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La plus petite école francophone d’Egypte se trouve à Alexandrie

Alexandre le Grand n’a pas fini de faire couler d’encre. Il y a bien longtemps, il a fait verser beaucoup de sang. Et dans le nord-est de l’Egypte, les livres sont de retour dans la très grande bibliothèque d’Alexandrie. L’école Petit Girard, du nom de son fondateur français, a fêté ses 120 ans il y a deux ans. Francophone, elle est restée fidèle à la méthode Montessori. Immersion dans la petite école de la petite enfance.

Copyright des photos A. Bordier

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier

Pour se rendre à Alexandrie, la deuxième ville du pays, il faut compter deux heures et quinze minutes par le train. On l’a oublié, mais l’Egypte possède l’un des premiers réseaux ferroviaires construit par les Egyptiens et les Anglais au milieu du 19è siècle – l’Egypte est à l’époque sous domination ottomane avec une certaine autonomie et une présence diplomatique et économique anglaise, française et belge. Le pouvoir politique est partagé avec un vice-roi local et le pouvoir ottoman. L’un des plus illustres vice-rois est Méhémet Ali.

Les Français ont leur part. Ils participent au développement de l’Egypte, notamment dans le domaine des Ponts-et-Chaussées, des infrastructures. C’est le cas de Pierre-Simon Girard, qui, à la fin du 18è et au début du 19è siècle, sera remarqué par Bonaparte lui-même, lors de son expédition. Le grand ingénieur a travaillé sur le rehaussement du Nil. Bienfaiteur, en quittant Alexandrie, il fait don de ses biens à des communautés religieuses. Il rentre en France et terminera sa vie comme Président de l’Académie des Sciences.

Puis, c’est au tour d’Aimé-Antonin Girard, un descendant, de venir s’installer en Egypte. Cet homme haut en couleurs n’est pas n’importe qui. Pendant la guerre de 1870-1871, qui a opposé la France à l’Allemagne, le jeune Aimé-Antonin, après ses études de médecine, a servi en tant que chirurgien sur le front. Ensuite, l’appel du grand large a été le plus fort. L’Orient, le Proche et le Moyen, sont à la mode. Il devient Directeur des Etudes françaises au Collège Grec-catholique de Beyrouth. Puis, ce seront les Pays-Bas, la Syrie, la Palestine, Beyrouth, Damas et l’Egypte. Il s’installe à Alexandrie en 1890 et fonde l’Institution Francophone Girard. 10 ans plus tard, ce sera le Petit Girard, la plus petite école Francophone de la petite enfance en Egypte.

Alexandrie la Belle

Nous sommes vers l’an – 335 avant J.C. lorsque Alexandre démarre ses conquêtes. Il s’est, déjà, rendu maître de l’Asie Mineure. Il ne compte pas s’arrêter-là. Après, ce sera la Syrie et l’Egypte. C’est lui qui fonde Alexandrie, au bord de la Méditerranée. Elle va devenir la capitale du grand monde grec. Sa bibliothèque, son phare (qui n’existe plus, depuis le tremblement de terre de 1303) et ses vestiges, en font, aujourd’hui, l’une des villes les plus prisées d’Egypte. La plus grande bibliothèque du monde a été construite après la mort d’Alexandre, en – 288. Sous son impulsion, elle va devenir l’endroit où il faut être, où il faut étudier. Détruite par Jules César qui met le feu au port, elle est reconstruite plus tard.

Les pierres vivantes d’Alexandrie ont aussi leurs grands hommes. L’un des auteurs les plus connus de l’époque d’Alexandre est Callimaque. Il a influencé la poésie et la philosophie jusqu’à nos jours. Plus proche de nous, les grands auteurs du 19è siècle comme Gustave Flaubert se ruent en Egypte, en tant que chargé de mission. Très proche de sa mère, il lui écrit cette lettre. Nous sommes le 23 novembre 1849. Extrait : « Nous sommes sellés, bottés, enharnachés, armés avec quatre hommes qui nous suivaient en courant, notre drogman monté sur son mulet chargé de nos manteaux et de nos provisions, et nos trois chevaux qui se conduisaient à l’aide d’un licol… Dès les portes d’Alexandrie, le désert commence et ce sont des monticules de sable couverts ça et là de palmiers, puis des grèves qui n’en finissaient [pas]… »

Une Septième Merveille du Monde ?

En octobre 2002 était inaugurée à Alexandrie, sous l’égide de l’Unesco, la nouvelle Bibliothèque d’Alexandrie. Un évènement historique pour la deuxième ville du pays, qui a bénéficié des subsides de l’Etat. Elle est une pure merveille. Elle est l’équivalent, en plus grand, de la Bibliothèque François-Mitterrand à Paris. Mais les différences sont notables. Du côté français, moins de 400 000 livres. Du côté d’Alexandrie, près du million de livres, avec un objectif de 8 millions. En plus, son architecture est à couper le souffle. A l’extérieur, elle ressemble à un énorme vaisseau spatial, un ovni qui se serait ensablé. A l’intérieur, elle donne envie d’étudier, de dévorer des livres, de rechercher des auteurs illustres, parfois disparus. En forme cylindrique, elle ressemble à une cathédrale de bois, de béton et de granit.

Elle est une cité de livres, avec de grandes salles ouvertes disposées en terrasses, presque aériennes, et desservies par des escaliers en enfilade. Car les perspectives et le relief y sont réels. Telles des notes de musique griffurées sur une partition, les colonnes de béton soutenant le dôme de granit ressemblent à ces arbres aux abords des oasis, dont la ramure est attirée par la brûlure du soleil. On se croirait dans une forêt de livres plantée aux portes du désert. Hélas, son architecte n’est pas Français. Il nous vient de Norvège. Il s’appelle Snohetta. Il est la référence mondiale en architecture paysagère. Ce cabinet, il y a 20 ans, a reçu le prix Aga Khan d’architecture.

Cette année, en 2024, la nouvelle bibliothèque fête ses 20 ans. La Francophonie et des auteurs Français sont à l’honneur. Citons Gérard de Nerval (il arrive à Alexandrie le 16 janvier 1842), Victor Hugo, Léopold Sédar Senghor, etc. Deux ans auparavant, en 2002, le Petit Girard, lui, fêtait ses 120 ans. Depuis 1902, elle est la plus petite école francophone d’Egypte.

Le Petit Girard francophone !

« Oui, nous sommes la plus petite école francophone d’Egypte », explique Mirette William, professeur de Français. Accueillante et chaleureuse, cette jeune mère de famille est tombée follement amoureuse de la France, de sa culture, de son histoire, de sa langue et de son peuple. Avec le chauffeur de l’école, elle s’improvise en guide touristique, le temps d’une heure, montre en main. « Nous allons vous montrer le bord de mer. C’est par là qu’Alexandre est arrivé. » Le bord de mer est magnifique avec ses vestiges antiques et romains. La tempête s’est levée. La mer saute par-dessus le parapet. Dans le ciel, les nuages s’accumulent et s’assombrissent. Puis, d’un seul mouvement aérien, la tempête les chasse d’un grand coup de balai. Le soleil réapparait, fébrile. Il éclaire au loin toute l’anse de la citadelle de Qaitbay. Ses murs en pierre blanche sont hérissés comme un château fort médiéval, qui protégeait la cité portuaire des pirates et des croisés venus combattre les Mamelouks. Cette forteresse défensive, bâtie à l’emplacement même du fameux phare, a été construite au 15è siècle.

« Allez, arrêtons le tourisme, emmenez-moi voir cette petite école ». Mirette s’exécute. En arabe, elle demande au chauffeur de rentrer. Nous nous enfonçons dans la ville de 5 millions d’habitants. Les immeubles de 10, 15 étages sont légion. Nous nous arrêtons devant une petite maison aux volets verts. « C’est ici. Nous sommes arrivés. » On dirait un rêve. Nous entrons dans un conte…

Le directeur est un poète

Il est ému de nous recevoir, dans sa petite école, ce Nashaat Foll qui ressemble au petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry, avec son écharpe rouge et son âme de poète. Bien entendu, ce n’est pas un enfant. « Nous avons de la chance, car nous sommes les héritiers de Monsieur Girard, qui a légué aux sœurs Franciscaines de Marie, il y a 120 ans cette école. Ensuite, les sœurs nous ont demandé de continuer l’aventure de la formation des tout-petits. Cela fait 13 ans que je dirige cette petite école de 138 élèves. Oui, nous avons de la chance car nous travaillons avec une vingtaine de professeurs. Nous sommes une école francophone et nous utilisons la méthode Montessori. » Sous le petit préau qui se situe dans la cour de l’école, Lydia Kara, son adjointe, l’accompagne. C’est elle la seconde Francophone de l’équipe.

Après la présentation des professeurs – la plupart sont des femmes – Nashaat se lève et nous entraîne de classe en classe. Les couloirs sont décorés aux couleurs vives des fêtes de Noël, car ici, nous sommes dans une école chrétienne, copte. Il y a des dessins sur tous les murs, les paillettes y sont légion. Dans le bureau du directeur se trouve une photo de lui avec le pape François. « Oui, je me souviens très bien de ce moment. C’est quand il est venu en Egypte, en 2017. C’était un moment formidable. »

Une école francophone et la méthode Montessori

De classe en classe, les élèves apprennent le français. Ils chantent des chansons. Dans l’une d’entre-elles, c’est la célèbre fable Les Trois Petits Cochons qui est mimée en français. Ce conte fêtera cette année ses 90 ans. Cela fait 90 ans, que la France, la Francophonie, aime ce conte, apparu pour la première fois sur les rares écrans de télévision. « Cette fable, explique la directrice adjointe, permet aux enfants – là ils ont 4 ans – d’apprendre le chant en français. Ils apprennent, aussi, les valeurs de courage. Ils apprennent à construire sur une base solide. »

Nous repartons de la classe en applaudissant la dizaine d’enfants, vêtus d’un uniforme impeccable. Nous passons de classe en classe. Nous ouvrons la classe dite Montessori. « Cette méthode d’apprentissage est très importante pour l’enfant entre 2 et 6 ans, explique Lydia. Il permet d’apprendre à se débrouiller seul. Car, c’est lui qui choisit ses activités. Le professeur est là comme un accompagnateur, un tuteur. Nous développons, ici, le sens inné de l’auto-apprentissage. » Incroyable de découvrir que la plus petite école d’Egypte a adopté cette méthode, comme plus de 30 000 dans le monde. Maria Montessori (1870-1952) est une Italienne, médecin, neurologue, qui a développé une nouvelle méthode d’apprentissage révolutionnaire. C’est une référence mondiale. La meilleure !

De nouveaux investissements et un jumelage ?

Nous redescendons dans le bureau du directeur. Il évoque ses projets, tout en servant du thé rouge. Avec sa petite école, il fait vivre une soixantaine de familles (dont la vingtaine d’enseignantes), qui travaillent pour lui. C’est une petite école, mais, également, une belle petite entreprise. L’école n’est pas gratuite. « Les élèves doivent payer 300 dollars. Mais nous voulons mettre en place pour l’année prochaine un système de bourse. Nous avons, également, des projets d’investissement car notre petite école est vieillissante. Nous voulons investir dans de nouvelles méthodes pédagogiques comme les écrans numériques interactifs. Nous voulons remplacer nos jeux et nos matériels pédagogiques. Nous voulons, aussi, restaurer notre cantine. Car nous donnons à manger à tous nos élèves. Pour certains, c’est leur seul repas de la journée. Enfin, nous avons un grand projet de jumeler l’école avec une école française. Nous recherchons des sponsors et des écoles. » Le budget 2024-2025 ? 300 000 dollars.

Nous parlons de sa vie de famille. De son frère Magdi qui est, lui-aussi, directeur d’une école. Mais, là, nous entrons dans la cour des grands, avec ses 2 000 élèves. La rencontre se termine par une belle photo de groupe. Il manque les enfants. Ce sera pour la prochaine fois.

Nous quittons Petit Girard, après avoir passé 24h00 dans la cité d’Alexandre le Grand. Direction, la gare d’Alexandrie pour Le Caire, la capitale aux 20 millions d’habitants qui fait 3 fois Paris. Une capitale qui ne dort jamais. Alexandrie, elle, est la ville où les petits enfants rêvent en français.

Contact pour en savoir plus, pour le jumelage et pour tout soutien : petitgirard262@influenceurtwtgmail-com

Reportage réalisé par Antoine Bordier

                                                                                                                                  


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