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La Fondation Arslanian en mission d’urgence auprès des « déportés » arméniens du Haut-Karabakh

Photos A. Bordier

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier, auteur de Arthur, le petit prince d’Arménie (éd. Sigest)

Elles sont arrivées deux jours après la nouvelle guerre de l’Azerbaïdjan contre les Arméniens du Haut-Karabakh. Le 21 septembre, les Arslanian atterrissent à l’aéroport international d’Erevan. Elles n’ont qu’une idée en tête : « Venir en aide aux dizaines de milliers de réfugiés », qui sont obligés de fuir la guerre et l’épuration ethnique en cours. Nous les avons suivies sur le terrain. Reportage dans le nord de l’Arménie.

« Oui, nous arrivons en urgence pour aider la quarantaine de familles que nous soutenons mensuellement, depuis trois ans », explique Anelga en montant dans son mini-bus qui l’emmène dans le nord du pays. Elle ajoute : « et nous procédons, déjà, à la prise en charge des familles qui ont dû tout laisser. Elles n’ont pas eu le choix. Soit, elles restaient et elles courraient le risque d’être assassinées, emprisonnées, violées. Soit, elles fuyaient. Parmi la quarantaine de familles que nous aidons, il y a des familles du Haut-Karabakh. »

C’est Aelita, qui vit sur place, accompagne la fondation sur le terrain. Elle est chargée d’assurer le lien entre la fondation et les familles secourues. « Nous partons directement sur Ashtarak où est arrivée, hier, une famille, explique-t-elle avec enthousiasme. Ils sont une douzaine avec les grands-parents. Nous leur avons trouvé une maison. » Ces derniers jours, la vie d’Aelita et de sa propre famille a, totalement, été chamboulée. « La famille de mon mari est du Haut-Karabakh. Ils sont arrivés, eux-aussi, cette semaine. Ils ont tout perdu. Ils sont partis avec quelques affaires. Ils ont tout laissé derrière-eux. Je les appelle les déportés ». Les déportés ?

Déportés, exilés, réfugiés… le monde humanitaire, médiatique et politique a rendez-vous avec l’histoire qui semble se répéter dans cette région du monde, depuis… 1915. Cette répétition est une orchestration des plus funestes. Depuis le génocide des Arméniens perpétré par l’empire ottoman, ce sont Erdogan et Aliev qui ont accepté d’en être comme les héritiers. Ainsi, ils n’ont, jamais, reconnu ce génocide. Pire, ils sont en train de faire revivre aux Arméniens, ce que leurs arrière-grands-parents et grands-parents ont vécu cette année-là. Et, aujourd’hui, de nouveau, le monde se tait… complice. Sans cette complicité, le génocide aurait été évité. Aujourd’hui ? Il s’agit d’une épuration ethnique. La différence ? Ils ont tout perdu, tout, sauf la vie, pour la plupart.

« Nous ne pouvons pas retourner chez nous »

Le mini-bus arrive à Ashtarak et s’arrête devant une maison. Liana, Raffik, et toute la famille, y ont trouvé refuge. Elle peut offrir l’essentiel : un toit, un lit et de quoi s’asseoir, se laver et faire la cuisine. Ils sont beaux. Ils sont silencieux. Ils sont dignes. Après les privations qu’ils ont dû endurer pendant les 9 mois de privations imposés par le blocus des Azéris au corridor de Latchine, « les enfants se sont rués sur les premiers paquets de gâteaux que nous a donnés la Croix-Rouge, quand nous avons passé le corridor », raconte Liana, qui a les traits tirés, comme si elle avait accumulé plusieurs nuits blanches. Puis, elle ajoute : « Nous avons eu vraiment peur, car la guerre a été très rapide et très intense. Ils ont bombardé partout. Nous sommes partis sur les routes dès l’accalmie et l’ouverture du corridor de Latchine. Nous sommes arrivés, ici, le 25. Toute la famille vivait à Stepanakert et à Martakert. »

Stepanakert, qui sera, très certainement renommée et rasée de tout son patrimoine culturel et religieux. La capitale de l’Artsakh, cette république autonome non-reconnue internationalement, qui existait depuis, la chute de l’ex-URSS. Même le nom Artsakh remonterait aux temps les plus anciens. « Oui, les historiens, les vrais, pas ceux qui manipulent ou qui sont manipulés, vous le diront : le Haut-Karabakh est une terre arménienne depuis des millénaires. Les 120 000 Arméniens, qui sont restés jusqu’au 19 septembre, vivaient sur leurs terres ancestrales, qu’ils appelaient Artsakh. Ils l’ont, toujours, appelés, ainsi. Ce sont les Turcs et les Azéris, qui veulent tout effacer : la culture, l’histoire, les noms, le patrimoine, notre identité. Ils vont réussir leur projet d’épuration ethnique. C’est terrible. »

Dans une pièce du bas, une petite fille joue avec sa grande cousine. Elles ne sourient pas. La plus âgée tapote sur l’écran de son portable. « Quand est-ce que nous rentrons à la maison ? » La maman qui est descendue, au même moment, répond : « Nous ne pouvons pas retourner chez nous… » Un silence ponctue triplement la fin de sa phrase.

Anelga et Lori, le cœur à la main

Dans le salon, à l’étage, Anelga et Lori ne sont pas venues les mains vides et offrent quelques cadeaux aux enfants. En repartant, après avoir bu le café arménien, elles expliquent qu’elles vont continuer à aider cette famille. Et, elles parlent de l’urgence. « Oui, il y a urgence car ils sont partis avec presque rien. Et, ils n’ont plus de travail. Le temps que l’Etat intervienne, malgré ce qu’il a annoncé en étant prêt à accueillir les 40 000 familles qui arrivent, il peut se passer quelques jours, voir des semaines. Il ne faudrait pas que ces familles, qui ont tout perdu, revivent ce qu’elles ont subi pendant le blocus des Azéris : plusieurs jours sans manger, sans aller à l’école, sans se chauffer…C’est pour cela que nous avons lancé un appel d’urgence exceptionnel, auprès de nos donateurs », explique Anelga.

Par chance, cette famille était, déjà, aidée par la fondation, depuis presque trois ans. Elles se sont connues juste après la guerre de 44 jours (celle de 2020). « Son mari est mort à la guerre. Et, du jour au lendemain, Liana s’est retrouvée toute seule avec ses quatre enfants. » Avec cette nouvelle tragédie, la fondation va redoubler d’assistance. Elle va leur offrir – le temps de retrouver du travail – de la nourriture, des couvertures, des vêtements, et un petit pécule mensuel. « Ils seront autonomes et pourront penser à l’avenir, à celui de leurs enfants. »

Le mini-bus démarre, la fondation repart sur les chapeaux de roue. D’autres familles attendent, à Bazum, à Gyumri, à Vanadzor, à Talin. Les embrassades et les moments de tendresse se multiplient. La fondation ressemble à une famille qui s’agrandit. « Nous nous sommes fixés comme objectif d’aider de nouvelles familles, précise Anelga. Comme il y a trois ans, en Belgique, tous nos amis s’étaient impliqués pour venir en aide aux Arméniens victimes de la guerre. » Anelga et Lori en sont convaincues : les besoins sont énormes. Elles répondront présentes ! Ces femmes sont des guerrières. Leurs seules armes ? Deux cœurs d’or ouverts, qui ne se referment jamais.

Le 19 septembre et l’épuration ethnique

A titre de comparaison, depuis le 19 septembre et l’arrivée massive des « déportés », c’est comme si la France recevait sur son sol, en une semaine, l’équivalent de 3 millions de réfugiés. La France serait sensiblement débordée. Un autre exemple, d’actualité. Plus au sud de l’Arménie, au Liban, le pays du Cèdre vit une situation presque différente. Puisque ce petit pays, aussi grand que la Gironde, est peuplé, selon les derniers chiffres de la Sûreté générale libanaise (septembre 2023) de : 7,5 millions de personnes, dont 4 millions de Libanais, 3 millions de Syriens et 500 000 Palestiniens. Une situation explosive au Levant.

Retournons dans le Caucase. En Arménie, l’enjeu est différent. Les Arméniens ont le cœur ouvert. Ils se plient en trois, en quatre, en cinq, et vont tout faire pour accueillir, qui un ami, qui un cousin, qui un frère. La difficulté reste financière. « Si l’Etat ne nous aide pas, explique Anelga, les fondations et les ONG, les associations, vont devoir payer de leur poche. Chaque mois, il va falloir trouver près de 30 millions d’euros pour les 40 000 familles (NDLR qui représentent les 120 000 réfugiés arméniens) ». Le défi est là ! Un défi qui revient à subventionner chaque famille à hauteur de 800 euros par mois.

Avant de repartir, Liana se rapproche. Nous sommes dehors, devant sa nouvelle maison. Visiblement, elle a besoin de déposer son balluchon mortifère. « Ils ont commencé par bombarder toute la région. Les bruits assourdissants étaient terribles. Il était midi et demi ce 19 septembre. J’étais sur le front, car je travaille pour l’armée. J’ai perdu mon mari, lors de la dernière guerre de 2020. C’est pour cela que nous sommes partis assez vite. De Martakert, nous sommes allés à Stepanakert. Et, puis, nous sommes partis en direction de Latchine. Je savais qu’Aliev allait en finir avec nous. » Les mots sont terribles, la réalité encore plus. Pendant cinq jours, Liana a vécu sur la route avec ses quatre enfants. Ses beaux-parents, eux le sont, toujours, sur la route. L’épuration ethnique est en cours.

Direction le nord de l’Arménie

Les visites des familles continuent. Après la ville d’Ashtarak, qui est une petite ville industrielle de 15 000 habitants, se situant à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest d’Erevan, le mini-bus se dirige vers Bazum, plein nord. Une heure plus tard, à 1500 mètres d’altitude, alors que l’air peint les montagnes alentours qui ressemble à des desserts, Lori et Anelga inaugurent leur dernier tracteur. « Oui, nous continuons notre projet 1 tracteur-1 village, explique Lori. Comme son nom l’indique, nous offrons 1 tracteur aux villages qui en ont le plus besoin. » Avec ce tracteur, le maire de Bazum a vu sa vie changer et celle des 1800 villageois également. Même si les 250 ha exploitables de sa petite commune ne sont pas encore tous exploités.

Dans ces villages, l’avenir de l’agriculture est leur seul avenir. La pauvreté des villageois y est telle que les habitations ressemblent plus à des cabanes en bois et en tôles, qu’aux fermettes de nos riches contrées occidentales. Imaginez : sur les 40 ha exploités, 48 familles doivent se partager le fruit des travaux agricoles. En France, un exploitant vit sur un domaine qui fait en moyenne 69 ha.

Imaginez ! Le maire, en plus de son sujet agricole, travaille, avec la fondation, à l’accueil d’une dizaine de familles, qui sont, encore, sur les routes. Ensemble, ils s’apprêtent à soulever des montagnes de générosité. On le comprend, même vue de France, l’Arménie va accueillir les 120 000 Arméniens « déportés » du Haut-Karabakh. Dans les villes et villages, dans les hameaux, les familles de souche sont, déjà, sollicitées. La Fondation Arslanian, avec l’appui de ses soutiens de la diaspora, se tient, plus qu’hier, à leurs côtés. « Nous allons fournir l’aide qui sera nécessaire, pendant le temps qui sera nécessaire », concluent ensemble Anelga et Lori Arslanian. Elles repartent sur Gyumri. En tout, elles auront rendu visite à une vingtaine de familles.

Aujourd’hui, ce vendredi 29 septembre, à l’heure où nous bouclons cet article, ils sont près de 90 000 à avoir choisi la solution de la valise au lieu du cercueil. 90 000 personnes jetées sur la route, sur l’ordre de tyrans. Les démocraties et leurs gouvernants vont-ils, enfin, avant que leurs maisons brûlent, intervenir comme ils le font en Ukraine où ils déversent des milliards de dollars et des milliers de tonnes de matériels militaires ? Car demain, avant la fin de l’année, il se pourrait que les Aliev et Erdogan décident, avec la bénédiction du Kremlin et le silence des lâches démocraties droguées au gaz azéri, d’envahir… le sud de l’Arménie. Le rêve panturquiste deviendrait alors réalité, aux dépends des Arméniens. Ce qui est certain, c’est que les Arméniens veulent vivre en paix. La Fondation Arslanian, elle, se mobilise pour leur faire du bien, à la mesure de ses moyens.

Pour soutenir les réfugiés du Haut-Karabakh, écrivez à : info@arslanianfoundation.org.

De notre envoyé spécial Antoine BORDIER


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