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Liban : au Jeita Country Club, loin de la crise qui secoue le pays

Alors que le conflit sanglant qui oppose les terroristes du Hamas et l'état d' Israël semble s’éloigner du sud du Liban, au nord de Beyrouth, à Jeita, se trouve le Jeita Country Club, un lieu de bien-être rare et de luxe aujourd'hui dans un Liban ravagé par la crise. Reportage avec Samer Tannouri, le président de ce petit paradis.

Copyright photo A. Bordier

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Du centre de Beyrouth, il faut mettre dix-neuf minutes, exactement, plein nord, pour se rendre en voiture dans cette région réputée de Kesrouan, dans la vallée de Nahr-el-Kelb. Quand on la découvre pour la première fois, cette vallée, on comprend mieux pourquoi, au 19è siècle, le Levant était la destination privilégiée de tous ces écrivains-voyageurs. Qu’ils s’appellent Lamartine, Ernest Renan, Georges Clémenceau, Pierre Loti, ou encore, plus proche de nous, Hélène Carrère d’Encausse, le pays des Cèdres de Dieu a marqué les plumes de l’Académie française.
A leur époque, la vallée était encore plus belle, les gorges encore plus altières, et la nature encore plus généreuse. L’eau y coulait de cascade en cascade. Elle arrosait, au passage, les cyprès et les pins, les berges des vallées aux pentes douces qui se jettent avec onctuosité dans la Méditerranée. Cette eau se faisait un passage entre les rochers et les chemins caverneux pour plonger dans les grottes où les parois ressemblent parfois à des tapis d’Orient. Le lieu semble avoir été peint par un grand artiste. Un Français ? Citons Georges Cyr, dont on commémorera les 60 ans de sa mort l’année prochaine. Il est décédé à Beyrouth en 1964. Il aimait peindre la nature. Il aimait cette vallée. Il aimait cette eau.

A Jeita, tout est nature. Même le soleil et les nuages jouent de leur lumière et de leur ombre avec le paysage. Tout y est vert, même en plein été. A croire qu’un micro-climat des plus tempérés recouvre toute la vallée. L’air y est pur. Il est méditerranéen. Il s’engouffre tous les matins au niveau de Zouq Mosbeh et remonte le lit de la rivière, embaumant les environs de ses parfums d’agrume.

« Regardez sur votre gauche, nous longeons la colline d’Harissa », explique Samer, habitué à ces paysages. Au loin, effectivement, se dresse Notre-Dame du Liban, la Vierge d’Harissa, le sanctuaire marial emblématique du Liban, qui attire toutes les confessions libanaises, sans exception. Puis, plus loin : « Le country club se situe juste au-dessus des grottes de Jeita, qui constitue le lieu touristique le plus visité du Liban. Nous sommes très bien placés. » Samer Tannouri bifurque à gauche et ne descend pas à la grotte, ce sera pour une prochaine fois. C’est l’une des 7 merveilles du monde !

Une famille d’entrepreneurs-bâtisseurs

« Notre club familial est assez grand, il représente une quinzaine d’hectares répartis entre le grand bâtiment de 8 étages, où vous vous trouvez, l’immeuble d’habitation et les villas, que vous pouvez apercevoir au-dessus. Tout y est circulaire et épouse parfaitement le demi-arc de cercle de la colline. Certaines de nos 1 200 familles vivent ici, à l’année, et les autres, ne sont pas loin, installées dans la région. Elles viennent vraiment se ressourcer, se reposer, faire du sport, nager, jouer au tennis. Nous avons plusieurs restaurant intérieurs et extérieurs. » Le complexe est vraiment majestueux, c’est un mélange de structures modernes et anciennes, de béton et d’acier, de bois et de pierre, d’eau et de verdure. Les pelouses y sont vertes comme au printemps, lorsque l’eau descend des montagnes avec générosité, après l’hiver. Les bâtiments ont été creusés à même la roche excavée. La nature couronne le bâtiment principal, qui se dresse tel un vaisseau amiral encastré dans les falaises de la colline, en quasi-apesanteur au-dessus de la vallée. Le lieu paraît gigantesque. La Méditerranée est 7 km à vol d’aigle. En contre-bas, au-dessous de nous, la piscine olympique invite à la natation. Le soleil y scintille. Les sens sont en éveil, prêts au plongeon.

« C’est mon père qui a tout construit. Je suis la deuxième génération. Mon père, Sleiman, a commencé à bâtir dans les années 70. Je n’étais pas encore né. Il était, au départ, avocat. Et, quand il a vu cet endroit magique, il en est tombé amoureux. Il est devenu entrepreneur-constructeur. C’était un bâtisseur et un visionnaire hors-pair. Je suis de 1976. Je suis le 4è. Ma sœur aînée s’appelle Karine, puis, viennent Ricardo, Nadim et moi. » L’émotion a rendez-vous avec l’histoire familiale.

Un complexe hors-norme

Avec son double doctorat de droit public et de droit civil, le papa décide de « travailler dans le Real Estate », et de lancer ses projets immobiliers où la nature en est le cœur. « Il a commencé plusieurs projets dans les années 70, à Baabdat, avec Samaya Village, qui magnifie et sauvegarde la nature au sein de 10 ha de résidences plus ou moins luxueuses. » Après les ventes et les reventes de ses projets à de nouveaux opérateurs, il finance ses nouvelles constructions. Il lance, alors, ses complexes balnéaires à Kaslik. « C’est l’un de mes frères qui s’en occupe », précise Samer. Le groupe prend forme. « Les familles viennent ici profiter du lieu pour leurs vacances, les activités sociales, sportives. Nous organisons beaucoup d’évènements, comme des anniversaires, des mariages. C’est ma femme, Pamela, qui s’en occupe. »

Le Jeita Country Club ne s’ouvre pas pour l’heure aux touristes. Il est un lieu 100% dédié aux familles libanaises, qui doivent payer un droit d’entrée annuel se situant aux alentours de 1 000 euros. Le budget annuel est de 2 millions d’euros. Il faut rajouter aux 1 200 familles, les locataires et les propriétaires de l’immeuble d’habitation, où vivent 170 familles.

Samer se transforme en guide pour faire visiter les 8 étages du complexe, qui distribuent des salles de restaurant où 900 couverts peuvent être servis. Il y a, également, des salles de gymnastique et de fitness, des salles d’exposition, des cabines, pour celles et ceux qui veulent vivre un temps de loisir sur-mesure.

Un pari fou

Nous marchons sur le bord de la piscine olympique. L’ombre nous précède et se dessine dans une eau des plus cristallines. Là, l’envie de plonger, même tout habillé, vous reprend. Elle est interrompue par le travail des jardiniers qui, au loin, s’affairent. La piscine est superbe. Quelques habitués profitent des rayons du soleil, qui montent au zénith, pour parfaire leur bronzage d’été, un chapeau de paille sur la tête. Les infrastructures, l’espace, tout cela donne une idée du gigantisme. Samer reprend le fil de la conversation : « Quand mon père a commencé, en 1994, les gens disaient :Il est fou. Ici, il n’y a rien. Il n’y a que des renards, qui viennent la nuit.” Et, maintenant, nous accueillons plus de 100 000 personnes par an. Avec les mariages, les premières communions, les anniversaires, nous remplissons souvent le lieu. Les gens aiment ce lieu. »

Après 4 années de gros travaux, le club ouvre en 2002. Samer a alors 25 ans. Ce projet atteint des sommets d’investissement. Au départ, le budget était de 13 millions. Il monte en flèche pour tutoyer les 50 millions de dollars. « Pendant une vingtaine d’années, nous sommes restés dans le rouge de nos partenaires bancaires. Nous avons terminé de régler nos dettes, juste avant la dégringolade bancaire et financière du pays. Je parle de la crise d’octobre 2019. »

L’ombre des guerres

Alors que nous marchons en direction des oliviers, que Samer affectionne tout particulièrement, il évoque les guerres. Le Liban n’a pas connu la paix depuis combien de temps ? Une paix authentique, durable et véritable. Une paix qui permet à toute une génération de vivre normalement, à l’air libre, sans peur, sans sursauter à chaque bruit, sans traumatisme.

La paix ? Non. Il est de cette génération de la guerre civile, commencée en 1975. Dès sa naissance, son berceau a été comme balancé au rythme des balles et des bombes, qui ont si durement blessé, endommagé, tué, la vie des pierres libanaises. A commencer par les pierres vivantes. C’est une allégorie, si proche de la réalité. « Je suis né juste après le début de la guerre. La guerre n’a pas rendu notre vie facile. Mais, nous avons survécu. Et, nous avons pu construire malgré tout. Nous vivions à l’époque sur la côte… »

Les Libanais n’ont pas peur du risque. Ils naissent avec. Ils en prennent. Tels des bâtisseurs-résistants, ils ont créé, malgré un environnement des plus difficiles, plusieurs havres de paix dans tout le Liban, à l’image du Jeita Country Club.

Samer et les EDC-Liban

A côté de la piscine, Samer s’est assis à une table de la terrasse ombragée, par de grands draps suspendus, qui filtrent les rayons du soleil et qui ressemblent à des petites voiles marines flottant au vent. Il évoque son engagement comme dirigeant au sein des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens du Liban. Samer est profondément croyant. Sont-ce les guerres, celles de 1975-1990, de 2006 (avec Israël), de 2007, qui ont rapproché ce colosse, à la voix douce et au regard humble, de Dieu ?

 Oui, la foi, Dieu, l’Eglise maronite, les EDC, sont très importants pour moi. Je crois que je ne fais rien sans Dieu, ma femme et mes filles », sourit-il. Est-ce pour cela qu’il aime autant sa femme et ses filles, Renata-Maria, Enya-Catherine, et Seela-Rafka ? La réponse est dans la question.

Ce qui est certain, c’est que quelques jours après notre reportage, il a invité à sa table de Jeita, sur cette terrasse qui domine toute la vallée, une cinquantaine de personnes (avec les familles) des EDC. Selon le Président de ce mouvement, Maroun Mbarak, « ce lieu est plus qu’un lieu, c’est un havre de paix, qui permet aux membres des EDC, mais, aussi, à tous les Libanais, de se ressourcer. Aux EDC nous vivons la pensée sociale chrétienne autour des valeurs du bien-commun, de l’entraide fraternelle et du vivre-ensemble. Le Liban et tout le Proche-Orient en ont tellement besoin en ce moment. »

Samer remonte dans sa voiture. Il grimpe tout en haut de sa colline et montre l’emplacement de son futur projet : un hôtel pour les touristes du monde entier. Un nouvel havre de paix, à suivre ?

Antoine BORDIER   


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