successeur, à la mission de l’ambassadeur du Maroc en France.

À Paris, on refuse de parler de crise diplomatique, mais les relations entre les deux pays ont toutes les apparences de la dégradation. Toutefois, la question épineuse des visas (qui serait en voie de règlement) est loin d’expliquer à elle seule la distance nouvelle entre Rabat et Paris.

Certes, la volonté de la France de diviser par deux le nombre de visas accordés était une façon de mettre la pression sur les pays du Maghreb, accusés de freiner l’accueil sur leur sol de leurs ressortissants en situation irrégulière et visés par des obligations de quitter le territoire français (les OQTF). Il est un fait que, pour que les expulsions soient possibles il faut que les pays d’accueil délivrent des « laissez-passer consulaires », ce qu’ils ne faisaient pas suffisamment clairement, aux yeux de Paris.

Le Maroc a vu la décision des autorités françaises comme une atteinte à la liberté de circulation prenant la forme d’un chantage. Mais de son côté, la ministre française des Affaires étrangères affirmait que les mesures prises avec l’accord des partenaires marocains étaient destinées à « restaurer une relation consulaire normale ».

Mais, parallèlement, un autre incident, prenant l’allure d’un scandale, a contribué à apporter de la complexité dans les relations franco-marocaine. À la suite d’une enquête médiatique internationale, il a été découvert une affaire d’espionnage impliquant la surveillance d’environ 50.000 personnes à travers le monde (dans les milieux de la politique, des médias et des associations de défense des droits de l’homme) et rendue possible par l’utilisation du logiciel « espion » d’origine israélienne baptisé « Pegasus ». Dans cette enquête, plusieurs gouvernements étaient alors mis en cause, et notamment celui du Maroc.

Cette découverte amenait le Parlement européen à réunir une commission d’enquête, dès le mois d’avril 2022 pour faire toute la lumière sur ces comportements abusifs. Il n’est pas surprenant que les autorités marocaines n’aient pas supporté d’être mises en cause dans ce dossier, et, en réponse, n’ont pas hésité à accuser Paris, les médias et certains milieux français d’être impliqués « dans la genèse et la promotion de l’affaire Pegasus [qui] ne pouvait pas se faire sans une implication des autorités françaises ».

Toutefois, le Parlement européen a, dès janvier 2023, adopté un texte non contraignant visant le Maroc (par 356 voix pour, 32 contre et 42 abstentions) demandant « instamment » aux autorités du royaume de garantir « la liberté d’expression et la liberté des médias ». Rabat a très vivement réagi à cette mise en cause, estimant que ce vote avait été très largement porté par les eurodéputés français du groupe qui représente la majorité présidentielle du président Macron.

Par ailleurs, on sait que la proximité de la France avec l’Algérie n’est pas et n’a jamais été du goût de Rabat. Depuis plusieurs années, les liens qui unissent Paris et Alger créent des crispations et des tensions à Rabat, notamment quand on se souvient que le Maroc et son voisin affichent depuis des décennies leurs divergences, certes diplomatiques, mais à la frontière du conflit armé, autour de la question du statut du Sahara occidental. Le président français ne cache pas sa volonté de resserrer les liens avec l’Algérie en parlant, lors d’un déplacement à Alger où il a insisté sur « les destins liés » des deux pays et sur « les liens humains inestimables » tissés à travers le temps.

Le sentiment anti-français

Très récemment, une virulente campagne de presse anti-française est apparue dans les médias locaux au Maroc, suite à la campagne anti-marocaine qui s’est développée à Bruxelles et qui, pour les marocains, aurait été « orchestrée » par la France. La tentative de chantage du Roi par deux journalistes français, l’affaire Rachid Berki et, plus récemment, celle du joueur du PSG, tant de sujets qui excitent les marocains. Officiellement, le gouvernement français se veut rassurant et annonce qu’il n’y a pas de crise entre les deux pays, mais les faits demeurent relativement plus inquiétants.

Le voyage que devait effectuer le président français au Maroc a été remis sine die. Les médias marocains parlent de l’ambivalence et des postures contradictoires de ce dernier et soulignent que ces traits de personnalité aggravent la crise qui sévit entre Rabat et Paris. On y évoque le double jeu d’Emmanuel Macron, et des relations qui n’ont jamais été aussi glaciales. Pour beaucoup de journalistes marocains, les relations entre les deux pays ont commencé à se détériorer avec l’arrivée au pouvoir du président français, en 2017.

Ce à quoi le Quai d’Orsay a répondu qu’en France, « le Parlement exerce ses prérogatives de manière indépendante », insistant sur la réalité objective d’une France entretenant « une relation d’amitié profonde avec le Maroc avec lequel elle aborde tous les sujets, y compris ceux des droits de l’homme ».

Un lien coulé dans le bronze

Revenons à l’histoire du XXe siècle ! En 1955, le souverain chérifien Mohammed V avait négocié avec Paris la restauration progressive de l’indépendance marocaine dans un cadre d’interdépendance bilatérale aboutissant le 2 mars 1956. Dans les années suivantes, jusqu’en 1960, le roi s’est consacré à reconstituer le Grand Maroc, un projet qui lui était cher et englobait tous les territoires des anciennes colonies françaises du Maghreb, dont la Mauritanie, l’Algérie et le Mali.

De toute évidence, cette politique de « récupération » ne pouvait se développer qu’aux dépens des positions historiques et coloniales française en Afrique. C’est au cours de ces mêmes années que le Maroc adhèrera à la Ligue arabe, participera à la fondation de l’Organisation de l’unité africaine et se libérera des parités monétaires avec le cours du franc français.

Qui plus est, au risque de se brouiller avec la France, pendant la guerre d’Algérie, le Maroc accueillera des camps d’entraînement du FLN algérien. Les relations se tendront, notamment quand, entre 1967 et 1973, une partie de la communauté juive marocaine quittera le Maroc pour la France. Hassan II, fils de Mohammed V, au pouvoir depuis 1961, nationalisera alors les terres et les entreprises encore détenues au Maroc par les colons français.

La France reste toutefois l’un des principaux partenaires commerciaux du Maroc, son principal créancier et le premier investisseur étranger du pays. Les échanges sont globalement réciproques et se traduisent notamment par une coopération militaire entre les deux pays. Depuis lors, les relations entre la République française et le Royaume du Maroc donnent l’image d’une amitié solide entre les peuples comme entre les dirigeants, et elles se basent en grande partie sur le commerce et le tourisme.

D’excellentes relations diplomatiques sont nouées dès 1963 entre Paris et Rabat, et particulièrement entre le général de Gaulle et le roi Hassan II, comme en témoigne la première visite d’État à l’étranger du nouveau souverain chérifien.

La coopération bilatérale entre Paris et Rabat sera particulièrement faste durant les décennies suivantes, et tout particulièrement sous la présidence de Jacques Chirac, avant de pâlir au début des années 2010, après l’arrivée au pouvoir de Mohamed VI, et de se rafraichir notoirement depuis 2017. Et pourtant, ce sont bien les services secrets marocains qui ont prévenu Paris d’une probable attaque terroriste en 2015, avec les conséquences que l’on connait.

Une amitié à restaurer

Il ne devrait pourtant pas y avoir d’incompréhension fondamentale entre la France et le Maroc, compte tenu de la communauté de leur histoire depuis un siècle. Certes, nombreux sont les observateurs qui veulent opposer les deux nations en rappelant qu’elles sont fondées sur des valeurs différentes.

En France, l’État se fonde sur trois piliers hérités de la Révolution de 1789 et de l’épopée Napoléonienne, Liberté, Egalite et Fraternité. La constitution de la Ve République s’inscrit dans ce cadre de morale politique, mais depuis la mort du général de Gaulle et de son successeur Georges Pompidou, en 50 ans, c’est surtout le dirigisme Jacobin mal compris et les effets néfastes de la mondialisation qui ont marqué les évolutions institutionnelles et la dégradation des fondements démocratiques de notre pays.

Pour le Maroc, on pourrait résumer, peut-être de façon simpliste, les grandes valeurs institutionnelles aux trois références que sont Dieu, la Patrie et le Roi. Au fond, dans la réalité, les visions symbolistes des deux pays ne sont guère différentes ! Il y a une nécessaire vision philosophique, religieuse ou laïque, l’importance de la valeur centralisatrice du chef de l’État, qu’il soit roi absolu d’essence divine, ou élu par le peuple, et il y a le pays, le territoire, le sol natal et son ancrage historique et culturel.

De la même manière que, dans notre France, les citoyens sont malgré tout attachés à leur territoire et leur culture, d’une province à l’autre, d’un département à l’autre, et même d’un canton à l’autre voire, d’un petit village à l’autre, il ne faut pas voir le Maroc comme autre chose qu’une réunion de mille réalités culturelles locales.

C’est ainsi que, pour tous ceux qui aiment ce pays, on sait ce qu’il représente en termes d’identités riches et différentes, entre Casablanca, cette capitale économique posée au bord de l’Atlantique, et Fès, ville impériale et capitale spirituelle, entre Tanger et son histoire forte des siècles passés de port de commerce et Marrakech, également ville impériale et centre touristique du royaume, entre Rabat, capitale du royaume et la vieille ville de Salé, fondement de siècles d’histoire sur l’embouchure du Bouregreg, entre Meknès, ville impériale ismaélienne tournée vers l’agriculture et Oujda, la ville frontalière de l’Est ou Agadir, tout au sud du pays.

Bien-sûr, ce qui compte, ce qui est le plus important, c’est la richesse des différences, et rien ne peut empêcher les citoyens français, comme les citoyens marocains, de se retrouver sur des valeurs humanistes, quelles qu’elles soient, de se retrouver pour œuvrer ensemble à un monde meilleur dans le respect accru des personnes humaines.

Après, on le sait, le problème n’est pas dans le cœur des citoyens, il est dans la volonté viscérale des dirigeants de s’entendre et de poursuivre une histoire, qu’elle soit nouvelle ou ancestrale et héritée du passé.

La France et le Maroc ont toutes les raisons de s’entendre autour d’une histoire et d’une amitié qui relient leurs peuples et leurs territoires depuis si longtemps.

Encore faut-il que leurs dirigeants agissent au-delà de leurs intérêts, parfois même de leur égo et de leurs analyses personnelles, au-delà de leurs personnalités parfois tranchées.Les deux nations disposent d’élites intellectuelles, politiques et économiques. Les hauts dirigeants marocains ont des formations aussi solides que les français, et la France n’a aucune leçon à donner comme à recevoir. Mépriser la culture marocaine serait un non-sens historique qui pourrait bien se retourner contre Paris qui se priverait alors d’une porte importante sur l’Afrique.

La question du Sahara occidental

À titre d’exemple, on peut évoquer le fait que les marocains ne comprennent pas la position de la France sur la question du Sahara occidental. Pour tout citoyen, d’où qu’il soit, le territoire, c’est la patrie…

Au Maroc, dans le sud saharien, comme en France dans des régions qui ont subi autrefois des annexions inacceptables. Il ne s’agit pas de prendre parti, mais les constats sont nombreux.

On sait qu’aujourd’hui un mur de 2.700 kms divise le Sahara occidental en deux parties. Cette région désertique a été progressivement colonisée par l’Espagne, avant de devenir un protectorat espagnol à la fin du XIXe siècle. C’est à la demande de l’ONU que sera engagé un processus de décolonisation à la fin du XXe siècle.

Le territoire est alors revendiqué par le Maroc, la Mauritanie et le Front Polisario. Hassan II, roi du Maroc et Commandeur des croyants, appellera alors son peuple à effectuer une « Marche verte » pour annexer la colonie espagnole au nom de l’histoire. Lorsque les accords de Madrid sur cette question sont signés en 1975, le Maroc obtient les deux tiers nord du territoire et la Mauritanie le tiers sud, tandis que l’Espagne par compensation obtient des concessions sur le phosphate et la pêche.

Le Front Polisario, en conflit avec le Maroc et la Mauritanie, proclame de son côté la République arabe sahraouie démocratique et revendique la souveraineté sur tout le territoire. Le terme « Sahraoui » désigne généralement l’ensemble des personnes vivant au Sahara occidental, mais cette définition est contestée dans cette acception, puisqu’elle est censée également désigner l’ensemble des groupes ethniques, le plus souvent nomades, vivant au Sahara occidental ou plus largement dans l’ensemble du désert saharien.

La Mauritanie se retirera trois ans plus tard, mais les affrontements continuent depuis lors avec le Maroc. C’est alors que le Maroc décidera d’élever en 7 ans de travaux un gigantesque mur de sable qui divise le Sahara occidental en deux, l’Est où est installé le Front Polisario et l’ouest, qui reste sous contrôle marocain.

Depuis lors, les efforts médiatiques demeurent compliqués et la France se retrouve provisoirement fragilisée dans la mesure où elle ne veut pas prendre parti dans le conflit pour ménager, et surtout améliorer ses relations avec l’Algérie, un régime militaire, qui soutient le Front Polisario, et le Maroc qui le combat.

De son côté, Rabat poursuit inlassablement ses démarches pour être soutenu dans la mise en œuvre de son plan de résolution du conflit sahraoui.

Le royaume alaouite ne manque pas de soutiens internationaux pour sa proposition, mais il souhaiterait obtenir celui d’acteurs importants, comme la France, qui devrait jouer un rôle diplomatique plus prééminent dans ce dossier.

Mais effectivement, la France tarde à prendre parti et se sent prise entre deux feux, entre le Maroc qui réclame une solution pour le Sahara allant dans son sens, et l’Algérie, proche des sahraouis qui demandent désormais l’organisation d’un référendum sur l’indépendance de leur population.

L’État français qui désirerait tant entretenir de bonnes relations avec les deux principaux États du Maghreb, constate que leurs positions sont trop opposées pour que la solution à choisir soit acceptable par tous, surtout quand on sait que depuis 2021, l’État algérien a rompu ses relations avec le Maroc, après l’avoir accusé d’ingérence politique dans ses affaires intérieures.

Face aux tergiversations françaises, le chef du gouvernement marocain a appelé la France à abandonner son statut « d’observateur » sur la question du Sahara occidental, affirmant que la République Française doit suivre les « développements majeurs » du dossier.

Disons, pour conclure, que la France doit s’inspirer du passé pour clarifier ses intérêts dans la protection de la paix dans cette région du monde complexe de l’Afrique du Nord et s’appuyer sur « ses vrais amis » que sont les Marocains. Plutôt que de ménager les susceptibilités des dirigeants militaires algériens, Paris ne devrait pas oublier trop vite ceux qui, en 1962, les ont « jetés » comme des parias dans les bateaux voguant vers Marseille, ou ceux qui ont largement contribué à l’assassinat des moines de Tibhirine !

Ne revenons pas systématiquement sur les drames qui ont divisé les peuples de part et d’autre de la Méditerranée et relançons les espoirs déçus de l’Union pour la Méditerranée, en commençant par la réaffirmation de l’amitié franco-marocaine !

Bernard Chaussegros


Vous aimez ? Partagez !


Entreprendre est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Offre spéciale Entreprendre

15% de réduction sur votre abonnement

Découvrez nos formules d'abonnement en version Papier & Digital pour retrouver le meilleur d'Entreprendre :

Le premier magazine des entrepreneurs depuis 1984

Une rédaction indépendante

Les secrets de réussite des meilleurs entrepreneurs

Profitez de cette offre exclusive

Je m'abonne