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La diplomatie française, incapable d’anticiper l’avenir 

Le Quai d’Orsay doit abandonner ses postures surannées et adopter une approche pragmatique de la diplomatie.

Le ministre français des Affaires étrangères Stéphane Sejourne (Photo par Thomas Koehler/dpa/ABACAPRESS.COM)

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Tribune de Paul Melun, essayiste et chroniqueur français.

Dans cette tribune exclusive pour Géostratégie magazine (Groupe Entreprendre), Paul Melun livre une analyse éclairante sur l’abandon de la diplomatie par la France des temps actuels et déplore que les dirigeants français fassent aujourd’hui l’impasse sur la realpolitik.

La France dispose encore du 3e réseau diplomatique du monde et d’une diplomatie prestigieuse et respectée, gage de son influence à l’international. Mais face à la concurrence des diplomaties des grands émergents (Chine, Inde, Russie…), la diplomatie française doit changer radicalement d’approche pour anticiper le monde de demain et bâtir de nouvelles alliances avec les pays qui compteront dans le concert des nations, à commencer par l’Égypte, l’Arabie saoudite et l’Indonésie.

Des relations bilatérales sans avenir

La diplomatie est un jeu d’échecs. La victoire revient à qui a un coup d’avance et sait anticiper les évolutions du monde contemporain. Les priorités du Quai d’Orsay témoignent au contraire d’une action extérieure sclérosée, enfermée dans un passé fantasmé et dans des certitudes obsolètes. Pour s’en convaincre, il suffit de constater le déficit d’attention portée par la France aux puissances de demain, et l’investissement démesuré accordé aux relations bilatérales sans avenir.

Prenons trois exemples : l’Égypte, l’Arabie saoudite et l’Indonésie, trois pays au développement économique fulgurant et à la diplomatie ambitieuse, susceptibles de figurer parmi les grandes puissances du monde de demain. L’Égypte se situe au carrefour de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Europe. Elle représente un partenaire de premier plan dans le contexte du conflit israélo-palestinien, notamment pour l’apport d’aide humanitaire à Gaza.

L’ambition de l’Arabie Saoudite

Le pays, qui connaît une stabilité politique – au prix, certes, d’un régime autoritaire et militaire – depuis l’arrivée du président Sissi au pouvoir en 2018, connaît régulièrement des taux de croissance parmi les plus dynamiques d’Afrique et du Proche et Moyen-Orient. Cette croissance est tirée par des projets pharaoniques financés par l’État, comme le projet « Grand Caire » à l’horizon 2050.

L’Arabie saoudite est la grande puissance culturelle, religieuse, militaire, diplomatique et démographique du Moyen-Orient. Riyad est un partenaire essentiel dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Le pays est l’un des plus dynamiques au monde sur le plan économique, avec de nombreux méga-projets destinés à diversifier l’économie dans le cadre du plan « Vision 2030 ». Neom, le projet fou de ville futuriste comprenant notamment la fameuse Line City, n’est que l’arbre qui cache la forêt.

L’Arabie saoudite se montre ambitieuse dans de nombreux domaines : la culture (site phare d’Al Ula, exposition universelle 2030…), la construction navale (construction du plus grand chantier naval au monde à Ras Al-Khair), le tourisme (mégacentre de Qiddiya…), etc.

Trois méga-puissances économiques et diplomatiques

L’Indonésie est la grande puissance en devenir d’Asie du Sud-Est. Économiquement, elle dispose de ressources rares, notamment de minéraux critiques essentiels à la transition écologique, comme le nickel, le cobalt ou encore la bauxite. Son taux de croissance dépasse régulièrement les 5 % et sa démographie est galopante.

Sur le plan géopolitique, l’Indonésie constitue un partenaire maritime important en mer de Chine et un contrepoids clef à l’expansionnisme chinois. Ces trois méga-puissances économiques et diplomatiques en devenir ne sont pourtant pas des priorités pour la diplomatie française. Elles n’apparaissent pas parmi les quinze postes diplomatiques les plus dotés en effectif en 2018, contrairement à l’Algérie (3e), le Sénégal (8e) ou encore Madagascar (14e).

On se demande bien pourquoi les ambassades à Alger et à Madagascar sont aussi bien dotées en personnel, alors que le gouvernement algérien ne cesse de vilipender la France, refusant systématiquement toute perspective de coopération bilatérale, et que Madagascar est loin de représenter un pays de premier plan.

Quid des économies émergentes

D’une manière générale, la France accorde trop peu d’importance aux économies émergentes. La feuille de route MAEDI 21 prévoit de porter, d’ici à 2025, les effectifs du Quai d’Orsay dans les économies émergentes membres du G20 à 25 % de son personnel à l’étranger. Ce n’est à l’évidence pas suffisant, alors que ces pays-là – qui font contrepoids à la Chine, l’Inde et la Russie – seront à l’avenir des partenaires de premier plan. La diplomatie française semble engluée dans un mode de pensée obsolète, qui ne réfléchit qu’à l’aune du passé et des héritages historiques.

Elle se révèle incapable de se réinventer et de redéployer ses moyens vers les puissances qui façonneront le monde de demain. Il sera vain de frapper à la porte des futurs géants une fois que leur puissance sera évidente aux yeux du monde. C’est maintenant ou jamais qu’il faut miser sur la relation bilatérale pour constituer des partenariats privilégiés et durables, et préserver l’influence de la France au 21e siècle.

Paul Melun


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